Yoo Doo Right et la quête de l’oiseau de feu

Entrevue réalisée par Louise Jaunet

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Avec dans son sac deux EP en plus d’un split sorti l’an passé avec les légendaires japonais d’Acid Mothers Temple, Yoo Doo Right concrétise le récit de son épopée cosmique sur ce très attendu premier album au titre cryptique Don’t Think You Can Escape Your Purpose. Tels de véritables guerriers romantiques, le trio démontre sur cet album qu’il maîtrise aussi bien la force de frappe d’un CAN ou d’un NEU! que l’art de la phénixologie hermétique de l’école de Berlin de Tangerine Dream ou d’Ash Ra Tempel, tout en restant aussi pertinent que ses contemporains 10 000 Russos ou Gnod et son album JUST SAY NO TO THE PSYCHO RIGHT-WING CAPITALIST FACIST INDUSTRIAL DEATH MACHINE.

Pour mieux comprendre ce que cache ce titre à la vision déterministe, nous sommes partis à la rencontre du guitariste Justin Cober et du bassiste Charles Masson qui nous ont tous deux accueillis dans le petit atelier de Mile End Effects, non loin du quartier général de Godspeed, où les condos poussent d’ailleurs comme de la mauvaise herbe. Situé dans une vieille bâtisse qui aurait servi d’usine d’armement pendant la Seconde Guerre Mondiale (et possiblement hantée par un fantôme de cette même époque), Justin Cober s’y est établi pour construire lui même en solitaire une tout autre forme d’artillerie électrique cette fois pacifiste : des pédales d’effet.

Crédit photos: Stacy Lee

PAN M 360 : Votre premier EP est sorti en 2016, mais avant cela, il n’y a pas beaucoup d’informations sur le groupe. Alors, tout d’abord, quand est-ce que vous vous êtes rencontrés tous les trois et quand avez-vous commencé à jouer ensemble ?

Charles Masson : Il y a environ 10 ans, Justin vivait à Toronto et j’étais à Montréal. Un concert a été organisé pour mon groupe à Toronto et j’ai immédiatement accroché sur le groupe de Justin, New Wings. Nous sommes restés en contact après ça. Environ six ou cinq ans plus tard, Justin a déménagé à Montréal et a fait venir son nouvel ami John, qui est originaire d’Edmonton et qui vivait à Montréal pour étudier. Nous avons commencé à jouer ensemble et avons aussitôt fondé le groupe. Trois mois plus tard, nous donnions notre premier concert.

PAN M 360 : Où avez-vous joué votre premier concert ?

Charles Masson : C’était dans une salle de concert DIY à Pointe-Saint-Charles appelée BAD LUNCH. Nous étions avec deux groupes de jazz. C’était au dernier étage d’une maison, sur une toute petite mezzanine, c’était très petit et très étrange mais c’était un très beau premier concert. Les salles improvisées sont ce que nous préférons.

PAN M 360 : Votre musique a tendance à créer une forme de mur du son sur scène en utilisant des amplis des années 70 et des pédales d’effets, atteignant presque le niveau risqué de 140 dB. Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir atteindre un volume aussi élevé ?

Justin Cober : En réalité, c’est vraiment quelque chose de transcendant. Lorsque vous êtes réellement capable de sentir les vibrations de cette boule de rage provenant de la scène, c’est tellement renversant. C’est assez magique.

Charles Masson : Nous nous sommes tellement habitués à ça en pratiquant à ces niveaux de volume sonore importants. Nous avons créé des textures qui ne ressortent pas autant que nous le voudrions lorsque l’on baisse le volume. Nos chansons sont créées pour des volumes sonores élevés, il est difficile de faire des compromis sur ce point. Quelqu’un a dit : enfin un album de Yoo Doo Right, on peut finalement baisser le volume.

Justin Cober : Je reprendrais les mots de Kevin Shields quand il parlait du son sur scène de My Bloody Valentine. Il disait en gros que lors des premières répétitions, ils jouaient à un volume qui les plongeaient dans une sorte d’état de transe. A la fin de leurs répétitions, ils riaient tous jusqu’à être dans un état d’euphorie. C’est une description très juste de ce que l’on ressent. Parfois, lorsque nous jouons, nous terminons une chanson et nous nous asseyons, nous prenons quelques respirations et nous rions tout simplement. Ça fait vraiment beaucoup de bien. Nous sommes des personnes plutôt réservées, alors je pense que cela peut être vraiment intéressant de créer une telle force, c’est comme une voix extérieure à la nôtre. Avoir ses orbites qui vibrent à l’intérieur de sa tête… Entendre certaines fréquences à des volumes aussi ravageurs, c’est juste une tonne de plaisir. Si ce n’est pas de la magie, je ne sais pas ce qui peut l’être.

