L’art des belles pochettes de disque n’est pas mort à l’arrivée du numérique, loin de là ! Surtout avec le retour en force du vinyle. Photo, collage, magie de l’ordinateur ou bons vieux dessins, tous les moyens sont bons pour ajouter cette touche, comme en témoigne nos choix des pochettes les plus remarquables de 2020.
Ko Shin Moon – Miniatures 1 EP (Indépendant)
Le premier des quatre EP de la série Miniatures du duo français Ko Shin Moon a récemment vu le jour et propose quatre voyages en Orient sur des tapis volants tissés de space disco aérien et d’électro-folk groovy. Ce volet est passablement arabisant, peut-être les suivants nous emmèneront-ils en Turquie, en Inde, ou même, qui sait, en Indonésie. À propos, la pochette, gracieusement étrange, qu’on retrouve sous une forme plus élaborée dans la somptueuse vidéo du premier simple, Antelias, est l’œuvre de la célèbre Ardneks de Jakarta – voir notre profil de l’artiste ici. – Rupert Bottenberg
Double Date with Death – L’Au-Delà (Howlin Banana/Sexy Sloth/Resurrection)
Le choix du groupe montréalais d’avoir recours à l’artiste belge Elzo Durt pour illustrer son album fut judicieux. Dès la parution du premier simple, notre curiosité était piquée et la suite a été à la hauteur. On reconnaît le style de Durt, sa technique, mais le sujet est différent de ceux qu’on lui connaît et donne à cette œuvre une aura particulière. Et que dire de ses déclinaisons ! Une pochette qui donne autant le goût de découvrir Elzo Durt que Double Date with Death. – Patrice Caron
The Gaslamp Killer – Heart Math (Cuss)
Soutenu par des groupes comme The Heliocentrics et l’omniprésent Miguel Atwood-Ferguson, l’Angelino Gaslamp Killer – héritier présomptif de DJ Shadow – a lancé cette année un troisième album de downtempo à fort penchant instrumental à la puissance redoutable. L’illustration ésotérique de TANT, l’un des quatre membres de la formidable bande de street-art israélienne Broken Fingaz, ajoute à l’ambiance curieuse et inquiétante du disque par son symbolisme sorcier. – Rupert Bottenberg
Arca – KiCk i (XL Recordings)
La pochette de KiCk i de Arca, alias Alejandra Ghersi, se veut une saisissante extrapolation queero-futuriste de l’humanité sur la voie du transhumanisme. Non seulement l’artiste électronique illustre-t-elle sa propre transformation du masculin au féminin mais encore évoque-t-elle artistiquement les mutations à venir en s’affublant de prothèses stylisées assorties de griffes en acier inoxydable et d’échasses. On ne ressemblera probablement pas à ça au siècle prochain mais… il y a fort à parier que nous ne serons plus exclusivement constitués de matière organique. – Alain Brunet
Denzel Curry & Kenny Beats – UNLOCKED EP (Loma Vista)
Les images que crée l’artiste Chris M. Wilson s’inspirent autant de l’univers des bandes dessinées que des esthétiques hip-hop et punk hardcore. Pour la pochette du mini-album UNLOCKED de Denzel Curry et Kenny Beats, il a imaginé un monde post-apocalyptique qui correspond à merveille à la musique explosive concoctée par le duo. Dans une ville défigurée par une détonation, le DJ cyborg échafaude un plan sur son portable, tandis que le MC mutant brandit une poignée d’énergie fluorescente, pour délivrer des coups de poing radioactifs à quiconque tente de lui barrer la route. – Steve Naud
Inventions – Continuous Portrait (Temporary Residence)
Lorsque nous dormons, méditons ou écoutons le dernier album hypnotisant du groupe Inventions, nous produisons différents types d’ondes cérébrales invisibles à l’œil nu. La pochette illustre ce propos avec un dessin tiré du livre The Principles of Light and Colors, un trésor occulte de pseudoscience écrit par Edwin D. Babbitt et tombé dans l’oubli depuis sa parution en 1878. – Louise Jaunet
