C’est par un bel après-midi ensoleillé que près de deux milles personnes se sont entassées dimanche dans la Maison Symphonique pour entendre l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) en format réduit et dirigé par la cheffe et soliste Rosanne Philippens enchaîner les Quatre saisons d’Antonio Vivaldi et celles de Buenos Aires d’Astor Piazzolla.
Il est intéressant, et courant, de présenter les deux corpus dans le même programme, d’autant plus qu’ils sont séparés par environ 230 ans et quelques 11 000 kilomètres. Ce qui surprend cependant, c’est d’alterner les Saisons de Vivaldi par celles de Piazzolla. Comme auditeur, il est facile de passer du baroque au tango, mais l’inverse est moins fluide. Il n’est mentionné nulle part dans le programme les raisons de cette décision. Notre hypothèse est que comme l’une des deux œuvres fait deux fois la longueur de l’autre, un ordre permet de présenter deux parties de concert d’une durée égale.
Il est utile de rappeler ce que sont les Saisons de chacun. Chez Vivaldi, ces quatre concertos s’accompagnent de poèmes, probablement écrits de la main du compositeur. Ceux-ci font allusions essentiellement à des activités (une fête, la chasse), des personnages humains ou animaux, la température ou encore des sentiments et des ressentiments (la peur, le froid). À ce titre, il aurait été préférable d’opposer les deux pupitres de violons avec un continuo au centre plutôt que d’opter pour la formation orchestrale traditionnelle. Ainsi, les oiseaux ne chantent pas tous du même côté et le vent tournoie dans tous les sens.
Il ne fallait pas être hypermétrope pour pouvoir suivre la musique avec les poèmes imprimés dans le programme, tant la luminosité était peu présente au milieu du parterre. Le Printemps s’annonçait pas grand-chose d’intéressant; les cordes étaient lourdes et on ne sentait pas et la légèreté du chant des oiseaux. Les longues notes ne se prêtaient pas au rythme pastoral du troisième mouvement et l’esprit de danse passait inaperçu. Au moins, cette articulation rendait justice au chien jappant représenté par l’alto dans le deuxième mouvement.
Heureusement, ce fut le seul moment moins réussi du concert. Dès l’Été, on sent la terreur et la tempête se déchainer dans un tempo vif dans une articulation marquée. L’Automne passe aussi le test, malgré que le mouvement lent, la nuit, est joué trop vite pour une indication Adagio Molto. Les successions d’accords de ce mouvement sont magnifiques et méritent qu’on les délecte, laissant le champ libre au claveciniste.
L’Hiver est de loin la saison la plus réussie, car il y a beaucoup plus de liberté dans les effets sonores et le tempo, alors que les trois autres concertos ont été interprétés plus traditionnellement. Les violons sont grinçants et on sent le froid nous pénétrer, le vent tournoyer et les « dents claquer », comme écrit dans le poème.
Chez Piazzolla, les Cuatro Estaciones Porteñas (porteñas signifie les habitants de Buenos Aires) « décrivent musicalement les différentes périodes de la vie des habitants de la banlieue de de Buenos Aires en fonction des changements saisonniers ». L’exécution de dimanche fut tantôt mélancolique, tantôt très énergique et vivante. Les rythmes de tango étant marquées à point, il était amusant de voir le théorbiste taper du pied en attendant de rejouer, tentant le public de faire pareil. Les effets de claquement et de glissandos surprenaient par leur précision. Chapeau à l’OSM mené par un dynamique Olivier Thouin d’avoir réussi à jouer cette œuvre sans chef menant avec la baguette.
Rosanne Phillipens est une bonne violoniste et une très bonne communicatrice. Malgré quelques erreurs de justesse, elle passe d’une partition à l’autre sans problème. La communication entre elle et les musiciens est fluide et la balle se passe comme si de rien n’était. Mention honorable également au joueur de théorbe dont le nom n’apparaît nulle part et au claveciniste Luc Beauséjour, qui ont ornementé avec brio les Vivaldi. M. Beauséjour a eu l’honneur de terminer le concert sur une pointe d’humour; dans l’arrangement de Leonid Desyatnikov, le Primavera Porteña de Piazzolla se terminant par un écho du début du Printemps de Vivaldi au violon. Relayé au clavecin, cela fait drôlement allusion à une sonnerie de téléphone cellulaire, qui heureusement, n’a pas sonné dimanche après-midi.