PAN M 360 : Votre musique est notamment influencée par le mouvement allemand krautrock des années 70 et ses schémas rythmiques. Qu’avez-vous trouvé d’intéressant dans cette période de la culture allemande ?

Justin Cober : Cela a beaucoup à voir avec le climat socio-politique de l’Allemagne à la fin des années 60. En Amérique du Nord, et en particulier sur la côte ouest des États-Unis, il y avait tout ce mouvement hippie qui était né d’un rejet de la vision du monde de leurs parents. Mais en Allemagne, c’était plutôt un rejet de ce que leurs parents représentaient. S’ils n’étaient pas activement engagés dans la mentalité nazie, ils étaient au moins complices en grande partie. En reconstruisant les structures de l’Allemagne et des villes bombardées, ils ont aussi voulu reconstruire une identité culturelle. C’était férocement politique et antifasciste. Il y avait beaucoup de collectifs remarquables que l’on pouvait considérer comme des terroristes nationaux, mais ils étaient tout simplement déterminés à reconstruire l’Allemagne d’une manière que leurs parents ne pouvaient imaginer. C’est ce qui m’a le plus marqué. Je pense que l’histoire a tendance à se répéter. Nous nous trouvons constamment dans des situations où les gens sont contraints et opprimés. J’apprécie vraiment ce sentiment que l’on retrouve dans le krautrock. Et c’est aussi de la très bonne musique.

PAN M 360 : Comment le mouvement psychédélique allemand se démarque-t-il du courant contre culturel américain selon vous ?

Justin Cober : Pour le meilleur ou pour le pire, le mouvement de la contre-culture aux États-Unis était principalement une affaire d’esthétique. Quand on regarde maintenant, tous les hippies anticapitalistes ont fini par créer leurs propres grandes compagnies et continuent à foutre la merde dans le monde. Cela avait beaucoup à voir avec le mince voile de l’image et de l’esthétique alors qu’en Allemagne, je pense que c’était beaucoup plus poussé que cela, cela signifiait beaucoup plus que de mettre des fleurs dans les cheveux des gens, d’écouter les Byrds ou que sais-je encore.

PAN M 360 : Leur message était effectivement beaucoup plus politique. Amon Düül a même déclaré un jour vouloir se produire gratuitement dans des usines à un moment donné, par exemple.

Justin Cober : Même dans la façon dont toute cette musique se présente, elle peut être très brutale et industrielle. Il y a cette sorte de prise de position qui est faite d’une manière audible. C’est presque comme deux plaques tectoniques qui se poussent et se brisent l’une contre l’autre. C’est comme créer cette renaissance originelle de la culture et de la conscience.

PAN M 360 : Le titre de votre album Don’t Think You Can Escape Your Purpose est une affirmation très forte, en particulier pour des artistes. D’une certaine manière, cela me rappelle Julian Cope qui disait que le krautrock était une « Odyssée gnostique du genre « Trouve le Dieu qui t’habite en libérant tes démons » ». Est-ce que vous vous reconnaissez dans cette expression ?

Justin Cober : D’une certaine manière, oui. L’idée est de se construire une vie dont on ne cherche pas à se sauver, de trouver un but et un sens à des projets qui ne sont pas nécessairement considérés comme viables financièrement en termes de carrière. Ou de se demander si l’on est ou non un membre productif de la société dans un contexte capitaliste très spécifique. Nous essayons de trouver de la valeur et de la satisfaction dans nos communautés et dans nos projets personnels qui nous font nous lever le matin. Vous trouvez un but en vous-même, pas en travaillant pour quelqu’un d’autre et en faisant quelque chose que vous détestez absolument, en étant exploité et valorisé pour votre valeur monétaire. C’est une très bonne citation et elle donne tout à fait son sens à l’album, je suppose.

PAN M 360 : A quoi cela ressemble-t-il pour chacun d’entre vous de construire une vie dont vous n’avez pas besoin de vous enfuir ?

