Pays : Canada (Québec) Label : Analekta Genres et styles : classique moderne Année : 2024

Orchestre du Centre national des Arts/Orchestre symphonique de Québec/Choeur Mendelssohn/Jean-Sébastien Vallée, dir. – Jacques Hétu : Symphonie no 5 op.81

· par Frédéric Cardin

La Symphonie no 5 op. 81 de Jacques Hétu est une très rare œuvre de cette envergure dans le panorama canadien de la musique symphonique, peut-être même la seule. Il s’agit d’une construction ample et expansive, donnant du compositeur québécois tour à tour des airs de Sibelius, de Mahler, de Chostakovitch et de Debussy, mais avec une indéniable palette personnelle. C’est un véritable chef-d’œuvre, dont l’inspiration est la ville de Paris sous l’occupation nazie. Prenons l’exemple du deuxième mouvement, L’invasion, un scherzo puissant qui est d’une très haute teneur stylistique et n’a rien à envier à ses équivalents européens. Certains évoquent Chostakovitch. Je pense plutôt à l’Anglais Robert Simpson pour le foisonnement instrumental et l’activité rythmique ou au Suédois Allan Pettersson pour l’intensité émotionnelle. J’ose également évoquer un lien avec l’États-unien Walter Piston. 

Chaque mouvement est magistralement construit et narrativement poignant. Le premier mouvement, un Prologue amplement déployé comme un somptueux canevas debussyste est suivi du deuxième mouvement, mentionné ci-haut, un tour de force tempétueux. Le troisième mouvement, un remarquable adagio chostakovitchien dense et chargé, évoque l’Occupation, alors que l’Andante final, intitulé Liberté, est le plus long mouvement de l’œuvre avec une vingtaine de minutes. Il est aussi le plus transcendant dans ses affects. Inspiré du poème éponyme de Paul Éluard, Hétu utilise le chœur tel un devin qui évoque ce mot (il ne le prononce qu’une fois, à la toute fin) comme un chant d’espoir plutôt que comme un Graal finalement obtenu. Car, le poème ayant été écrit en 1942, l’essence de son message est bien une espérance plutôt qu’une certitude. Harmoniquement, il y a d’ailleurs une ambiguïté qui se dégage de l’écriture du Québécois. La partie chorale rappelle Fauré et Duruflé, mais le chromatisme des fourmillements de bois qui la parcourent amplifient l’impression d’incertitude, à tout le moins d’extrême pudeur face à la perspective de la libération. On imagine les futurs ‘’libérés’’ être déchirés entre un soulagement à bout de force et l’horreur de la dévastation, anticipant le titanesque travail de reconstruction à venir.

C’est là la grande intelligence, même la sagesse de Hétu, que d’avoir évité toute grandiloquence triomphaliste. Il pose un constat lucide : la liberté est parcourue d’écueils dangereux et est un perpétuel exercice d’équilibrisme, ce qui la rend d’autant plus fragile. On peut aussi lire ce dernier mouvement de diverses autres façons : la véritable liberté n’est jamais acquise, et celle que l’on acquiert recèle les semences de sa propre destruction. Un constat on ne peut plus d’actualité. Hétu ne pouvait pas avoir vu venir l’état actuel de la démocratie, mais c’est la marque d’une très grande oeuvre que de permettre ce genre de réflexion. 

L’Orchestre du Centre national des Arts, l’Orchestre symphonique de Québec et le Choeur Mendelssohn sous la direction de Jean-Sébastien Vallée offrent une lecture définitive et historique de ce très grand monument de la musique canadienne et québécoise. Essentiel.

Tout le contenu 360

Nuits d’Afrique | La Chiva Gantiva vue par Rafael Espinel

Nuits d’Afrique | La Chiva Gantiva vue par Rafael Espinel

Suoni : La quête spirituelle, la fin dans la transcendance

Suoni : La quête spirituelle, la fin dans la transcendance

FIJM | Thundercat, félin en pleine liberté

FIJM | Thundercat, félin en pleine liberté

FIJM | Bill Frisell, Thomas Morgan et Rudy Royston « exposés »

FIJM | Bill Frisell, Thomas Morgan et Rudy Royston « exposés »

FIJM | Branford Marsalis parmi quatre MF’s Playin’ Tunes

FIJM | Branford Marsalis parmi quatre MF’s Playin’ Tunes

FIJM – A propos de l’idée de Derrick Hodge sur la « couleur du bruit »

FIJM – A propos de l’idée de Derrick Hodge sur la « couleur du bruit »

FIJM | Reine des afrobeats, Ayra confirme son statut de méga… Starr

FIJM | Reine des afrobeats, Ayra confirme son statut de méga… Starr

FIJM | Le jazz black selon Marquis Hill

FIJM | Le jazz black selon Marquis Hill

Festival de Lanaudière | Leonardo Garcia Alarcon/Le Couronnement de Popée de Monteverdi : les lois du marché version 1642

Festival de Lanaudière | Leonardo Garcia Alarcon/Le Couronnement de Popée de Monteverdi : les lois du marché version 1642

FIJM | Nate Smith et son quartette de talent supérieur

FIJM | Nate Smith et son quartette de talent supérieur

Nuits d’Afrique 2025 | Tyrane Mondeny présente sa soul mandingo

Nuits d’Afrique 2025 | Tyrane Mondeny présente sa soul mandingo

FIJM | Nai Palm ? Créature d’exception ! Hawa B ? Future star!

FIJM | Nai Palm ? Créature d’exception ! Hawa B ? Future star!

FIJM | Funky funky, Trombone Shorty

FIJM | Funky funky, Trombone Shorty

FIJM | Nubya Garcia devient une star à MTL

FIJM | Nubya Garcia devient une star à MTL

FIJM | Avishai Cohen symphonique : magie totale

FIJM | Avishai Cohen symphonique : magie totale

King Gizzard & The Lizard Wizard – Phantom Island

King Gizzard & The Lizard Wizard – Phantom Island

Common Holly – Anything glass

Common Holly – Anything glass

FIJM I Hanorah enflamme la scène TD avec du R&B plein de soul

FIJM I Hanorah enflamme la scène TD avec du R&B plein de soul

FIJM | Jeff Goldblum : conteur, comédien et pianiste, 3 en 1

FIJM | Jeff Goldblum : conteur, comédien et pianiste, 3 en 1

FIJM I Still Taking Us There, Mavis Staples électrise le Festival de jazz de Montréal

FIJM I Still Taking Us There, Mavis Staples électrise le Festival de jazz de Montréal

FIJM | Gabriella Olivo, voyage musical en trois langues

FIJM | Gabriella Olivo, voyage musical en trois langues

FIJM | Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp – Ventre Unique

FIJM | Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp – Ventre Unique

Fantastic Negrito – Son of A Broken Man

Fantastic Negrito – Son of A Broken Man

FIJM | Cumbia, chaos et résistance : Empanadas Illegales viennent faire grimper le thermomètre

FIJM | Cumbia, chaos et résistance : Empanadas Illegales viennent faire grimper le thermomètre

Inscrivez-vous à l'infolettre