Une douzaine d’années après une pause à peu près aussi longue que sa durée de vie active, Karkwa a repris du service avec l’album Dans la seconde et une tournée d’envergure qui dépoussière cette question remisée dans un recoin du cerveau: en 2023, Karkwa est-il supérieur à la somme de ses parties ? Une question à laquelle il était plus facile de répondre il y a 12 ans et sur laquelle nous ne nous prononcerons pas ici, vu le recul insuffisant. Mais…
Contentons-nous de fournir quelques éléments de réponse, soit en exprimant les perceptions qui suivent au terme d’un concert présenté dans un MTELUS à guichets fermés, le jeudi 30 novembre. La soirée du lendemain sera aussi l’occasion de poursuivre la réflexion avec le compte-rendu de notre estimé collaborateur Théo Reinhardt, qui était trop jeune avant la pause et qui découvre Karkwa sur scène.
Devant un auditoire conquis d’avance, l’introduction du concert se déploie tout en space rock. Cette Ouverture éthérée que pilote François Lafontaine, maître-es-claviers, précède un fondu enchaîné tout simplement parfait pour Parfaite à l’écran. Tirées du nouvel album Dans la seconde, les deux premières pièces au programme se soudent à Le pyromane, entonnée par un parquet densément peuplé d’inconditionnels. Puis c’est L’acouphène, puis c’est À bout portant. Enfiévré par des éclairages roses, pourpres et rouges, ce trio de classiques précède Gravité.
Pour sa première allocution, le désormais moustachu Louis-Jean Cormier s’adresse métaphoriquement aux lieux plutôt qu’à ceux qui les occupent. “ Il faut que tu saches, Montréal, à quel point on a changé… “Très important que tu saches, Montréal, à quel point on a changé. On n’est plus les mêmes, on n’a plus la même attitude, les mêmes intentions…”MTELUS, tu as devant toi les 5 meilleurs amis du monde…”
On comprendra que, 25 ans après la fondation de Karkwa mis en pause au début de la précédente décennie, les intentions ne sont pas tant de conquérir que de faire plaisir et de se faire plaisir à jouer ensemble. Après Karkwa, ce fut effectivement La voix (La vwa!) pour Louis-Jean Cormier, qui devint un coach consensuel de la téléréalité musicale, ce qui ne lui a certes pas nui pour atteindre un degré de popularité clairement supérieur au groupe qui en avait conféré la crédibilité. Ce qui n’enlève rien à ses accomplissements en solo, et on en dira autant de ses collègues, particulièrement François Lafontaine et Julien Sagot.
Sur une moquette de claviers doux, Moi-léger prend du poids au fur et à mesure de son exécution assisté des chants d’un auditoire ravi. De retour dans le nouveau chapitre, on se trouve dans le lâcher prise évoqué Dans la seconde, dont le pont s’annonce majestueux, délicieusement orné manière krautrock par les claviers de François Lafontaine et des battements de mains presto vivace contribuant à l’envolée.
Et puis ça rocke dans le rouge vif, dans ce soleil de plomb mis en scène dans Nouvelle vague. Les guitares prennent le relais, la tension monte d’un cran. Marie-Pierre Arthur, membre de la famille élargie comme on le sait, est invitée à monter sur scène pour côtoyer LJC : “ Oublie pas mon coeur avant qu’on s’écoeure” dit la chanson. Marie-Pierre balance le 2e couplet et le jam nous fait redécoller.
À fond la caisse et sans déraper dans les courbes, Karkwa roule en pleine maîtrise sur le Chemin de verre, chanson conclue jeudi avec des guitares graveleuses et un dernier couplet servi devant un mur aux tons de bleu. C’est écrit dans le ciel, on va Dormir le jour et on aura droit à un épisode stoner rock sur fond noir et blanc. Ça gronde de partout ! Les percussions se doublent, les 8 tiges de lumière resplendissent sur scène.
LJC manifeste son contentement aux fans, les guitares tricotent de la soul autour des claviers, cette fois new age / ambient. Le groove qui s’ensuit rappelle Radiohead (comme on l’observait naguère), c’est L’échafaud. Un groove rock lent et dramatique devient ensuite la roue d’Épaule froide. La ballade Du courage pour deux est servie avant le rappel, chanson réaliste assortie d’un bridge surréel.
Et c’est le rappel, trois titres ont été prévus. D’abord Échapper au sort, un hymne de circonstance, émaillé de rock et de de martèlements binaires. L’exécution est toutefois interrompue par un ennui technique et Karkwa nous fait oublier ça avec un court pastiche U2esque avant que l’hymne s’impose finalement et s’imprègne en nous. Et puisqu’il s’agit bien de “faire plaisir”, une demande spéciale est exaucée: Karkwa déclenche un Coup d’état bien senti avec des relents de Pierre Flynn et d’Octobre, le tout culminant avec un jam bouillant dans les dernières mesures.
Gentleman devant l’Éternel, LJC n’oublie pas de saluer feu Karl Tremblay et la soirée se conclut avec 28 jours au 30e jour de novembre. Marie-Pierre Arthur et Pat Watson, qui avait jadis ouvert pour Karkwa en 2006 et qui a courtoisement accepté de refaire l’exercice en toute humilité malgré son immense réputation, montent sur scène et chantent avec Karkwa. Le vrai bonheur pour les fans de la première ligne et les plus jeunes, venus s’instruire dans le pur plaisir.
Crédit photo: Marc-Étienne Mongrain
KARKWA SE PRODUIT AU MTELUS LE 1ER, 2 ET 9 DÉCEMBRE, AINSI QUE LE 23 NOVEMBRE 2024