Depuis que Björk, FKA Twigs et d’autres stars avant-pop ont fait appel à son immense talent de beatmaker, l’artiste transgenre Alejandra Ghersi s’est avérée parmi les grandes révélations de la musique électronique. On se pâme sur le monde d’Arca, sur ses propositions explosives, ses hachures rythmiques induites par les technologies de pointe, ses magnifiques surimpressions de textures synthétiques, ses moments très tendres. Enclin à de violentes perturbations, son discours sonore n’exclut pas la grâce, la volupté, une vulnérabilité non dissimulée. Ainsi, au fil de quatre albums incluant celui dont il est ici question, on a pu ressentir les troubles intimes d’Alejandra, on a pu observer l’assomption progressive d’une identité sexuelle multiple – Arca se définit à la fois femme et gay, vu sa préférence sexuelle pour les hommes. D’origine vénézuélienne, élevée en partie aux USA, installée aujourd’hui à Barcelone après un séjour au Royaume-Uni, elle lance KiCk i, certes le plus pop de ses enregistrements, qui lui fera déborder le cadre d’un public rompu à ses musiques plus radicales. Subtilement, elle y recycle les séquences frénétiques dont elle a le secret; ses déflagrations électroacoustiques deviennent les ornements d’un travail plus consensuel. Ainsi, ses découvertes antérieures contribuent à magnifier d’authentiques accroches mélodiques et des constructions plus pop allant même jusqu’au reggaeton. Les chansons sont interprétées en espagnol et en anglais par le principal intéressé, prestigieuses invitées à l’appui – Björk, Rosalia, Sophie, Shygirl, y font tour à tour des apparitions remarquées. En achevant cette transition identitaire pour le moins spectaculaire, comme l’illustrent très clairement la pochette de KiCk i et Nonbinary, première chanson au programme, Arca rejoindrait-il finalement son territoire « naturel », soit un pied dans la pop de création et l’autre dans la recherche fondamentale en musique électronique ? Il vaut mieux ne pas répondre à cette question et laisser le temps nous le révéler.
