Ouri et Helena Deland: dualités incarnées dans Hildegard

Entrevue réalisée par Maude Bélair
Genres et styles : électronique

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Hildegard est le projet commun de la chanteuse art pop et indie folk Helena Deland ainsi que de la multi-instrumentiste et productrice électro et DJ Ouri. 

Différentes en tous points au premier abord, ces deux Montréalaises d’adoption se rencontrent au cœur de la tempête et y aménagent ensemble un gite de création.

Ouri apporte au concept une production hypnotisante et une vibration nocturne, alors que Helena y procure un chant évoquant des incantations dont nous aimerions avoir le secret.

Bien que de courte durée (28 minutes), ce premier enregistrement de Hildegard est la preuve bien vivante que des individualités distinctes peuvent former un tout cohérent. Espace de lumière, propice à la magie.  

« If I could see myself from behind / Me and I would get along so fine » entend-t-on dans le deuxième extrait .

On n’assiste donc pas à la juxtaposition de deux projets musicaux, mais bien à la naissance d’une entité créatrice. D’où l’intérêt de PAN M 360 à interviewer Ouri et Helena Deland.

PAN N 360 : Hildegard, c’est huit chansons, nommées ‘’jour 1’’, ‘’jour 2’’ ainsi de suite jusqu’au huitième jour, et sont le fruit d’une journée passée ensemble à collaborer. Peut-on voir une évolution, un changement dans le mood lorsqu’on écoute l’album ? 

HELENA DELAND : Oui, on va un peu plus loin dans l’émotion. C’est pour ça qu’on a choisi de mettre les chansons en ordre; c’est clair qu’il y a eu une évolution dans notre rencontre. Et même dans le processus créatif aussi! Il y a des moments où il est difficile de se pousser à produire et c’est cool de les souligner aussi. On était vraiment dans l’évolution de l’émotion. Au début, c’était tout feu tout flamme, il a fallu que ça retombe pour laisser place à autre chose. 

PAN M 360 : Dans votre album et même dans votre promo, vous mettez beaucoup de l’avant une certaine dualité; la confrontation des éléments, la production mordante d’Ouri contre la douceur connue des chansons chez  Helena. Comment en êtes-vous arrivées à collaborer ensemble ? 

OURI : Nous nous sommes rencontrées socialement d’abord, et on s’est retrouvées en studio des années plus tard pour commencer à créer. Puisque nous étions dans un groupe où les individus masculins étaient centraux, ça nous a pris du temps à nous connaître réellement et au final, on a compris qu’on s’entendait super bien.  Et c’est ce qui a été super en fait; on n’essayait pas de s’impressionner, ou de ramener l’une dans le monde de l’autre.

PAN M 360 : Aviez-vous des rôles respectifs dans la conception de l’album ? 

OURI : Naturellement, on a des spécialités différentes, mais en même temps, je pense qu’on s’est vraiment accompagnées pour explorer différents instruments, différentes approches musicales.Et ç’a s’est fait naturellement. Dès qu’il y avait une idée qui sortait, l’autre la recevait, et c’est comme ça que Hildegard s’est construit.

PAN M 360 : Ouri, tu as déjà dit dans une entrevue accordée à Radio-Canada que tu trouvais parfois la collaboration difficile, dans la mesure où les concessions sont de mise et que l’on perd sa chambre à soi pour créer. Quels ont été les défis pour Hildegard et sinon, quelles ont été les belles surprises ? 

OURI : Quand j’ai dit ça, je parlais d’une collaboration en particulier mais sinon, tout le reste des collaborations, c’est ça qui me donne envie de faire de la musique. Donc pour moi, ce n’est pas un défi, c’est ma chose préférée en musique. 

HELENA : C’est sûr que quand on travaille sur nos propres trucs, nous sommes toutes les deux contrôlantes de nos mondes musicaux individuels, mais le monde d’Hildegard se situe en dehors de ça. Et je crois que c’est évident pour nous deux que ça va dans une autre direction de ce dont on est capables de faire seules. Et c’est ça qui est magnifique, c’est l’entité qui sort de notre union. Ç’a été un projet collaboratif à toutes les étapes, on a été capables de se parler. Avec le temps, il y a eu des moments avec des micro-désaccords, mais on s’y attendait aussi.

PAN M 360 :  Il y a-t-il un thème central dans l’album ? 

HELENA :  Je crois que le côté lumineux de l’album représente la joie de se retrouver ensemble, et le côté plus sombre souligne que lorsqu’on a créé cet album, nous étions toutes les deux à une époque de nos vies où on réalisait que nous étions dans un monde masculin et qu’il est difficile d’être respectées d’emblée. Je me souviens de beaucoup frustrations, de déceptions.

