Ça faisait un bail que le quatuor de saxophone Nelligan nous avait offert un album : Consonances modernes en 2013. C’était leur deuxième, qui suivait L’Art de la fugue… de 1995! Rupture est donc le troisième opus en 30 ans. Cela dit, c’est de la qualité.
Au programme, quatre pièces d’autant de compositeurs canadiens, disparates dans leurs styles, mais mettant toutes en scène une panoplie assez large de sonorités et de textures pour un ensemble de quatre saxophones. Concerto en 6 préludes de Yoel Diaz Avila opère une rencontre agréable entre la répétitivité du Minimalisme et les accents de la musique latine. Un hit à coup sûr dans un concert.
Dans une critique précédente (À LIRE ICI), j’ai qualifié Alexandre David de ‘’jeune voix majeure de la musique savante d’ici’’. Essences ne me fera pas renier cette parole d’évangile. La pièce de presque dix minutes construit un discours narratif soutenu où diverses couleurs et moments expressifs se suivent dans un large phrasé de nature et d’atmosphère changeantes. Essentiellement calme et dessinée comme une abstraction impressionniste, l’œuvre est habitée dans deux ou trois courts passages par quelques montées dynamiques plus intenses. Alexandre David écrit superbement bien et réussit à créer un univers certes exigeant, mais aussi attractif.
La Danse des dragons de Victor Herbiet nous ramène en territoire consonant, avec une pièce délicatement texturée et bellement dessinée dans ses contours harmoniques et mélodiques, qui rappellent discrètement l’univers musical est-asiatique. Aux deux tiers plutôt contemplative (et très joliment!), la pièce se termine sur une envolée rythmique excitante qui récapitule les thèmes entendus. Pour moi, c’est une belle découverte!
La dernière pièce au programme est Verticales de Robert Lemay. C’est aussi la plus longue à plus de 17 minutes. Dans la vaste étendue des styles associés à la musique dite contemporaine, Verticales fait office de sentier bien balisé. Les sonorités créées, l’atonalité rigoureuse, les rythmes inégaux, sans point focal, correspondent tous à l’idée stéréotypée que le casual listener peut se faire de la musique savante d’aujourd’hui. C’est ce que j’appelle le pointraitisme, un langage musical constitué de points et de traits sonores voletant dans un champ auditif. C’est ce qui pendant plusieurs décennies a été appelé avant-garde. Mais quelle avant-garde dure aussi longtemps, dites-moi? Ce que je veux dire c’est que, en un sens, nous avons déjà entendu tout ça.
Cela dit, ça n’enlève absolument rien à la grande rigueur de la pièce et à son intérêt pour le mélomane le plus exigeant, en quête de technicalisme où la précision du geste et de la création de sons ultra épurés n’a d’égale que la satisfaction intellectuelle de l’écoute. Dans le genre, j’aime beaucoup, même si j’ai l’air de chipoter.
Excellentes performances des quatre saxophonistes qui, espérons-le, n’attendront pas une autre décennie avant de graver de nouvelles interprétations.
Saxophone soprano : Jennifer Lachaîne
Saxophone alto : Corinne Lanthier
Saxophone ténor : Isabelle Choquette
Saxophone baryton : Mathieu Gaulin
Guiro et claves : Yoel Diaz Avila (Concerto en 6 préludes)