Vigliensoni : Clastique fantastique

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon

Avec Clastic Music présenté à MUTEK, Vigliensoni créé un spectacle interactif où il s’affranchit de l’ordinateur.

Genres et styles : ambient / drone / expérimental

renseignements supplémentaires

Crédit photo : Manuela Martelli

Basé à Montréal mais originaire de Valparaiso au Chili, Gabriel Vigliensoni a connu un certain succès au Chili vers la fin des années 90 avec le groupe alternatif Lucybell, et ensuite la formation électro-acoustique Mismos. Cet ancien élève du conservatoire de Santiago a débuté en parallèle sa carrière solo avec Nata en 2004, un album sur lequel il expérimente avec la techno et le breakbeat. Il a également exploré des chansons à dominante vocale sur Le Règne Animal en 2014, et a amalgamé krautrock et musique électronique avec Jaguar l’année suivante. Détenant un doctorat en technologie musicale à l’université McGill, Vigliensoni a poursuivi des études approfondies sur la conception de nouvelles interfaces musicales et d’algorithmes de recommandation musicale. 

Pour son passage à MUTEK cette année, Vigliensoni présentera la première de Clastic Music, une performance en grande partie improvisée et pour laquelle il s’est associé à l’artiste chilien Eduardo Pérez Infante afin de créer une application web permettant aux spectateurs de modifier à leur guise la composante visuelle du spectacle. PAN M 360 s’est entretenu avec le musicien, artiste et chercheur afin qu’il nous explique le sens de son unique démarche.

(Crédit photo : Bruno Destombes)

PAN M 360 : En lisant votre dossier de presse, on apprend que vous avez touché à toutes sortes de musiques avant d’en arriver au projet Clastic Music. Pouvez-vous nous retracer brièvement ce parcours ? 

Vigliensoni : Je viens du Chili. C’est là que j’ai commencé. J’ai fait partie de quelques groupes, surtout de rock et de pop, dans lesquels je jouais des claviers. Certains de ces groupes étaient populaires; nous avons travaillé avec EMI, Warner et d’autres et puis j’ai fini par me tourner vers la musique électronique grâce à des trucs comme Autechre, Aphex Twin… Ensuite j’ai commencé à travailler avec des amis à faire de la musique plus électronique mais surtout avec des instruments comme le vibraphone, la contrebasse, la stick bass et des trucs comme ça. Mais j’ai aussi toujours joué avec des synthétiseurs et des boîtes à rythmes. J’ai suivi un cheminement qui m’a permis de passer des instruments physiques à l’ordinateur, puis je suis revenu à des instruments plus physiques parce que je n’aime pas rester là à jouer avec mon ordinateur et une souris. J’aime incarner la musique.

PAN M 360 : Votre nouveau projet s’intitule Clastic Music, qu’est-ce que c’est au juste ?

Vigliensoni : Clastic (clastique) est un terme géologique dans lequel différentes couches de roches et de sédiments créent quelque chose de nouveau. L’analogie avec la musique est que je construis à partir du travail d’autres musiciens pour créer le mien. J’apprends les caractéristiques intrinsèques des rythmes afin de créer un modèle d’apprentissage automatique, un modèle d’IA avec lequel je joue. Pour MUTEK, je vais donc jouer des morceaux inédits et ce sera très improvisé d’une certaine manière.

PAN M 360 : Vous vous êtes sérieusement penché dans vos études et recherches sur la conception de nouvelles interfaces musicales et d’algorithmes de recommandations musicales. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

Vigliensoni : Je suis toujours curieux de découvrir de nouvelles façons de jouer avec la musique. Je pense qu’il est toujours possible d’améliorer notre façon d’interagir avec la musique. Comme je l’ai dit, je n’utilise pas beaucoup l’ordinateur quand je joue parce que je n’aime pas la façon dont il interagit avec la musique. Je n’aime pas regarder un écran pour jouer de la musique. C’est dans ce sens que j’ai construit cet appareil qui me permet d’explorer un ensemble de données de rythmes d’une manière différente. La façon dont je travaille avec ce dispositif est que je collecte un tas de clips de rythmes et qu’ensuite, en utilisant un dispositif d’apprentissage automatique, j’apprends les caractéristiques de ces rythmes. À partir de là, je trace une carte de ces rythmes dans un espace imaginaire que je peux explorer en temps réel. 

PAN M 360 : Ça vous a pris combien de temps pour développer ce procédé ?

