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Le Montreal Mundial permet de faire des découvertes musicales inattendues. Cela m’est arrivé avec Sara Curruchich, une auteure compositrice Maya du Guatemala, qui chante en espagnol et en Kaqchikel, la langue de son peuple.
Sara est une militante pour les droits indigènes, pour les droits des femmes et la diversité sexuelle, ce qui n’est pas toujours évident au Guatemala et dans l’ensemble de l’Amérique latine. Sara mélange les musiques traditionnelles au rock, à la Cumbia et au reggae. Son engagement social est assumé, mais s’exprime de manière autant ludique qu’austère.
En plus de sa performance en showcase dans le cadre du Mundial, le jeudi 16 novembre, le vendredi 17, Sara Curruchich donnera un concert accoustique avec le guitariste Luis Juarez Quixtam, au Centre René-Goupil de Montréal. Dans les deux cas, c’est une performance plus accoustique et intime que sur ses albums précédents.
J’ai eu le privilège de passer une heure avec elle. C’était passionnant.
PAN M 360 : Sara, pouvez-vous nous raconter vos origines, où vous avez grandi et dans quel contexte?
SARA CURRUCHICH : Je suis un femme Maya Kaqchikel du Guatemala, c’est la deuxième plus grande communauté linguistique du pays. On parle vingt-cinq langue chez nous. Mon peuple aime l’art, on trouve beaucoup de peintres. Mais c’est un peuple qui a été très affecté par la guerre civile de 36 ans au Guatemala. Encore aujourd’hui, nous ressentons des séquelles, des traumatismes, qui ont traversés les générations. Je suis une enfant de la guerre, je suis née en 1993. Et certaines de mes chansons veulent garder vivante la mémoire de ces événements terribles pour nous.
(NOTE: La guerre civile guatémaltèque a duré de 1960 à 1996. Elle a fait au moins 200,000 morts et un million de citoyens déplacés. La grande majorité des victimes étaient membres des peuples indigènes mayas. Un conflit que nous avons oublié.)
PAN M 360 : Et après la guerre comment était la vie?
SARA CURRUCHICH : Ma famille était très pauvre, mes parents se consacraient à l’agriculture ; mais nous étions dans la survivance au quotidien. J’ai commencé à travailler très jeune dans les marchés. À la même époque j’ai découvert la musique à travers une organisation religieuse qui faisait de la musique dans des lieux où les gens sont malades (hôpitaux, hospices). J’ai alors constaté à quel point la musique pouvait atténuer la douleur des gens. Et j’ai commencé à faire de la musique. Ça m’a servi de remède contre les douleurs de notre vie. Aujourd’hui, comme musicienne professionnelle, je fais toujours de la musique pour revitaliser l’âme humaine, effacer la douleur.
PAN M 360 : Est-ce qu’on peut dire en même temps que votre musique est politique?
SARA CURRUCHICH : Absolument. Je suis issu d’un peuple dont la douleur provient d’un capitalisme abusif. Qui a été profondément violenté durant la guerre et qui l’est toujours aujourd’hui. Le racisme est très profond au Guatemala.
PAN M 360 : Comment a débuté votre carrière musicale professionnelle?
SARA CURRUCHICH : J’ai commencé à écrire des chansons en 2010. Je donnais aussi des ateliers de musique dans de nombreux villages de nos communautés. J’ai écrit des chanson dans ma langue maternelle, le Kapchikel. Malheureusement, cette langue a été peu enseignée à l’école. Il y’a encore cette perception que parler notre langue n’aide pas à nous développer. C’est une posture très raciste. Bien sûr, nous devons parler espagnol, mais apprendre notre langue serait bon pour notre estime.
PAN M 360 : Votre premier disque s’intitule Somos, paru en 2019. On sent l’influence de la musique traditionnelle maya, mais il y’a aussi autant du rock et de la cumbia, c’était une volonté de transcender les styles musicaux?
SARA CURRUCHICH : Oui. Mes textes parlent beaucoup de ma communauté, du droit à la terre, de la beauté des fleuves. Mais je considère que c’est important d’explorer les genres musicaux. Ce serait une erreur de dire que, parce vous êtes un musicien indigène, vous devez vous restreindre à la musique indigène. D’autre part, il faut reconnaître qu’en raison du racisme, la musique traditionnelle est mal vue, parfois même dans nos communautés. Un jour, je faisais écouter cette musique à un groupe de jeunes. Ils m’ont dit : « enlève ça c’est hyper ennuyant ». Je me suis servie d’instruments électriques pour les convaincre que cette musique était intéressante.
Je suis convaincue que mon mélange musical me permet de m’adresser à des publics différents, et amplifie mon message. Et franchement, j’adore les mélanges.
PAN M 360 : L’album Somos est suivi par l’album Mujer Indigena en 2022, comment les compareriez-vous?
