Lucienne Renaudin Vary: nouvelle incarnation de la virtuosité

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Lucienne Renaudin Vary est l’éloquente incarnation de la musicienne virtuose de notre temps.

Décoincée sur scène malgré l’extrême concentration exigée par son répertoire, ouverte à différents styles musicaux, la trompettiste française s’avère une interprète modèle du répertoire classique mais aussi improvisatrice lumineuse. Le volet classique de sa carrière semble l’emporter dans nos perceptions… jusqu’à nouvel ordre, car cette vingtenaire excelle également dans le jazz moderne. 

Ce jeudi 2 novembre, elle se produit à la Maison symphonique aux côtés de l’organiste Raúl Prieto Ramírez, titulaire des grandes orgues de la ville de San Diego. Ils interpréteront ensemble des œuvres de Giovanni Buonaventura Viviani, Maurice Ravel, Frederic Mompou, Franz Liszt, Sergueï Rachmaninov, Alessandro Marcello, Astor Piazzolla, Modeste Moussorgski et George Gershwin. Voilà un programme qui en dit long sur l’ouverture et l’éclectisme de notre interviewée.

PAN M 360 : On sait que vous êtes une jeune trompettiste bien en vue sur la scène européenne. On sait aussi que vous êtes déjà venue à quelques reprises à Montréal, soit depuis vos débuts professionnels en 2018

Lucienne Renaudin Vary : C’est ça, exactement. Et je suis de retour une troisième fois avec ce concert en duo avec orgue.

PAN M 360 : En musique classique, la trompette est surtout liée au répertoire baroque mais, à l’évidence, vous puisez bien au-delà de cette période!

Lucienne Renaudin Vary : Oui. J’ai fait du baroque, j’ai même fait un album baroque quand j’avais 13 ans, j’en ai fait beaucoup depuis. Je continue d’en faire aussi et c’est vrai qu’on n’a pas un énorme répertoire pour la trompette. On a deux grands concertos classiques, Hummel et Haydn – que j’avais joué d’ailleurs à Montréal. Aussi, j’aime bien piquer du répertoire à d’autres instruments pour les transcrire parce que j’étais un peu frustrée de ne pas avoir beaucoup de répertoire pour le mien. Du coup, je fais beaucoup de transcriptions, mais tout ne va pas forcément avec la trompette. Il faut quand même une sélection. 

PAN M 360 : Qui fait les transcriptions ? Comment procédez- vous ?

Lucienne Renaudin Vary : Ça dépend pour quel projet c’est. Pour ce qui est plus jazz, quand j’avais fait mon album sur les États-Unis et la France, j’avais fait appel à Bill Elliott, un arrangeur américain qui travaille aussi avec Barbara Hannigan – qui est vraiment remarquable. Jérôme Ducros m’a fait des super arrangements aussi et je travaillerai avec d’autres pour mes projets à venir. J’aime bien changer car j’adore travailler avec des personnes différentes parce que chacun a sa patte.

PAN M 360 : Comme vous dites, ce ne sont pas toutes les transcriptions qui sont faisables, ce n’est pas une garantie de  succès que de transposer la trompette à des pièces composées pour d’autres instruments ou la voix humaine.

Lucienne Renaudin Vary : Oui! En général, le répertoire pour la voix marche assez bien parce que la trompette est quand même similaire à la voix. Après, je voulais vraiment retranscrire des pièces pour violon mais finalement, je trouve que ça ne marche pas du tout à la trompette. On n’a pas les coups d’archet, on n’a pas les archets qui mordent les cordes, on n’a pas ça avec la trompette. Ce qui marche à la trompette, c’est la mélodie, les pièces un peu lyriques.


PAN M 360 : Quand vous faites du Gershwin, par exemple, ça fonctionne bien.

Lucienne Renaudin Vary :Oui, parce que chez Gershwin, il y a ce côté jazz qui marche super bien avec la trompette.

