le vaisseau d’or vogue vers de nouveaux cieux

Entrevue réalisée par Louise Jaunet
Genres et styles : dream-pop / rock psychédélique / shoegaze

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Le nom de la région du Nunavik (ᓄᓇᕕᒃ) signifie « la grande terre » dans le dialecte inuktitut des inuits qui occupent cette région depuis plus de 4 000 ans. Les nouveaux paysages sonores vaporeux de l’EP Desire Forever du groupe montréalais le vaisseau d’or sont à l’image de cette région aux terres glaciales et forestières, encore figées dans le temps car uniquement accessibles par voie aérienne. Un court-métrage tourné entre ciel et terre accompagne cet EP avec une séquence filmée lors d’un voyage au Nunavik du cinéaste et libraire Farid Kassouf, qui a également récemment mis en image les mots de la poétesse ilnue Marie-Andrée Gill.

PAN M 360 s’est entretenu avec les deux guitaristes Étienne Thibeault et Gabriel Vallée pour explorer ce nouvel horizon aventureux que cet EP dessine au loin pour le vaisseau d’or.

PAN M 360 : On sent que les images filmées par Farid Kassouf sont très intimement liées aux chansons du nouvel EP Desire Forever. Qu’est ce qui vous a donné envie de choisir ces images aériennes du grand nord?

Gabriel Vallée : Lorsque l’on a enregistré les sessions initiales à CJLO, on voulait les filmer avec Farid pour voir ce que ça pouvait donner. Finalement, il a sorti ces images qu’il avait filmées quelques années auparavant. Il est allé quelques fois au Nunavik pour son travail. Le plan de cette séquence était de la même longueur que l’enregistrement. Il est toujours en train de ramasser du stock et attend les bonnes occasions pour l’associer à quelque chose.

Étienne Thibeault : Les images et la musique se sont naturellement associées. C’est fou à quel point les deux fonctionnent ensemble. Elles ajoutent une autre dimension que nous n’avions pas vu à la base et les deux sont maintenant indissociables. Même le artwork a été fait avec les images du film.

PAN M 360 : Votre musique se construit sur la longueur avec un monde sonore qui se développe comme des immenses espaces aérés. Qu’est ce qui vous pousse à créer ces vastes paysages sonores?

Gabriel Vallée : C’est un reflet de l’évasion qu’on recherche à travers la pratique. On dirait que les connexions se font autrement dans ces moments là. Olivier Lefebvre (farsifa, synthétiseur modulaire, catalyseur), un autre membre du groupe, dit souvent que lorsqu’il vient pratiquer, cela lui permet de tout oublier. C’est comme laisser la place aux petits mondes intérieurs.

Etienne Thibeault : Notre musique évolue en laissant les choses se déposer. On peut jammer la même séquence d’accords pendant 20 minutes pour trouver précisément ce qu’on aime. On fait nos recherches de plus en plus dans ce sens là. On explore et on découvre notre musique en la jouant. C’est sûrement ce qui donne ce sentiment d’espace.

Gabriel Vallée : On a mis deux ans à sortir trois chansons (rire). C’est ça notre état d’esprit, c’est comme s’élancer dans l’univers.

PAN M 360 : Dans l’ensemble, l’EP donne le même sentiment d’infini et de bliss que la chanson Walkin’ with Jesus de Spacemen 3. Comment voyez vous cette quête intérieure d’infini?

Étienne Thibeault : Spacemen 3 est une très grande influence pour nous. J’ai écouté cette chanson tous les matins pendant plusieurs années. La longueur de la chanson correspondait exactement à la distance entre mon école et mon appartement. Avant même que le vaisseau d’or n’existe, Gabriel m’avait fait découvrir Spacemen 3 et on parlait justement de ne jouer qu’une note ou deux pendant 20 minutes. Depuis l’origine, ce qu’on fait est beaucoup construit autour de ces concepts-là. Il y a quelque chose de cérémonial et de méditatif.

Gabriel Vallée : Cette chanson est faite comme une répétition avec uniquement deux chords. On peut aussi bien la faire durer 35 minutes ou l’écouter 30 fois pendant une ride en voiture. Elle est faite comme un mantra. Ils étaient influencés par des compositeurs d’avant-garde qui eux étaient inspirés par la musique indienne, comme les ragas, qui est très reliée à la méditation et la spiritualité. Il s’agit clairement d’une recherche intérieure. Lorsqu’un drone joue pendant 30 minutes, je ne peux pas croire qu’on puisse penser activement à tout ce qu’il se passe sur l’instrument pendant ce temps-là. C’est clairement relié à un état méditatif.