SARA CURRUCHICH : Somos, contient des chansons que j’ai écrites dans les huit années précédentes. Somos, Nous Sommes, voulait parler de l’ensemble de ma communauté, notre résistance, la migration, des luttes pacifiques qui se déroulent au Guatemala, mais également dans plusieurs autres pays. Il y a également une chanson qui traite des trois énergies vitales, dans la « cosmovision » Maya, qui est très importante pour nous.
Cet album a été réalisé par Gambeat, le bassiste de Manu Chao, qui a beaucoup contribué au son de l’album.
Mujer Indigena est un peu la suite de Somos, mais j’ai voulu davantage explorer ma propre réalité. Je suis une femme indigène et je veux partager mon histoire avec vous. J’ai reçu aussi beaucoup de collaborations : la chanson Pueblos est chantée avec l’immense Lula Downs, du Mexique, une chanson qui parle des peuples d’Amérique Latine. Il y’a aussi Qach’alal, une chanson en collaboration avec Carmen Cumez et Rosalina Tuyuk, deux politicienne mayas dont les maris ont été tués par l’armée durant la guerre. Amor Diverso traite de la diversité sexuelle, j’ai eu le plaisir de la chanter avec Muerdo, un artiste espagnol qui a beaucoup traité de ces questions dans ses chansons. Amparo Sanchez, chanteuse et compositrice espagnole a réalisé cet album. C’était très important pour moi que ce soit une femme qui supervise ce projet.
PAN M 360 : Le risque, avec du contenu aussi militant, c’est que ça devienne très lourd, très chargé pour les auditeurs, êtes-vous consciente de cela?
SARA CURRUCHICH : C’est évident que je vise à faire réfléchir les gens sur notre réalité. Mais il faut que cette réflexion, cette conscientisation, débouche sur l’espoir, la joie. Pour moi, être sur scène et susciter cette réflexion est très libérateur. Ça me permet de partager nos souffrances, mais également nos espoirs. Ce n’est pas un chemin facile, surtout au Guatemala où la persécution politique existe encore. Le gouvernement actuel est un gouvernement autoritaire. Ils voulaient passer une loi qui aurait permis d’arrêter tous les gens qui parlaient en faveur des droits des femmes et de la sexualité libre. Heureusement, ça a été bloqué, sinon je m’en allais tout droit en prison ou je m’exilais.
PAN M 360 : En ce moment, votre pays vit un tournant politique : le Guatemala vient d’élire un président de gauche, qui n’est pas encore arrivé au pouvoir et la droite tente d’empêcher son arrivée au pouvoir. Est-ce que quand même, ça vous donne de l’espoir?
SARA CURRUCHICH : Bernardo Arevalo, le président élu, incarne une espérance, c’est une bouffée d’air frais. Il veut combattre la corruption. Il a l’appui de beaucoup de gens de nos peuples, parce qu’il comprend nos aspirations. Mais on tente par tous les moyens de l’empêcher d’exercer le pouvoir, en janvier. Pour beaucoup de gens, cette élection est un moment historique. Cela pourrait représenter le début d’un temps nouveau pour notre pays.
(NOTE : l’actuel gouvernement autoritaire et la cour suprême, dont les juges ont été nommés par la droite, tentent de rendre invalide le résultat de l’élection du mois d’aout dernier. Le président élu parle de « Coup d’État judiciaire ».)
PAN M 360 : Vous êtes aussi très engagée pour promouvoir les nouveaux talents musicaux des communautés mayas du Guatemala. Et aussi d’ailleurs.
SARA CURRUCHICH : Depuis des années, j’explore des régions et des villages pour parler de musique avec les communautés. Au Costa-Rica, j’ai écrit une chanson, Tayela, avec douze femmes indigènes, qui a bien fonctionné. J’ai une émission de radio qui veut promouvoir les nouvelles voix indigènes. Je produis aussi trois artistes émergents du Guatemala. Deux sont Mayas, une autre est Garifuna, c’est une autre nation indigène.
Pour moi, c’est essentiel de partager ces nouvelles voix. La reconnaissance que j’ai acquise à l’étranger va me permettre d’investir dans ces nouveaux artistes.
PAN M 360 : Vous êtes au Canada pour développer des contacts musicaux, mais également avec des communautés autochtones, comment ça se passe?
SARA CURRUCHICH : Avant d’arriver à Montréal, nous sommes allés au Indigenous Music Summit à Toronto. C’était super, j’ai découvert plein de gens. La musique permet tellement de connections. Même si nous vivions à des milliers de kilomètres, on peut sentir des réalités communes : la joie, la dignité. J’ai écouté Kelley Fraser, entre autres. On sent le même réveil, les mêmes aspirations.
J’espère que, grâce, au Mundial, nous pourrons revenir au Québec et au Canada pour partager notre musique.
PAN M 360 : Vous avez de nouveaux projets musicaux?
SARA CURRUCHICH : J’ai un projet accoustique avec mon compatriote Luis Juarez Quixtam, que nous présentons au Mundial, que nous allons endisquer, il y a des extraits qui sont déjà parus. Il y’a un quatrième album en gestation, qui sera très différent de tous les autres. À suivre.