Celui qui célébrait en décembre 2024 ses 50 ans de carrière sur la scène du Ministère, à Montréal, a fait le tour de bien des façons de faire des folies à deux. Depuis Les Granules dans les années 1980, avec le multi-instrumentiste Jean Derome, jusqu’à Reza & moi (2020), avec Reza Yazdanpanah (târ et voix), en passant par La vie qui bat, son duo des années 1990 avec le batteur Pierre Tanguay, ou Dur noyau dur, à la même époque, avec le joueur de tourne-disque Martin Tétreault, le musicien explore l’interaction et la fusion avec l’autre. Et on n’oublie pas, justement, « Nous autres », son enregistrement en concert de 1986 avec Fred Frith, cet autre multi-instrumentiste. Juste cette liste ferait déjà une belle discographie, mais on est loin du compte, René Lussier s’étant épivardé en tant qu’instrumentiste, chanteur, compositeur ou producteur sur des dizaines d’albums.
Fusionner donc. Comme les deux allumettes que l’on retrouve sur la pochette de « Fiat lux ». Ou comme les Jumeaux du titre de la première pièce du disque, qui semblent chanter comme un monstre à deux têtes. Lussier revisite ici, entre les nouveautés, quelques pièces de son propre répertoire, comme Rien d’acquis, une reprise de l’album Tabula rasa (tiens, une autre expression latine) ou Troc, qui reprend la formule du Troc de viande des Granules, avec le guitariste qui éructe des onomatopées par-dessus ses explosions d’accords. Le duo s’aventure aussi chez Ornette Coleman avec Haven’t Been Where I Left et offre une belle interprétation de La feuille d’érable, d’Albert Larrieu. « Albert qui? » direz-vous peut-être… Larrieu, compositeur et auteur de cette chanson du début du XXe siècle qui a été adoptée comme hymne par la Ligue nationale d’improvisation, ce qui, évidemment, est tout à fait de mise, les deux larrons ne se gênant pas pour s’aventurer sur le terrain glissant de la composition spontanée (mais avec des crampons!).
Il y a tout un monde dans la guitare de René Lussier, mais ça ne l’empêche pas d’étendre son univers sonore en y ajoutant quelques instruments, disons, décalés, comme la guimbarde ou le daxophone. Son comparse Robbie Kuster (que vous pourriez avoir entendu avec Patrick Watson ou Marianne Trudel, entre autres) n’est pas en reste, ni à la batterie, qu’il chauffe à point, ni avec son égoïne ou son orgue à clou (essentiellement, une planche sur laquelle sont plantés des clous de longueurs diverses et que l’on joue avec les doigts, façon kalimba). On peut entendre cet instrument, aux sonorités plus douces que pourrait le laisser croire son nom, sur Ayoye.
Ce premier disque post-demi-siècle est finalement une belle façon de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur sans trop en avoir l’air. On a même un très bref rappel du « Trésor de la langue » dans Biscuit. Un duo explosif, qui n’a besoin que d’une petite allumette, et avec lequel René Lussier nous offre encore une fois toute l’originalité du trésor de sa langue.
À voir en concert à travers le Québec, en formule duo ou trio ( avec Hugues-Olivier Blouin à la contrebasse) entre juillet et octobre :
René Lussier | Artists | Spectacles Bonzaï