Un nouveau cycle s’entame pour Mon Doux Saigneur. Autant artistiquement que commercialement. Émerik St-Cyr Labbé et sa bande, fraîchement indépendants, nous reviennent cet automne avec Du soleil dans l’œil, un disque solide qui voit le groupe s’éloigner petit à petit de ses premiers amours.
Si on pouvait s’imaginer rouler sur la route 66, en décapotable et en plein soleil, à l’écoute des trois premiers albums à saveur country-rock de Mon Doux Saigneur, c’est bien un road trip inverse qui nous vient en tête quand on se penche sur la dernière galette servie par le quintette. On s’imagine plutôt faire un trajet en voiture le soir. Un trajet de nuit, en fait. Les phares éclairant les sapins environnants alors que la route est encore longue et que la fatigue est de mise.
Dès les premières secondes de Se baigner, l’instrumentation simple, à base de batterie étouffée, de lignes de basse groovy et de guitare aiguë très 70s, laisse entendre un penchant R&B et soul pour l’instant jamais autant exploité par le groupe. Rose Perron, du duo Rau_Ze, qui devient peu à peu spécialiste dans le genre à Montréal, amène un discret, mais bel apport sur trois morceaux de l’album avec ses back vocals réussis. Pas la seule grande dame de la musique québécoise actuelle qui se retrouve sur le récent projet de Mon Doux Saigneur puisque Klô Pelgag est invitée à chanter sur la troisième mouture des Hook, série de morceaux désormais classiques dans l’univers de Mon Doux Saigneur. La collaboration est pleinement aboutie et laisse place à une Klô Pelgag à l’aise, malgré le style du morceau qui détonne assez fort avec son univers à elle. Marcher dans le noir comporte un agréable moment instrumental qui semble directement inspiré par le son de Pink Floyd de la fin des années 60/du début des années 70, ce qui nous fait penser qu’il y aurait peut-être dû y avoir un peu plus de jams au travers de l’album.
St-Cyr Labbé livre tout au long de Du soleil dans l’œil des textes directs et convaincants. On n’a peut-être jamais vu l’artiste aussi serein et relâché que sur cet album, comme en témoignent ses paroles à la fois optimistes (« une passe rough / c’t’un boute tough / goddamn / un passage obligé / chaque jour en cache un meilleur », Son Mad) et altruistes (« fais-moi confiance / pour chasser les nuages / au sommet de ta tête », Marcher dans le noir). L’artiste a vécu il y a huit ans de cela un drame familial terrible, mais il ne s’est pas enfermé pour autant dans un spleen à la manière d’un Gab Bouchard. Ça fait du bien, de temps en temps, d’entendre ce genre de discours résilient.
Bref, c’est un virage risqué, mais réussi et cohérent pour la troupe de Mon Doux Saigneur, qui vient de faire paraître l’un des tout bons disques de l’automne au Québec.