PAN M 360 : Le premier morceau Desire Forever est un titre improvisé durant la session enregistrée à CJLO. Pourquoi avoir décidé de le conserver?

Étienne Thibeault : Ça faisait longtemps qu’on improvisait et jammait dans cette forme. Elle fait vraiment une scission avec ce qu’on a pu enregistré avant. Je suis content qu’on ait gardé cette pièce là, c’était comme une partie du son du groupe qu’on arrivait à capter live et qu’on ne retrouvait pas dans les enregistrements. Je trouve qu’elle fait une belle pièce d’ouverture ambient.

Gabriel Vallée : Le but est d’essayer de capturer la magie et de capter LE moment. Quand tu enregistres live, tu te dis que tu veux faire deux prises maximum par exemple. Tu fais un morceau qui n’existe pas encore et qui n’est pas arrangé ou complété d’avance. C’est un ressenti. C’est comme ça qu’on aime enregistrer, pour capter une émotion.

Étienne Thibeault : On peut même jouer avec les « erreurs accidentelles ». Tu les réécoutes et elles font partie de la musique. 

Gabriel Vallée : La manière dont elle a été produite l’a faite exister aussi. On l’avait déjà jouée quelquefois, notamment à la SAT, on l’avait dans nos têtes. Mais Collin l’a fait exister. 

PAN M 360 : Qu’est ce que le travail de mixage de Collin Hegna a ajouté à vos morceaux?

Étienne Thibeault : Il s’est amusé à passer les tracks dans des effets. Par exemple, la drum machine est passée dans une ampli avec de la grosse réverbération. Ça a amené beaucoup d’espace à la musique. 

Gabriel Vallée : C’était la première fois que quelqu’un comme lui, qu’on ne connaît pas personnellement mais qu’on admire, travaille sur notre musique. On lui a fait confiance et on voulait avoir ce dialogue. Dans le processus, cette relation là est vraiment hot. Après 5 minutes de discussions, il avait compris comment on voulait que ça sonne. L’univers des possibles qu’il avait à offrir était intéressant. 

PAN M 360 : Vous citez le réalisateur russe Andrei Tarkovsky comme référence au processus de création de cet EP, avec son style de cinéma contemplatif voire mystique. Comment vous a-t-il influencé?

Gabriel Vallée : Durant une période de recherche et d’exploration, écouter un film est comme un processus d’absorption et d’évasion. Son travail esthétique est assez poussé et complet par rapport aux images et aux sons, comme les films Solaris et Mirror.

Étienne Thibeault : Son travail se développe lentement. J’aime quand la musique plante un décor. On se retrouve à ne plus savoir si elle joue depuis 3 minutes ou 15 minutes. On aime beaucoup explorer ces zones-là. Le cinéma contemplatif donne aussi le temps au spectateur de faire un voyage et de réfléchir dans cet univers-là. 

Gabriel Vallée : La cinéaste belge Chantal Akerman parlait beaucoup de ce processus là de vouloir jouer avec le temps. Pendant une entrevue, elle parle de savoir quand est ce qu’un plan fixe est trop long ou pas, et finalement elle préfère le laisser aller un peu plus. Je trouve ça fou de pouvoir jouer avec la perception et c’est ce qui nous influence.

PAN M 360 : Dans son livre Le Temps scellé : De l’Enfance d’Ivan au Sacrifice, Tarkosky écrit « La fonction de l’art est de préparer l’homme à sa mort, de labourer et d’irriguer son âme, et de la rendre capable de se retourner vers le bien ». Comment est ce que vous voyez cette citation par rapport à votre travail?

Gabriel Vallée : Il est très philosophe. On pourrait voir ça comme se pratiquer à voir la beauté dans l’acceptation.

PAN M 360 : En près de 10 ans d’existence, vous en êtes avec Desire Forever à votre 5ème EP. Toujours pas d’album en vue?

Étienne Thibeault : Il faut voir combien de chansons sont prêtes lorsqu’on arrive au studio la prochaine fois. On pense à un 45 tours.

Gabriel Vallée : Pour le prochain, on rapetisse. On ne veut pas se précipiter. On va plutôt miser sur la compilation posthume de 12 EP (rire).

Crédit photo : Farid Kassouf

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