Jérôme Minière et Quasar dans un spectacle rétrofuturiste

Entrevue réalisée par Michel Rondeau

Jérôme Minière et le quatuor de saxophones Quasar font équipe pour la présentation d’un ambitieux technopéra-ballet tragique et expérimental

Genres et styles : expérimental / musique contemporaine / pop

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Je ne suis pas un robot, c’est la rencontre de deux univers, celui virtuose de la musique contemporaine du quatuor de saxophones Quasar et celui plus pop, poétique et un brin malicieux de Jérôme Minière dans un technopéra-ballet tragicomique et expérimental qui explore nos rapports intimes avec l’univers informatique et la technologie, et la frontière de plus en plus ténue qui existe entre l’humain et la machine. PAN M 360 s’est entretenu avec ses trois principaux créateurs afin d’en savoir un peu plus. 

PAN M 360 : Comment le projet est-il né ?

JEAN-MARC BOUCHARD : Ç’a commencé en 2018, quand j’ai rencontré Jérôme. On a passé l’été à travailler ensemble [dans le cadre du projet L’Épicerie musicale dont Minière était l’instigateur] à donner des concerts dans tous les parcs de la ville. On était derrière des kiosques, habillés en maraîchers. On vendait des légumes, et avec les légumes venait une chanson. L’idée derrière ça, c’était qu’il faut se nourrir de bons légumes bio, mais il faut aussi se nourrir l’esprit, avec l’art, la musique… On avait notre thème, que Jérôme avait composé, qu’on jouait trois ou quatre fois par bloc d’épicerie et on jammait là-dessus. Il y avait aussi Eric West à la contrebasse, Jérôme grattait ses accords, pis moi je blowais avec eux autres. 

Lui, il est chanteur pop mais tirant sur l’expérimentation et nous sommes un band expérimental, mais on n’a pas peur de taper du pied quand ça swing. Alors je me suis dit que ce serait l’fun de faire un concert ensemble. Un concert d’une nature un peu différente, plus un spectacle qu’un concert. 

JÉRÔME MINIÈRE : Au départ, il y avait pas forcément de sujet, on a brainstormé ensemble, mais je dirais que l’étincelle est venue de leur côté. Ils jouaient déjà une pièce très complexe qui s’appelle Hello [du compositeur allemand Alexander Schubert et fait partie du programme du concert]. Ils doivent suivre un métronome très compliqué, avec leur oreillettes, c’est vraiment une pièce difficile, et en la jouant, ils se disaient : « C’est pas possible, on n’est quand même pas de robots ! » C’est un peu ça, la blague de départ.

Jérôme Minière. Photo : LePetitRusse

MARIE-CHANTAL LECLAIR : À rebours, c’est difficile de dire exactement qui a eu l’idée de quoi. Je me souviens qu’à un moment donné, Jérôme nous a présenté une série de clips qui s’appelait La vie en boîte. C’était l’histoire d’un chômeur qui s’en va dans un ordinateur, avec quelque chose d’ironique, et moi, ça m’avait attiré, cet univers-là. De fil en aiguille, on s’est dirigés vers cette thématique-là. 

JÉROME : J’étais pas vraiment très chaud à l’idée d’aller dans ce domaine parce que je l’ai abordé dans plein de chansons et de projets par le passé. C’est un sujet que j’ai beaucoup arpenté. Mais finalement, on a trouvé un autre angle, parce qu’en discutant, eux, ils disaient, c’est pas forcément négatif notre rapport aux machines.

PAN M 360 : Entre le moment où vous avez commencé à lancer des idées et le premier spectacle au stationnement Ethel, à Verdun, à l’été 2019, comment ça s’est développé ?

JEAN-MARC : Plus ça allait, plus on se rencontrait souvent, il y a eu une sorte de build-up. On s’échangeait des courriels, on s’appelait pour en discuter. Jérôme arrivait avec un scénario, et nous, on voyait ce qu’on pouvait faire musicalement là-dessus.

JÉRÔME : De fil en aiguille, il y a des gens qui ont embarqué aussi dans le projet. Eux, ils travaillent régulièrement avec Jean-François Laporte, un génial inventeur d’objets sonores. Il invente des trucs vraiment assez fantastiques. Donc, il y avait cette rencontre-là, et puis, moi, de mon côté, je travaille beaucoup en duo avec ma conjointe, Marie-Pierre Normand. Depuis une vingtaine d’années elle, m’a toujours accompagné, souvent dans les visuels des pochettes, des fois sur scène, elle a fait des visuels live, par exemple, avec un rétroprojecteur. Donc, on est habitués à collaborer ensemble et elle a embarqué dans le projet. 

PAN M 360 : Comment résumeriez-vous la thématique ? 

JEAN-MARC : Comme Jérôme travaille depuis longtemps sur la problématique de l’internet, des communications et tout ça, il a une formule intéressante qui dit : « Est-ce l’humain qui se robotise ou la machine qui s’humanise ? » 

MARIE-CHANTAL : La machine prend de la place dans nos vies, on le sait. Et puis, il y a une espèce de rapport amour-haine, dans cet univers-là. Dans nos vies, nos machines, on les aime, on ne pourrait plus s’en passer, et en même temps, des fois, elles nous énervent, pis on a envie de s’en libérer. « Je ne suis pas un robot », c’est cette boîte qu’il faut cocher parfois. Au niveau narratif, Jérôme va avoir à prouver qu’il n’est pas un robot, mais ça ne sera peut-être pas toujours facile.