Charles Masson : Je suis au chômage depuis deux ans et j’essaie de me sortir de cette situation en créant ma propre petite entreprise, peut-être une petite épicerie. Il faut être capable de prendre du recul pour voir ce qui vous attire dans vos projets de vie concrets.

Justin Cober : Insuffler autant de volonté et d’intentions dans ce que vous faites comme une extension de qui vous êtes en tant que personne et trouver un moyen de le faire. Charles et moi sommes dans une posture très privilégiée dans le sens où nous avons pu travailler sur quelque chose que nous aimons faire. C’est un sentiment très agréable. Tant mieux pour vous si vous avez les moyens d’essayer de suivre ce que vous pensez être votre but dans la vie. Beaucoup de gens n’ont pas cela. Il n’y a pas d’illusion là-dessus, mais nous essayons de promouvoir l’idée que les gens valent beaucoup plus que leur travail ou la valeur qui leur est accordée dans un sens capitaliste. Les passions et les sentiments ont plus de valeur que les salaires qu’ils rapportent, même s’il est évident que nous sommes obligés d’exister dans ce contexte.

PAN M 360 : Dans la vidéo de la chanson titre, vous avez utilisé le film Cosmic Zoom d’Eva Szasz. Celui-ci illustre bien les paroles qui évoquent une personne qui essaie de trouver une chose plus grande qu’elle-même pendant un moment de folie où elle a perdu le contact avec la réalité. Voulez-vous nous en dire plus ?

Justin Cober : Les paroles parlent de quelqu’un qui pense être un ambassadeur pour les humains de notre planète auprès d’une communauté extra-terrestre. C’est en grande partie le résultat de sa propre maladie mentale. Cette personne attend d’être téléportée, mais elle devient de plus en plus paranoïaque à l’idée que les gens vont découvrir ses secrets.

PAN M 360: Vous dites aussi que cette personne a été choisie pour résoudre les problèmes de notre espèce. Pour vous, quels seraient les problèmes auxquels cette personne doit faire face?

Charles Masson: Les caprices des gens qui ne connaissent foutrement rien.

Justin Cober : Combien d’heures avez-vous ? Putain, je ne pense pas que nous ayons besoin de faire le calcul si l’on peut dire. Il y a tellement de problèmes auxquels nous sommes confrontés et auxquels nous avons toujours été confrontés. Il y a une plus grande urgence. Chaque fois que je rencontre un nouveau dilemme auquel notre espèce et toutes les autres espèces de cette planète doivent répondre, les processus de ma pensée deviennent comme des petites rivières qui se jettent dans un même grand océan qui est notre condamnation finale. Nous sommes dans la merde. Il y a tellement de choses auxquelles nous devons faire face et ça me brise le cœur d’y songer. Les solutions sont guidées par les mêmes facteurs qui nous ont mis dans cette situation critique. Le sol sur lequel nous sommes basés est fondé sur cette idée d’oppression et de nuire aux gens pour s’enrichir.

Charles Masson : Au nom de la croissance.

Justin Cober : Le moment où notre souci des autres a été supplanté par cette idée de croissance et par ce que cela signifie de réussir, c’est là que nous avons été condamnés, nous avons asservi des gens et des animaux. Comment prendre du recul et réaliser que cette idée est à la base des problèmes auxquels nous sommes confrontés ? La marchandisation de la vie est merdique, c’est difficilement concevable. Beaucoup de gens n’y pensent pas, parce qu’ils préfèrent ne pas y penser et je le comprends.

PAN M 360 : Une autre façon de voir les choses est que si quelque chose ne fonctionne pas sur le plan biologique dans la nature, celle-ci a tendance à s’en débarrasser. Donc, si notre espèce doit disparaître, cela pourrait être selon les lois de la nature.

Justin Cober : Il y a cette incroyable citation de George Carlin : « La Terre Mère, la planète, va être là, elle va bien se porter. C’est nous qui sommes foutus. La planète va nous expulser comme un mauvais rhume ». La planète va probablement être là. Si elle est habitable pour nous, c’est une autre histoire. Peut-être que ce serait la meilleure solution. Peut-être que la disparition de notre espèce est comme la Terre qui surmonte un cancer et entre en rémission.

PAN M 360 : Pour terminer sur une note plus légère, après avoir découvert votre dessein, quelle est la prochaine étape pour Yoo Doo Right ?

Justin Cober : Nous allons simplement continuer à jammer.

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