Imani Winds est un quintette à vent étatsunien qui fait du bien. Constitué de musiciens noirs (sauf le clarinettiste), son objectif est d’actualiser la musique pour ce type de formation en jouant des arrangements inédits (leur plus récent album s’intitule A Passion for Bach and Coltrane, ça donne une idée!), des oeuvres de compositeurs noirs ou en commandant des oeuvres nouvelles, souvent inspirées du terroir afroaméricain et latino. Le groupe, détenteur de trois prix Grammy, donnait justement un concert hier soir à la salle Bourgie, à Montréal. Le deuxième seulement en 27 ans d’existence, ce qui est monstrueusement dommage. Un programme tout Noir et Latino a été offert au public qui a relativement bien garni la salle Bourgie.
Il y a de quoi admirer les musiciens sur la scène : Brandon Patrick George, flûte, Mekhi Gladden, hautbois (en remplacement de Toyin Spellman-Diaz), Mark Dover, clarinette, Kevin Newton, cor et Monica Ellis, basson. Premièrement, ils sont très très bons, chacun d’entre eux étant de toute évidence un soliste de haut niveau. Le jeu d’ensemble est impressionnant de virtuosité aisée, d’articulations chirurgicales et de cohérence fusionnelle. Deuxièmement, et surtout, ils investissent depuis 27 ans (mais pas exclusivement) un espace du répertoire qui demeure marginal, mais heureusement en expansion rapide, celui de la musique écrite par des artistes de communautés racisées et/ou minoritaires en musique classique. Bravo.
L’ensemble de l’affiche était occupée, sauf une seule pièce, par des œuvres fortement colorées par le jazz, le blues ou la musique latine. Syncopes accentuées, déhanche fluide un peu féline et coloris chromatiques tournant autour d’harmonies ‘’bleues’’, on était dans un univers accrocheur, mais pas racoleur. Non, car les partitions offertes (de Damien Geter, Carlos Simon, Paquito D’Rivera, Valerie Coleman, Andy Akiho et Billy Taylor, un arrangement dans ce dernier cas) sont raffinées, virevoltantes et remplies d’effets vivifiants, souvent distrayants, parfois surprenants. Mais ce qui satisfait tout mélomane passionné et investi dans ce genre de programme, c’est le supplément d’âme ajouté dans les œuvres, en raison de leurs références extra musicales. C’est le profilage racial dans I Said What I Said de Damien Geter (le thème principal est tributaire de la rythmique locutive typiquement Black de la phrase-titre..), la célébration de grandes personnalités noires dans Giants de Carlos Simon (Bessie Smith, Cornel West, Herbie Hancock), des quartiers new yorkais dans Rubispheres no 1 de Valerie Coleman, la liberté dans I Wish I Knew How It Would Feel To Be Free de Billy Taylor ou la dénonciation de l’emprisonnement des nouveaux arrivants dans BeLoud, BeLoved, BeLonging de Andy Akiho.
Cette dernière pièce constitue, cela dit, l’exception stylistique dans le lot car c’est une envolée post-minimaliste en trois mouvements, nerveuse et diablement excitante, moins connectée que les autres à l’héritage afroaméricain ou latin. Ironiquement, c’est la pièce de Paquito D’Rivera, Aires tropicales, de loin l’artiste le plus connu sur le programme, qui est la plus ‘’facile’’. Pas mauvaise, non. Elle donne du beau fil à retordre aux instrumentistes et constitue certainement un excellent défi musical pour toute formation professionnelle. Mais la jonction de l’écriture et du propos sous-jacent est plus superficiel que ses concurrents.
La soirée, fortement appréciée par le public, s‘est terminée avec l’arrangement de la célèbre chanson I Wish I Knew How It Would Feel To Be Free de Billy Taylor, et consacrée par Nina Simone. Un vrai de vrai jazz, mais adapté tout sauf de façon linéaire. Fabuleux exercice signé par le clarinettiste Mark Dover, qui s’amuse à en faire un Thème et variations fébrile et débordant de dynamite expressive.
Les applaudissements ont été longs et soutenus. Tout le monde, manifestement, souhaitait les revoir le plus vite possible.