FAI 2025 | Un week-end à l’hôtel… du plus grand rassemblement folk de la planète 

par Michel Labrecque

La 37e édition de l’évènement Folk Alliance International s’est déroulée dans un grand hôtel de Montréal du 19 au 23 février. 2,500 participants parmi lesquels plusieurs centaines d’artistes. Elles et ils ont discuté, assisté à des conférences, négocié des spectacles et ont surtout fait et écouté de la musique. Michel Labrecque a pu assister à cet événement privé à titre de journaliste. Il en est ressorti les oreilles pleines. 

Partout, on voit des étuis de guitares, de violon, de contrebasse, dans une sorte de désordre organisé. On pressent que, bientôt, tous ces instruments vont se mettre à jouer. 

Comme tous les participants, je dois faire la queue pour obtenir les documents qui me permettront de circuler librement sur les huit étages que le Folk Alliance occupera dans l’hôtel pour les cinq prochains jours. 

Devant moi, un groupe de jeunes femmes allumées discutent avec passion. Je découvre qu’elles travaillent pour l’étiquette québécoise de disques Bonsound. Elles me remettent immédiatement un bout de carton, qui m’invite à assister le lendemain à des mini-concerts de Shaina Hayes, Lisa Leblanc et Matt Holubowski, entre autres, à partir de 22 h 30, dans une chambre d’hôtel du neuvième étage. 

C’est une des particularités de ce rassemblement. En plus de concerts boutiques (showcases) dans des grandes salles, il y a des centaines de mini concerts privés dans des petites chambres, dont on a enlevé le lit et le bureau. Écouter Matt Holubowski à tout au plus six mètres de distance. J’hallucine! 

Une fois mon laissez-passer obtenu, j’aborde un type jovial, qui se moque dans un français teinté d’accent anglais, de la prétention de Donald Trump de faire du Canada le 51e État américain. Il s’appelle Ciarán Mac Cowan, il vient de Belfast en Irlande du Nord et parle un français plutôt riche. Nous sympathisons et il me promet qu’il me racontera des tas d’histoires sur la période de la guerre civile dans son coin de pays. 

L’évènement n’est pas encore commencé que déjà, les rencontres s’annoncent fertiles.

La raison d’être de cet événement consiste à mettre en réseau des artistes folk et des organisateurs de concerts et de festivals et aussi de permettre aux musiciens de mieux se fédérer et se démerder dans la jungle du showbizz, dominée par les grandes compagnies qui ont peu à cirer du folk. 

Le 20 février, à midi, la plus grande salle est pleine à craquer pour assister à la grande entrevue que « notre » Allison Russell va donner à Ann Powers, autrice et critique de musique pour National Public Radio, la chaîne publique américaine. 

Sous les applaudissements nourris de la foule, majoritairement anglophone et américaine, Allison s’exclame en français: bienvenue dans la ville ou j’ai grandi, cette ville formidable », avant de retourner à l’anglais pour raconter que, tout près d’où nous sommes, se trouve la grande Cathédrale Marie-Reine-du-monde, où elle allait se réfugier souvent pendant la journée alors qu’elle était sans abri. 

Nous le savons: l’immense chanteuse et musicienne folk americana a eu une enfance très difficile, dont ses deux disques parlent abondamment. « Les quinze premières années de ma vie constituaient une zone de guerre ». Elle est venue à Folk Alliance pour parler de résilience, pour partager son expérience à ses collègues. comme en témoigne son dernier album, The Returner

Cette gagnante d’un Grammy (en plus de sept  nominations) est devenue une célébrité dans cet univers folk créatif. Mais Allison reste très humble et raconte que, pendant la pandémie, elle s’est retrouvée sans le sou et sa survie a dépendu de la solidarité d’autres artistes. 

Depuis onze ans, cette Montréalaise habite Nashville aux États-Unis. Allison Russell ne mâche pas ses mots devant ce qui se passe politiquement dans son pays d’adoption. 

« Ça sent le fascisme à plein nez! Trump et ses alliés veulent nous diviser, mais ça ne fonctionnera pas », dit la chanteuse en générant des applaudissements nourris. « Un rassemblement comme celui-ci nous inocule contre la haine », ajoute-t-elle. 

Le Folk Alliance International est basé à Kansas City aux États-Unis. De toute évidence, c’est un organisme plutôt progressiste, qui compte des sous-groupes pour les communautés noires et autochtones. Le folk est connu pour son parti-pris souvent progressiste, mais il y a aussi des musiciens americana de toutes tendances et parfois apolitiques. 

« La musique folk est celle du peuple », nous dit Alex Mallett, le directeur-adjoint de l’organisation. « L’inclusivité et la diversité font partie de notre ADN et nous allons continuer dans ce sens, quelque soit le climat politique », ajoute-t-il. Il ajoute que ça ne fait qu’un mois que Donald Trump est élu et qu’il est encore tôt pour évaluer l’impact. 