Thesis Sahib – Spinch (Original Game Soundtrack) (Materia Collective)
La dernière fournée de pièces de chiptune de qualité supérieure et de dream-pop électronique enjouée mais substantielle de Thesis Sahib constitue un excellent accompagnement au jeu vidéo indépendant, conçu au Canada, Spinch. Celui-ci donne vie à un « écosystème » imaginé par Jesse Jacobs, graphiste et créateur de bandes dessinées primé de Hamilton, Ontario, et l’illustration totémique de la pochette de la bande son est un parfait exemple de son style, avec ses spaghettis fluos flottant dans l’espace. – Rupert Bottenberg
Idris Ackamoor & Pyramids – Shaman! (Strut)
Au premier coup d’œil, on pourrait croire que la pochette de l’épatante excursion free jazz du saxophoniste franciscanais Idris Ackamoor est l’œuvre du grand et regretté Mati Klarwein, dont les exquises peintures ornent les pochettes de nombreux classiques de Miles Davis, Santana, The Last Poets et bien d’autres. Non, il s’agit en fait de l’œuvre du peintre et muraliste japonais Tokio Aoyama, dont les toiles visionnaires vibrent d’un amour pour la musique afro-américaine (vous souvenez-vous du magnifique Umsindo de Georgia Anne Muldrow ?). – Rupert Bottenberg
Drew McDowall – Agalma (Dais)
Fidèle à son habitude de s’entourer de talents, le chevronné Drew McDowall a ici fait appel à l’artiste américaine multimédia Caroline Schub, dont l’œuvre compose la pochette. Fascinante à elle seule, celle-ci figure de brillante façon la dichotomie entre élévation et profondeurs traversant l’album. – Geneviève Gendreau
Artistes variés – Guide to the Birdsong of Mexico, Central America & the Caribbean (Shika Shika)
La deuxième compilation de ce type supervisée par Robin Perkins, alias El Búho, de Shika Shika (la première, en 2015, portait sur les espèces d’oiseaux menacées d’Amérique du Sud), est une grande réussite. Elle présente, pour une bonne cause, un tout homogène avec d’excellents morceaux et, pour le relier le tout, une superbe et audacieuse œuvre du designer Scott Partridge. Retrouvez son univers visuel dans la vidéo de Black Catbird du Garifuna Collective, le meilleur morceau du lot. – Rupert Bottenberg
Dany Placard – J’connais rien à l’astronomie (Simone)
Artiste qui compte plusieurs couvertures d’album dans son portfolio, Sarah Marcotte-Boislard collabore pour la deuxième fois avec Dany Placard (elle avait réalisé la couverture de Démon Vert de 2012). Elle a su parfaitement illustrer le penchant psychédélique de cette proposition de Placard, avec une utilisation des couleurs au final quasi hypnotique. Dans le mille. – Patrice Caron
Dengue Dengue Dengue – Fiebre (NAAFI)
Comme la musique du duo péruvien installé à Berlin, le fascinant visuel de la pochette de Fiebre évoque quelque chose d’à la fois abstrait et algorithmique, tout en étant résolument organique. Il s’agit en fait d’un détail d’une sculpture de la série Termite Economies de l’artiste australien Nicholas Magnan qui établit des liens entre écologie, technologie et société humaine. – Rupert Bottenberg
The Vacant Lots – Interzone (Fuzz Club)
Pour son troisième album, l’excellent duo synthpunk new-yorkais The Vacant Lots a de nouveau fait appel à l’artiste Ivan Liechti, qui crée des pochettes d’op art minimalistes avec une distorsion visuelle maximale. Attention de ne pas la fixer trop longtemps, il se pourrait que vous tombiez dans une zone hallucinogène sans retour possible… – Louise Jaunet
Jonquera – DARKOS LP (Bamboo Shows)
