Il faudrait être de (très) mauvaise foi, il faudrait bouder niaiseusement son plaisir pour ne pas admettre les bienfaits d’une telle communion urbaine. Montréal est l’une des rares villes de cette taille à bénéficier d’une telle ouverture et d’une telle écoute de sa population. En ce crépuscule du mardi 6 août, au pied du mont Royal comme c’est le cas à chaque été montréalais, l’Orchestre Métropolitain et son chef Yannick Nézet-Séguin ont généré du bonheur pour plus de 60 000 personnes ouvertes à une telle expérience.
Les airs très connus de la suite Carmen, tirée du fameux opéra de Bizet, ont constitué l’introduction et la conclusion de ce ce concert généreux et bien conçu dans un tel contexte. Question de mettre des balises connues afin d’attirer le public sur des pistes qui l’étaient moins, la direction artistique de l’OM a arrêté ce choix parmi de nombreuses évidences du répertoire classique. Le son n’était pas à son meilleur d’entrée de jeu mais les ajustements de la technique n’ont pas tardé à en améliorer considérablement l’intelligibilité.
L’OM a ensuite exécuté une œuvre courte du pionnier québécois Claude Champagne, que l’on pourrait qualifier de néo-classique avant le temps, car les insertions de musique traditionnelle en dominent la facture. Joli.
Le compositeur québécois Maxime Goulet était présent pour l’exécution de son œuvre, Citius, altius, fortius! , dédiée cette fois aux olympiens qui se démènent à Paris, mais aussi aux instrumentistes dont la tâche est aussi athlétique – nous a rappelé YNS. À la fois chargée et consonante, l’œuvre est justement conçue pour de telles circonstances, et assez substantielle pour satisfaire tout amateur de musique classique moderne. L’esprit de Leonard Bernstein était dans l’air, d’autant plus que YNS a collaboré de près à la trame sonore du film Maestro de Bradley Cooper lui étant consacré. Fancy Fee est une œuvre de jeunesse de Bernstein, comportant plusieurs caractéristiques de son œuvre éclectique, a été jouée avec rigueur et inspiration.
La posture progressiste du directeur artistique de l’OM le mène aussi à faire la part belle aux femmes compositrices. Ainsi, les Américaines Florence Price et Amy Beach ont déjà été jouées par l’Orchestre Métropolitain, c’était l’occasion de offrir ce 3e mouvement (Juba Dance) de sa Symphonie n° 3 en do mineur aux dizaines de milliers de profanes qui n’en connaissaient pas l’existence. Dans un esprit de fusion des musiques afro-descendantes et de la musique classique américaine au début du 20e siècle, Florence Price avait fait sa marque de son vivant, mais fut longtemps sous-estimée par l’Histoire de la musique jusqu’à une période récente.
Dans une moindre mesure parce qu’elle était blanche de peau, Amy Beach n’était pas non plus passée à l’Histoire dans un monde plus misogyne de son vivant qu’il ne l’est aujourd’hui. Et c’est surtout parce que cette Symphonie gaélique, la première composée par une femme américaine (1894), mérite absolument d’être découverte et appréciée pour ses qualités propres. Fin pédagogue, YNS a d’ailleurs pris soin d’en expliquer chacun des mouvements plutôt que d’insister sur le décorum – normalement, on n’applaudit pas entre les mouvements mais bon, il ne faut pas en faire une maladie. En territoire inconnu, cette immense foule a fait preuve d’une écoute exemplaire pendant que le soleil répandait ses braises dans le firmament avant de disparaître jusqu’aux aurores.
L’animateur de la soirée, Pierre-Yves Lord, a ensuite convié la pianiste et compositrice vedette Alexandra Streliski à exécuter deux œuvres pianistiques avec l’OM et YNS qui lui en ont ajouté un galbe symphonique. Inutile d’ajouter que le public a très majoritairement savouré ce segment néo-classique prévu par le chaleureux maestro et directeur artistique. Bienveillance et ouverture!
Quand il n’y en a plus, il y en a encore! Comme ce fut le cas en 2022, A Fifth of Beethoven, fameuse version disco du fameux thème de l’archi-connue 5e symphonie de Ludwig van Beethoven, un mégatube de Walter Murphy à l’époque, fut offerte au dessert avec la participation d’Alexandra Stréliski. On conclura le tout avec des extraits de Carmen, et on se dira que Montréal demeure cette ville si spéciale, si unique pour que de tels manifestations s’y produisent.