expérimental / jazz

Jon Hassell: L’infatigable explorateur (première partie)

par Michel Rondeau

L’air de rien tant il est discret, voire effacé, le trompettiste Jon Hassell a eu sur la musique du dernier demi-siècle une influence marquante. Et pas seulement sur d’autres trompettistes comme lui, les Arve Henriksen, Nils Petter Molvaer, Mathias Eick, Erik Truffaz et Paolo Fresu. Dans l’univers de l’électro, par exemple, d’Aphex Twin à Oneohtrix Point Never, nombreux sont les musiciens qui lui sont redevables des voies qu’il a ouvertes. Si bien qu’on peut le ranger parmi les innovateurs et les inlassables explorateurs au même titre que Miles, Coltrane, Jimi Hendrix, Anthony Braxton et John Zorn. Rien de moins !

photo : Roman Koval

Il est vrai qu’il a un son et qu’il a créé un univers musical qui sont instantanément reconnaissables, ce qui est la marque des grands. Mais qui est-il au juste et surtout qu’a-t-il donc accompli pour se distinguer de la sorte ? Pour répondre à cette question, PAN M 360 a retracé son parcours. 

Chronologie sélective

Jon Hassell est né à Memphis, Tennessee, le 22 mars 1937. Après une maîtrise à la Eastman School of Music de Rochester, New York, où il s’intéresse particulièrement au travail de Karlheinz Stockhausen, il poursuit ses études à Cologne auprès de ce dernier. Parmi ses condisciples se trouvent Irmin Schmidt et Holger Czukay qui formeront par la suite le groupe Can. 

De retour aux États-Unis deux ans plus tard, en 1967, il rencontre Terry Riley à la State University of New York à Buffalo, et l’année suivante, il figure parmi les musiciens qui prennent part au premier enregistrement du désormais célèbre In C de celui-ci. 

Pendant qu’il complète un doctorat en musicologie à Buffalo, il joue dans le groupe Theatre of Eternal Music de La Monte Young à New York. 

Alors qu’il répète avant une représentation du Dream House de Young à Rome en 1971, l’Indien Pandit Pran Nath, qui fait lui aussi partie du programme de la soirée, se met à faire des variations vocales autour de ce qu’il joue et à tracer dans l’espace toutes sortes de motifs inouïs. C’est une révélation ! Hassell se rend donc en Inde pour étudier avec lui. Il s’y intéresse aux musiques traditionnelles du monde et cherche à reproduire sur sa trompette les techniques vocales employées par Pran Nath.

Ci-dessus : Pandit Pran Nath

Celles-ci sont marquées par la façon caractéristique de glisser d’une note à une autre, appelée meend, que l’on retrouve dans les râgas de la musique hindoustanie. Il s’aperçoit qu’en soufflant dans sa trompette davantage comme si c’était une conque et en exerçant une pression moins grande de ses lèvres sur l’embouchure, il peut se servir des vibrations de celles-ci pour créer une sorte de voix d’appoint à celle produite par la colonne d’air. Il arrive ainsi non seulement à reproduire ces glissandi, mais à tirer de son instrument un son entièrement nouveau et original qu’il se met aussitôt à développer. 

Dans une autre interview, plus récente, il explique avoir aussi mis au point une technique selon laquelle il souffle dans sa trompette de manière à obtenir, par exemple, un do, mais en jouant avec les pistons de façon à obtenir un ré, glissant ainsi du do au ré. Combinée à un harmonizer, cette technique lui permettra d’élargir joliment sa palette chromatique. 

Pran Nath lui fait également réaliser qu’il existe entre les différentes musiques un « micro-univers de connexions » qu’encore aujourd’hui, il continue d’explorer.

De retour en Occident, il entreprend les séances d’enregistrements – qui s’échelonnent d’octobre 1976 à octobre 1977 – de son premier disque, Vernal Equinox (équinoxe de printemps), où il met en pratique ce qu’il a appris et où déjà il trafique de son de sa trompette. D’abord, à l’instar de Miles Davis qui s’en sert depuis quelques années, avec le wah-wah (comme on peut le remarquer sur la toute première pièce, Toucan Ocean, mais aussi avec divers autres effets électroniques.

Paru en 1978 chez Lovely Music, une toute jeune et toute petite étiquette new-yorkaise d’avant-garde qui vient notamment de rééditer le premier disque de Meredith Monk et de publier Private Parts de Robert Ashley, Vernal Equinox, attire l’attention de Brian Eno, devenu depuis peu un réalisateur très recherché, qui ne tarde pas à lui proposer de collaborer avec lui. 

C’est ainsi que sous leurs noms à tous deux paraît en 1980 Fourth World, Vol. 1: Possible Musics, l’appellation Fourth World désignant « une musique primitive/futuriste unifiée combinant les caractéristiques des styles ethniques mondiaux avec des techniques électroniques avancées ». Le disque propose un mélange de thèmes mélodiques avant-gardistes, d’envolées improvisées jazz et de figures rythmiques africaines et moyen-orientales qui aura une influence énorme sur la techno dite tribale. La réalisation d’Eno – qui cosigne trois des six pièces – fait admirablement se fondre éléments ethniques, électroniques et ambient.

Le début de la consécration

Le disque est aussitôt salué comme une réussite et se retrouve dans le top ten annuel de plusieurs critiques. C’est ainsi l’occasion pour un plus grand nombre de mélomanes de découvrir cet étonnant son de trompette, qui ressemble davantage à celui d’un shakuhachi, d’autant qu’il y est par moments traité avec un écho inversé, effet saisissant, surtout pour l’époque. Soit dit en passant, la photo de la pochette, prise par satellite, représente la région au sud de Khartoum au Soudan. 

Hassell participe ensuite à l’enregistrement de Remain in Light, le chef-d’œuvre des Talking Heads, réalisé par Brian Eno, largement inspiré de l’album Afrodisiac de Fela Kuti. 

En 1981, il fait paraître Dream Theory in Malaya (Fourth World Volume 2), où cette fois avec Daniel Lanois aux manettes il poursuit son exploration avec peut-être encore davantage de brio, ajoutant même judicieusement à l’ensemble des bruits de la jungle à la manière de l’exotica de Martin Denny.  

En 1982, il participe à la pièce Dunwich Beach qui clôt le disque Ambient 4: On Land de Brian Eno.

Vous pouvez lire la deuxième partie du dossier Jon Hassell de PAN M 360 ici.

Ci-dessus, dans l’ordre habituel, David Byrne, Brian Eno, Jon Hassell

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