Notre dossier en continu se poursuit avec la cofondatrice et directrice générale du festival Nuits d’Afrique, présenté à Montréal depuis les années 80. Inutile de souligner que Suzanne Rousseau était sous le choc lorsque le gouvernement québécois a annoncé lundi la suspension des spectacles et concerts devant public pour une durée (minimale) de 28 jours.
« Cela ne me semble pas très logique d’avoir annulé tout ça, mais ce sont eux qui savent, hein ? J’essaie d’être diplomate mais… Toute cette préparation, tous les efforts consentis pour tenir des événements sécuritaires devant public dans ce contexte… Je me demande à quel point les décideurs du gouvernement en sont conscients. On avait déjà vécu ça en mars, tout s’est arrêté abruptement. Après, il y avait espoir de rouvrir et on n’a pu le faire avant la mi-juillet. »
En mars dernier, la programmation des Nuits d’Afrique était complétée à peu de choses près et…
« Nous n’avions pas lancé notre campagne publicitaire mais nous avions conclu toutes nos ententes avec les artistes internationaux, sauf que nous avions été prudents de ne rien annoncer. En avril, nous avons décidé que nous présenterions un festival différent à l’automne. Nous nous croyions sur une bonne piste lorsque nous l’avions annoncé en août, car la capacité d’accueil venait d’être portée à 250 spectateurs.
« De plus, nous avons présenté en août Les Visages de Nuits d’Afrique, une œuvre multimédia interactive projetée sur des façades du Quartier des spectacles, mettant en relief les artistes Djely Tapa, Mateo, Naxx Bitota et la troupe Benkadi. Le concept multimédia fut imaginé par l’artiste Jérôme Delapierre. Par ailleurs, des photos et projections numériques des Visages de Nuits d’Afrique sont encore présentées en octobre au Complexe Desjardins. »
Au festival Nuits d’Afrique, on voulait vraiment présenter des événements devant public et déployer une stratégie numérique.
« Nous avons conclu une entente avec l’entreprise Livetoune qui fait des captations de qualité. Nous avons aussi investi dans le Balattou qui est aujourd’hui transformé; on a un nouveau système d’éclairage, des rideaux de spectacle, un nouveau plancher de scène, tout’ le kit ! Cet été, nous avons présenté un cabaret acoustique, avec deux groupes chaque soir du jeudi au dimanche. Notre public suivait très bien les consignes, nous étions encouragés. »
Ainsi, 25 concerts ont été programmés, dont plusieurs webdiffusés. À l’évidence, ce n’est plus le cas : seules les prestations de Wesli et Mateo ont été tenues devant public, celles n’étant pas prévues en webdiffusion ont toutes été annulées, les autres auront lieu comme prévu, mais sans public.
« Nous étions très fiers de mettre en valeur la scène d’ici, nous avons quand même choisi des artistes locaux de niveau international. Plusieurs d’entre eux tournent déjà et plusieurs autres ont le potentiel d’y parvenir. Nos partenaires média étaient prêts à embarquer, notre campagne de publicité était bien partie et tout ça s’est arrêté d’un coup. C’est très dur à vivre », se désole Suzanne Rousseau.
Comme tant d’organisations se consacrant aux arts vivants, les Nuits d’Afrique voient donc plusieurs initiatives pulvérisées en zone rouge.
« Nous voulions démontrer à notre tour qu’il était possible de présenter un festival devant public en toute sécurité. Lorsque nous avons programmé nos concerts en salles, nous avons pris un grand soin pour distancier les gens dans les règles prescrites. C’était vraiment bien organisé, c’est très dommage que ça ne soit pas pris en considération. Je n’ai pas le temps d’analyser ce qui se passe… en fait, je ne veux pas. Je dois cesser d’y réfléchir… c’est trop d’émotions ! J’essaie plutôt de me concentrer sur nos webdiffusions, faire en sorte qu’elles soient bien montées et bien vues. Je garde donc mon énergie pour ceux qui peuvent jouer et être vus et que ça se passe bien. Après, quand ce sera fini, je pourrai analyser, mais pour le moment… »
Heureusement, la direction des Nuits d’Afrique avait prévu une viabilité financière de l’événement sans public. « Notre montage impliquait une jauge très basse côté billetterie, on ne s’attendait pas à d’importants revenus autonomes. C’est pourquoi nous allons maintenir toutes les performances dans les salles prévues pour des captations audiovisuelles. Nous sommes confiants d’obtenir un réel succès de webdiffusion. Ce qui m’inquiète, c’est la suite. »