Quelques ateliers et discussions ont évoqué cette nouvelle ambiance politique, mais au Folk Alliance, tout le monde est là avant tout pour la musique. Et il y en avait pour tous les goûts dans ces multiples prestations, destinées aux promoteurs et aux organisateurs de festivals.

Le pays en vedette cette année est le Portugal. Vous pouvez lire mon compte rendu sur l’alt-folk de ce pays dans un autre article. 

On pouvait entendre un fort contingent québécois de toutes origines: du trad punk de La Patente au violoncelle de Jorane, en passant par le mélange tropical de Wesli et la fusion brésilienne de la batteuse Lara Klaus. 

Du côté canadien, j’ai découvert avec plaisir Alysha Brilla, Torontoise d’origine indo-tanzanienne, qui fait un fantastique mélange de genres et The Pairs, un trio de femmes qui se distinguent par des harmonies très agréables. 

Il y a aussi d’importantes délégations d’Australie, de Catalogne, des pays scandinaves. Et une salle réservée à une multitude d’artistes autochtones internationaux. Parmi ceux-ci, j’ai été subjugué par Sara Curruchich, une guathémaltèque d’origine Maya, que j’avais eu le plaisir d’interviewer pour PAN M 360 il y a un an et demi. Avec un groupe entièrement féminin, dont une virtuose de la marimba, Sara a littéralement cassé la baraque et fait danser tout le monde tout en livrant des messages très engagés. On peut être engagé tout en souriant. Espérons qu’on la reverra bientôt dans des festivals ou concerts chez nous.

Une autre surprise a été la taïwanaise indigène Sauljaljui, que j’ai pris au départ pour une africaine. On ne cesse jamais d’apprendre. Cette jeune femme nous ensorcelle avec un cocktail de tradition et de folk-rock.

 

Du côté américain, mon coup de cœur a été Gina Chavez. Cette Texane d’Austin, que j’ai eu la chance d’interviewer en 2018 pour Radio-Canada, est une autrice-compositrice LGBTQ qui assume son identité et qui chante autant en espagnol qu’en anglais. Elle a monté un groupe innovateur pour sa prestation: trombone, violon, percussions, guitare électrique. Tout cela sonnait éminemment bien. 

Tout au long de ces trois jours, il y a des jams spontanés. J’aperçois tout à coup quinze violons qui se mettent à improviser ensemble. Nous, journalistes, nous faisons sans cesse solliciter par des artistes qui veulent attirer notre attention. Deux jeunes femmes m’abordent dans la langue de Sheakspeare, avant de comprendre que c’est un imbroglio. Nous sommes tous Québécois francophones. 

Blanche Moisan-Méthé et Gabrielle Cloutier sont deux complices musicales dans l’excellent groupe world Méduse. Elles ont chacun leurs projets solo BLAMM pour l’une et , pour Gabrielle, sous son propre nom. Elles m’expliquent la difficulté et la complexité d’obtenir des « gigs » (des concerts)  dans cet immense marché aux puces musical. Quand je les rencontre, Méduse a en vue un concert en Alberta. Pour le reste, rien. 

Blanche Moisan-Méthé a fait l’objet d’une entrevue de Varun Swarup sur notre site, en 2023 pour son premier – et très original- album, qui fait une grande place aux cuivres, que Blanche joue en plus du banjo et de la guitare. Elle travaille avec une multitude de groupes, dont Gypsy Kumbia Orchestra. C’est ça la vie d’artiste en 2025. Elle a donné plusieurs mini-concerts- c’est en général quinze à vingt minutes-dans ces chambres d’hôtel, entre 22h30 et 2 heures du matin. J’espère que ça a donné des résultats. Les artistes doivent payer plusieurs centaines de dollars pour se retrouver ici. 

Le vendredi soir, dans un escalier, je retrouve mon Irlandais du Nord, Ciarán Mac Gowan, qui me convie en français à un de ses sept mini-concerts donnés dans une chambre d’hôtel. Je découvre que son apprentissage du français est dû à son exil en France, durant la guerre civile en Irlande du Nord. Il a aussi vécu en Californie.

Pour ce mini-concert, il est accompagné par un harmoniciste et un guitariste solo. Tous entassés dans la petite chambre, nous nous laissons bercer par leur musique, ainsi que par le folksinger chilien Nicolas Embar et par l’américaine du Nebraska Hope Dunbar. Ce groupe hétéroclite alterne dans les chansons. Les spectateurs embarquent. Les artistes se congratulent. Au même moment, environ 120 mini-concerts se déroulent sur quatre étages du Centre Sheraton. 

Nous sommes tous et toutes saoulés de musique. Ça va nous prendre quelques jours pour nous en remettre. 

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