JÉRÔME : L’histoire est très simple, on ouvre une session, il se passe une série d’événements. C’est très banal, on fait ça tous les jours, on s’installe devant son ordinateur, on ouvre une session et puis à la fin de la journée on est encore à l’ordinateur, donc, c’est un peu ce qu’on raconte à partir de la chose la plus banale au monde, mais finalement on la déconstruit un petit peu et on la questionne; on dégage un peu son étrangeté.

L’idée est que Quasar est un système informatique, et moi, je suis un peu le présentateur de tout ça, le maître de cérémonie. Depuis quelques années, je travaille des spectacles solo où j’ai beaucoup développé un rapport avec la technologie, c’est-à-dire que j’utilise des logiciels qui normalement ne sont pas utilisés en spectacle, plutôt pour des conférences, soit les PowerPoint ou les Keynote de ce monde, et j’ai pas mal de plaisir avec ça. L’idée, c’est qu’on voyage à l’intérieur d’un système, que je présente. Quasar est le système d’exploitation, Jean-François on pourrait dire, c’est plutôt le disque dur, et Marie-Pierre et moi, on est plus dans le desktop, le bureau. 

Quasar. Crédit photo : Marie Lassiat

PAN M 360 : Quel est le fil conducteur de tout ça ?

JÉRÔME : C’est vraiment le rapport de l’humain aux machines, un thème qui dans un sens est très ancien. On peut penser aux Temps modernes de Chaplin ou aux films de Jacques Tati. Donc, c’est un peu dans cette idée-là de rapport des humains aux machines, et puis, comme j’expliquais, moi, j’aime bien faire des fausses conférences qui dérapent un peu. 

Quand je dis que je suis le MC, c’est que je me suis chargé de la partie qui concerne les mots et la performance alors que Quasar reste eux-mêmes, mais dans ce contexte-là. C’est donc la rencontre de plusieurs univers. Je trouve que c’est assez touchant parce qu’on dirait que quand il y a pas les mots, ben il y a les sons, il y a la musique, les interventions de Jean-François ou de Marie-Pierre. Tout ça se répond.

JEAN-MARC : À un moment donné, j’ai dit à Jérôme : « Ce serait l’fun que je puisse travailler avec du matériel à toi, puis que toi tu puisses travailler sur du matériel de Quasar. » Il est venu répéter avec nous autres, il nous a enregistrés, puis il a commencé à se fabriquer des bandes avec des sons qui provenaient des saxophones. Moi, j’ai pris une de ses chansons qui s’appelle Dans un magasin qui n’existe pas, une chanson qui date d’une dizaine d’années, et puis j’en ai fait un arrangement, le thème, et pour toute une partie centrale, je l’ai augmentée d’une suite de variations. Ce sont des quatuors qui s’empilent les uns par-dessus les autres et ça finit avec 60 voix, où là, on joue par-dessus nous autres mêmes.

JÉRÔME : C’est une pièce que j’ai jouée avec toutes sortes de gens et qui a eu toutes sortes de renaissance comme ça, et puis là, c’est un arrangement de Jean-Marc complètement autre dans la partie centrale qui est instrumentale. Ça m’a fait énormément plaisir. S’il y avait juste juste cette chanson-là, moi, je serais ravi. Ça fait des années que je rêvais d’un arrangement minimaliste, c’est super ! 

MARIE-CHANTAL : Comme le disait Jean-Marc, il y a quatorze quatuors de saxophones superposés. Au départ, on était juste quatre, mais après, on s’est dit pourquoi ne pas faire un appel à d’autres musiciens ? Alors, on a demandé à d’autres saxophonistes d’enregistrer des parties et de nous envoyer ça. On a donc recruté soixante jeunes saxophonistes amateurs, d’ici. Ça va du secondaire jusqu’aux étudiants universitaires, de Los Angeles jusqu’à Terre-Neuve en passant par Edmonton, Victoria, Rivière-du-Loup ou le Saguenay. Il va y avoir un écran géant derrière et on va pouvoir y voir apparaître tous ces jeunes musiciens-là qui vont finalement se joindre à nous, de façon virtuelle bien sûr, et qui vont faire une nouvelle version de cette pièce-là. C’est en montage, parce qu’on a reçu plus de 400 petits vidéos, il faut organiser ça, mais ça nous a permis de rejoindre plein de monde qu’autrement on aurait peut-être pas rejoint.

JÉRÔME : Ce qui est un peu étrange, c’est que dans ce projet, en 2019, on était habillés comme les gens qui affrontent la COVID. On n’avait pas de masque mais…

JEAN-MARC : Dans la première version, il y avait une scène où on se mettait à la recherche d’un virus, un virus d’ordinateur. À la blague entre nous autres, on se disait qu’on était précurseurs, pas qu’on l’avait vu venir, mais ça nous a forcés à réévaluer certaines choses.

JÉRÔME : Finalement, on trouvait que c’était moins intéressant dans le contexte de cette année. On aurait pu la garder, mais on a trouvé finalement que ça prenait trop de place.

Je ne suis pas un robot, présenté en webdiffusion samedi 12 décembre à 20 h. Obtenez des billets ici.

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