PAN M 360 : Parlons alors de trompette classique et trompette jazz.  Depuis les débuts de Wynton Marsalis, c’est- à- dire il y a à peu près 40 ans, la trompette classique et la trompette jazz sont de plus en plus complices. On imagine que vous êtes très sensible à cette tendance qui devient de plus en plus importante de nos jours : de plus en plus de trompettistes classiques pratiquent la musique écrite et la musique improvisée.

Lucienne Renaudin Vary : C’est vrai, et c’est pas terrible de vouloir absolument mettre les artistes dans des cases, souhaiter qu’ils appartiennent à un style précis. Par exemple, j’ai fait un album constitué de pièces d’Astor Piazzolla, dont le style est inqualifiable. Évidemment, c’est du tango mais c’est à la fois classique, il y a de l’improvisation et ça peut s’apparenter au jazz. Prenez aussi Leonard Bernstein, on ne peut pas non plus l’enfermer dans une case stylistique.  


PAN M 360 : Inutile d’ajouter que vous-même improvisez en public ou pour vous- même!

Lucienne Renaudin Vary : Bien sûr, je fais du classique et du jazz, j’ai commencé les deux en même temps. Hier, par exemple, j’étais en concert de jazz, c’était de l’improvisation de A à Z. J’ai un quartette constitué du guitariste Hugo Lippi , du pianiste Vincent Bourgeyx, du contrebassiste Thomas Bramerie et du batteur Franck Agulhon.



PAN M 360 : Ainsi, vous avez  développé les deux techniques en même temps vous avez des modèles de trompettes classiques et jazz.

Lucienne Renaudin Vary : Oui, bien sûr, ça a toujours fait partie de ma vie, j’ai toujours eu besoin de faire les deux parce que ça m’apporte beaucoup. C’est complètement différent, les exigences ne sont pas du tout les mêmes. Et en même temps, ça reste de la musique et je vois ça comme un truc global .  Tant que la musique est bonne, moi, je la prends, peu importe le style.

PAN M 360 : Toutefois, la première perception qu’on a de vous de ce côté de l’Atlantique, c’est la trompettiste classique. À l’évidence, vous êtes aussi une jazzwoman, on gagne à en savoir davantage sur ce côté de votre carrière.

Lucienne Renaudin Vary : Oui, je fais plus de concerts classiques. J’ai fait quelques tremplins comme le festival Jazz à Marciac. J’essaie de développer ça de plus en plus, mais c’est vrai que je fais plus de concerts avec des orchestres classiques. Mais même quand je joue avec des orchestres classiques, j’aime bien faire en bis une impro sur un thème.

PAN M 360 : Ce qui est un juste retour des choses car, de toute façon, l’improvisation existait jusqu’au XIXᵉ siècle et maintenant, on la ramène.

Lucienne Renaudin Vary : Oui, c’est ça. Et puis de toute façon, même, je veux dire Bach improvisait, Mozart improvisait, Beethoven improvisait. Et puis les compositeurs se sont séparés des interprètes.

PAN M 360 : Donc, vous vous voyez vraiment dans les deux. Votre perception personnelle de vous- même, c’est que vous n’avez pas de case stylistique fondamentale.

Lucienne Renaudin Vary : Non, je n’ai pas du tout envie.

PAN M 360 : Pour plusieurs compositeurs et interprètes, s’en tenir à strictement un type de répertoire peut donc ne plus correspondre plus à l’idée qu’on se fait de la musique avancée.

Lucienne Renaudin Vary : Bien sûr. Pour attirer les gens aussi vers la musique classique et vers le jazz, d’ailleurs, je pense qu’il faut s’ouvrir à plein de styles. Je ne sais pas ce qu’il en est chez vous, mais en France, plusieurs festivals classiques commencent à s’y mettre. 

PAN M 360 : C’est la même chose ici, ça s’ouvre de plus en plus. Les deux approches s’unifient progressivement. Un jour, ça deviendra normal de faire les deux et vous êtes un excellent exemple de cette tendance de plus en plus importante.