Vigliensoni : Je travaille là-dessus depuis le mois de mars dernier. Le problème avec le développement de logiciels, c’est qu’il est sans fin. Vous avez toujours une nouvelle chose en tête, puis une autre. Il y a donc un équilibre très délicat entre faire de la musique et coder quelque chose. Mais ce qui est bien, c’est que l’un nourrit l’autre. Si vous continuez à ne faire que du développement logiciel, c’est un peu ennuyeux et inutile, mais si vous passez de l’un à l’autre, c’est plus agréable.

PAN M 360 : Votre biographie stipule que vous transformez le processus de fabrication d’un disque en un terrain de jeu pour l’apprentissage et l’expérimentation. Comment y parvenez-vous ?

Vigliensoni : Je n’aime pas me répéter dans le processus de création musicale. La façon dont nous travaillons habituellement de nos jours pour faire de la musique est que nous allons sur un ordinateur, nous ouvrons le Pro Tool ou Ableton, ou tout ce que nous voulons utiliser, et puis nous commençons à construire notre chanson, et si nous n’aimons pas quelque chose, nous le défaisons et puis nous recommençons. Mais j’en ai eu marre de ce processus, alors ce que j’ai exploré dernièrement, c’est de me débarrasser de l’ordinateur et de le faire à l’ancienne, d’une certaine manière; vous enregistrez une piste mais vous ne pouvez pas la défaire et vous avez moins de possibilités pour le montage. Pour y arriver, il faut répéter davantage. J’utilise l’ordinateur pour écrire des e-mails et d’autres choses de ce genre, mais je ne veux pas l’utiliser pour faire de la musique. 

PAN M 360 : Vous préférez travailler d’une manière plus physique finalement. 

Vigliensoni : Exactement. La musique est physique pour moi. Oui, j’aime les trucs ambiant mais j’aime être plus au dessus des choses. Donc cette idée de changer la façon dont j’interagis avec la musique est importante pour moi; comment trouver le meilleur workflow qui correspond à certaines idées, ou ce que je peux faire pour rendre ce processus différent… 

PAN M 360 : Vous vous êtes associé à l’artiste chilien Eduardo Pérez Infante pour créer une application web avec laquelle les spectateurs pourront modifier les composantes visuelles du spectacle… 

Vigliensoni : Ce que nous voulons faire, c’est que pendant que ma musique est jouée, vous pouvez avoir un navigateur ouvert et les visuels réagiront à la musique. Il y a une composante interactive pour que les gens qui assistent au spectacle de la maison puissent par exemple déplacer la souris de leur ordinateur et changer les visuels en temps réel, en même temps que la musique. Lorsque MUTEK m’a proposé de jouer au festival, j’ai commencé à réfléchir à ce que nous pourrions offrir dans ce genre de festival en mode hybride. Pour être honnête, je pense que le streaming est très ennuyeux en général, alors j’ai pensé à proposer une sorte de jeu basé sur un navigateur ou une application web pour améliorer l’interaction avec les gens. C’est donc ce que nous allons essayer de proposer. Vous pouvez ainsi être votre propre VJ d’une certaine manière. 

PAN M 360 : Est-ce que vous avez l’intention de rendre disponible ce projet après votre performance à MUTEK ?

Vigliensoni : Oui, l’idée est de publier la musique sous forme d’application web. Je ne crois pas vraiment à ces services de streaming, pas du tout en fait. J’aime l’idée d’avoir accès à une grande bibliothèque de musique, mais je n’aime pas le concept de recommandations sans fin, de sorte que vous ne savez pas vraiment ce qui joue si vous n’êtes pas devant votre ordinateur. J’ai un doctorat en recommandations musicales, donc je m’y connais un peu ! Et je n’aime pas non plus la rétribution faite aux musiciens. Alors j’envisage même de ne pas publier ça sur Spotify ou Itunes parce que ça ne sert à rien. C’est beaucoup mieux sur Bandcamp parce que vous avez le contrôle de votre musique, vous recevez beaucoup plus d’argent, vous pouvez avoir toute votre discographie, vous êtes responsable du téléchargement de votre musique, vous savez exactement à quel niveau elle sera jouée… Donc avoir un moyen de permettre aux gens de jouer et d’interagir avec votre musique, je pense que c’est intéressant, vous offrez quelque chose de différent. Je pense qu’il est important de réfléchir à de nouvelles façons d’amener la musique aux gens et de leur faire vivre une expérience de concert différente, car il est bien possible que la situation dans laquelle nous sommes actuellement se prolonge encore longtemps.

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