Par le biais d’une approche dark ambient improbable mais efficace, aux rythmes appuyés, le producteur lyonnais Jonquera s’intéresse à un conte moral iconoclaste du Moyen Age sur son nouvel album DARKOS LP. Le tout est rendu par l’illustration de style gravure sur bois de l’artiste toulousaine Alison Flora – laquelle enquête sur des énigmes ésotériques, des mystères anciens et des tabous brisés… – qu’elle a peinte de son propre sang. Admirablement sombre, n’est-ce pas ? – Rupert Bottenberg
Papi Chulo – Ritmo de lo Habitual (Indépendent)
L’artiste serbe Mihailo Kalabić crée des organismes cybernétiques très inventifs dans un style quasi-soviétique inquiétant. Pour la pochette de son deuxième album de futurisme tropical à la fois sombre et flamboyant, le Montréalais Mariano « Papi Chulo » Franco a raconté un de ses trips de champignon magique particulièrement révélateur à Kalabic, qui en a donné une illustration s’en rapprochant, semble-t-il, de façon étonnante. – Rupert Bottenberg
Erik Hall – Music For 18 Musicians (Steve Reich) (Indépendent)
La minutieuse reconstitution par Erik Hall en solo du magistral chef-d’œuvre du minimalisme américain de 1978 de Steve Reich méritait une pochette à l’avenant. L’interprétation qu’en fait Aaron Lowell Denton lui rend justice. Elle s’écarte légèrement du style habituel de l’artiste du Midwest (voir aussi sa pochette pour le mini-album Texas Sun de Khruangbin et Leon Bridges), mais comme toujours, elle est exécutée de façon simple et soignée. – Rupert Bottenberg
The Gruesomes – Someone Told a Lie / Make Up Your Mind (KOTJ)
Les Gruesomes, les « tyrans du teen trash » de Montréal, règnent sur la scène mondiale du garage-rock depuis les années 80. Heureusement, ils n’ont pas montré de signes significatifs de maturité au cours des décennies et ont fêté leurs 35 ans avec un 45 tours. Mieux encore, celui-ci était accompagné en prime d’une bande dessinée racontant en espagnol deux histoires sinistres dans lesquelles le groupe se retrouve empêtré. Le tout dans un style d’horreur rétro impeccable, bien sûr, grâce aux bons soins des artistes espagnols Furillo et Jorge Rueda, tandem derrière l’imprimerie Palmeras Y Puros. – Rupert Bottenberg
Uniform – «Awakening» (Sacred Bones)
« I have no use for God. God has no use for me. When there’s nothing to lose, then you’re finally free. » Album après album, le chanteur Michael Berdan semble toujours à la recherche d’une révélation salutaire, voire d’une rédemption christique, illustrée sur ce simple par un montage réalisé à partir d’une photo morbide et poétique datant de l’ère victorienne. – Louise Jaunet
Artistes variés – Fairytale of Megabiodiversity (La Munia)
Important producteur de musiques indonésiennes, anciennes et nouvelles, le label jakartais La Munai a assemblé cette intrigante compilation de pop psychédélique actuelle et de rock de toutes sortes venant de l’archipel du sud-est asiatique. La designer Satria Nurzaman a opté pour une palette de couleurs intenses et une touche d’op art pour ce foisonnant collage numérique de flore, de faune et de trucs bizarres qui accompagne parfaitement la musique imaginative du disque. – Rupert Bottenberg
Vinyl Williams – Azure (Requiem Pour Un Twister)
Au moyen d’un collage de 25 œuvres différentes, Lionel Williams nous plonge dans son univers visuel transcendantal, céleste et paradisiaque qui prend vie dans une installation numérique immersive, disponible sur son site officiel. L’artiste nous invite à fouiller les différents paysages pour suivre un mystérieux symbole spiralé qui nous fait voyager d’un tableau virtuel 3D à un autre. – Louise Jaunet