Lucienne Renaudin Vary : C’est plus riche, en plus, pourquoi s’en priver ?

PAN M 360 : Parlons un peu du concert montréalais en duo avec Raúl Prieto Ramírez, présenté par l’Orchestre symphonique de Montréal. Vous jouerez des pièces Giovanni Buonaventura Viviani, Maurice Ravel, Frederic Mompou, Franz Liszt, Sergueï Rachmaninov, Alessandro Marcello, Astor Piazzolla, Modeste Moussorgski et George Gershwin.

Lucienne Renaudin Vary : Je vous ai parlé de mon éclectisme et de mon désir de mélanger plein de styles. Et là, c’est vraiment ce qu’on va faire. Je n’ai jamais joué avec l’organiste, mais je crois, après avoir échangé avec lui plein de propositions, que le programme reflète nos personnalités. Et on en a donc tiré ce programme. C’est chouette parce que ça permet au public aussi de ne jamais se lasser et d’avoir une espèce de vue globale de la musique.

On va passer par Viviani, Ravel, Rachmaninov dont on joue deux airs.Aussi une jolie pièce de Mompou, pas très connue et qui n’est pas du tout faite pour l’orgue… et qui sonne incroyablement bien avec l’orgue. On a également ce concerto baroque de Marcello   que j’aime vraiment beaucoup. On a du Liszt et du Moussorgski pour orgue seul et on a aussi du Piazzolla et du Gershwin.  Ce sont vraiment des pièces qui me tiennent à cœur et je pense qu’il en est de même pour l’organiste. 

PAN M 360 : Vous concluez par The Man I Love de Gerswhin, une ballade très connue. Choix éditorial ? 

Lucienne Renaudin Vary : Peut-être… et là je vais pouvoir improviser. En somme, je pense donc qu’il ne faille pas se mettre de barrières. Moi, c’est comme ça que je le ressens. Et c’est comme ça que je me sens libre. 

PAN M 360: Libre dans un acte de communication !

Lucienne Renaudin Vary :  La chose principale pour moi, c’est la relation avec le public, pour moi, un concert doit être un moment de partage.

PAN M 360 : Ce qu’il y aussi d’intéressant chez vous, c’est votre façon de vous présenter sur scène. Vous n’êtes vraiment pas dans l’austérité! Vous avez ce côté showbiz, ce qui est très bien et vous n’êtes pas la seule. Plusieurs virtuoses de votre génération, d’ailleurs,  sont moins coincés avec le décorum classique que les générations précédentes.

Lucienne Renaudin Vary : Oui mais ce n’est vraiment pas calculé dans mon cas, c’est un peu malgré moi, je ne me pose pas trop de questions là-dessus. C’est naturel, c’est vraiment qui je suis.  Et puis bon, il faut vivre avec son temps!

PROGRAMME:

Giovanni Buonaventura Viviani, Sonate pour trompette no 1 en do majeur (7 min)

RavelVocalise-étude en forme de Habanera (3 min)

Frederic MompouDamunt de tu només les flors [Au-dessus de toi, seules les fleurs] (4 min)

Franz LisztValse de Méphisto no 1, S. 514, pour orgue seul (transc. Ramírez)

Rachmaninov, 6 romances, op. 4 : IV. Chanson géorgienne (4 min)

Rachmaninov, Quatorze romances, op. 34 : V. Arion (3 min)

Entracte

Alessandro Marcello, Concerto pour hautbois en ré mineur (10 min)’
PiazzollaAve Maria (5 min)

MoussorgskiTableaux d’une exposition, extraits, pour orgue seul (orch. Rimski-Korsakov, transcr. Ramírez)

Baba Yaga
La grande porte de Kiev

GershwinThe Man I Love (4 min)

CE PROGRAMME EST PRÉSENTÉ LE JEUDI 2 NOVEMBRE, 19H30, À LA MAISON SYMPHONIQUE.

INFOS ET BILLETS ICI

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