OURI : C’est clair, parce que nous vivons dans un monde d’hommes, donc nous pouvons être admirées, ou même désirées, mais pas respectées. Et cela se ressent vraiment dans les discussions où les gens parlent de l’autre à nous, je ne sais pas… il y a parfois une certaine superficialité dans l’approche. C’est cool être admirée, mais encore plus d’être respectée, surtout musicalement, parce que c’est ça qu’on fait! 

PAN M 360 : Donc, c’était de sortir du male gaze, de sortir du regard de l’autre ? 

HELENA : Oui! Et, ça je le considère depuis ma vingtaine surtout, cette réalité-là, nous la comprenons entre femmes et nous avons des alliés chez les hommes, mais il y a quelque chose de vraiment puissant lorsqu’on se retrouve entre nous. Mais parfois c’est vraiment tough. Et je pense que de se retrouver juste nous deux, à créer de la musique, nous a vraiment fait du bien. Au final, c’est super excitant de savoir que notre album va sortir et être entendu.

PAN M 360 : On dit souvent de vous deux que vous êtes des Montréalaises d’adoption, mais Ouri, tu es née en Normandie et Helena, tu es née à Vancouver. Vous chantez toutes deux en anglais, dont sur Hildegard. Vous avez toutes deux pris d’assaut la scène anglophone et c’est manifestement réussi; Ouri a participé au prestigieux Redbull Music Awards et Helena a été remarquée par Pitchfork pour son premier projet solo intitulé Someone New. Recevez-vous la même reconnaissance, la même couverture médiatique de la part des anglophones que des francophones ? 

OURI : C’est clair que nous essayons toutes les deux d’ouvrir nos possibilités, nous n’avons pas envie de rester piégées dans un narratif, dans un système médiatique qui est super contrôlé. Je pense que nous avons toutes les deux inconsciemment envie de nous échapper de ça !  Donc, consciemment, je ne crois pas qu’on y pense, on ne  compare pas la réception médiatique que nous devrions avoir au Québec à celle d’autres artistes.

HELENA :  Oui, et je nous considère super chanceuses en général, et je comprends la curiosité de “si le français est notre langue maternelle, pourquoi on choisit de créer en anglais ?” Je la comprends, mais c’est sûr que ce n’est pas une réalité qui fait intrinsèquement partie de notre art, parce que dès que nous ne sommes pas en contact avec d’autres francophones, ce n’est pas vraiment sur la table. 

OURI :  Je me souviens d’un projet que j’avais sorti à l’époque qui avait eu une super réception en Inde! Et si j’avais écrit des paroles en français, jamais je n’aurais pu les rejoindre là-bas. Donc, ce n’est pas vraiment d’être reçue par les anglophones, mais plutôt pour parler à n’importe qui voudrait peut-être essayer d’absorber quelque chose… C’est possible dans n’importe quelle langue, mais c’est plus facile en anglais.

PAN M 360 : Helena, dans un article du Devoir, tu as qualifié ton premier album de féministe, en abordant des thèmes comme le male gaze et la validation des hommes. Ouri, dans une entrevue avec Michel-Olivier Harding en 2017, tu as dit que tu as « déjà peut-être ressenti le beatmaking à Montréal comme un boysclub, mais que c’était toi qui le projetais ». Quatre ans plus tard, ta vision a-t-elle changé ? Avec la naissance d’Hildegard, avez-vous l’impression d’avoir défoncé plus de portes ? 

OURI: Moi, c’est sûr que j’ai extrêmement hâte qu’il y ait plein de femmes qui fassent partie du milieu, mais après je veux dire, je ne peux pas forcer les gens à avoir envie de faire de la musique… Mais c’est sûr qu’il faut tendre la main pour que les gens croient en cette possibilité. On n’a pas envie de forcer les gens à faire des trucs, mais il faut mettre des trucs à disposition pour que les femmes soient naturellement incluses. C’est vraiment humiliant des fois de se faire approcher juste parce que tu es une femme ? Pas humiliant, mais c’est cool de parler de son art, et de ne pas parler de son sexe, de son genre. 

HELENA : Et en même temps, on le fait parce que c’est important. Il y a… de l’espoir, je crois que les choses vont s’améliorer pour toutes les questions d’inclusion de genre. On a déjà pris la bonne direction. Et tant mieux qu’on puisse encore en parler, en attendant que ce soit acquis. 

La sortie d’Hildegard est prévue le 4 juin 2021.

Hildegard se donnera en spectacle le 16 mai 2021 prochain au Salon Acoustique à 16h. 

Hildegard se donnera en spectacle au festival Santa Teresa le 23 mai prochain à 18h. 

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