Fly Pan Am : Nouvelles frontières

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon
Genres et styles : avant-garde / expérimental / krautrock / post-rock

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Après une longue pause où les membres du groupe ont exploré différentes avenues musicales et artistiques, la formation post-rock montréalaise Fly Pan Am est revenue au devant de la scène en 2019 avec l’album C’est ça, quinze ans après le précédantN’écoutez pas. Loin d’être le chapitre final de cette odyssée sonore qui a débuté en 1999 avec l’album Fly Pan AmC’est ça ouvrait plutôt la porte vers l’avenir, et l’avenir se traduit aujourd’hui par Frontera, trame sonore directe et viscérale juxtaposant un krautrock furieux à une électronique inquiétante; une musique qui incarne parfaitement les messages et idées véhiculées par la compagnie de danse contemporaine Animals Of Distinction et la chorégraphe Dana Gingras. Frontera a permis à Fly Pan Am de repousser ses propres frontières, de s’en affranchir même, donnant au groupe un second souffle et par le fait même l’occasion de se réinventer sans jamais trop s’égarer. 

Fly Pan Am et PAN M 360… il était tout naturel que les deux entités se rencontrent un jour, et c’est avec beaucoup d’enthousiasme que Roger Tellier-Craig et Jonathan Parant nous ont détaillé la genèse et l’évolution de cette enrichissante aventure.

PAN M 360 : Quelle est l’histoire derrière Frontera ? Comment tout ça s’est mis en place ?

Roger Tellier-Craig : Je travaille avec la chorégraphe Dana Gingras depuis facilement 20 ans, donc elle connaît bien Fly Pan Am. On est d’abord entré en contact vers 2001 ou 2002 car elle voulait travailler avec Godspeed à l’époque où je jouais avec eux. Elle est venue nous voir en concert et elle a bien aimé Fly Pan Am qui jouait aussi ce soir là. Elle a utilisé une de nos pièces pour une chorégraphie à cette époque puis, à partir de ce moment, la collaboration s’est développée. Quand elle a su qu’on s’était reformé en 2018, elle est venue à nous car elle cherchait un groupe assez énergétique sur scène pour faire la trame sonore de sa nouvelle chorégraphie. Ça s’est fait assez simplement.

Jonathan Parant : J’avais déjà aussi travaillé avec elle par le passé. Ce n’était pas pour de la musique mais dans un spectacle de danse auquel je participais. Je la voyais aussi à l’occasion au bar Le Cheval Blanc et au fil du temps j’ai développé une amitié avec elle. Donc de mon côté, je n’ai pas hésité une seconde pour collaborer à nouveau avec elle. En fait tout le groupe était d’accord pour travailler avec elle avant même qu’on parle du projet.

PAN M 360 : Qu’est-ce que cette chorégraphie tente d’évoquer ?

Roger Tellier-Craig : En gros elle concerne les frontières, les limites arbitraires, les espaces subliminaux, la surveillance…

Jonathan Parant : Par « espace subliminal », on entend l’espace entre le vivant et le côté plus inanimé, les cultures, les lieux de rencontres et de transformations… J’aime beaucoup cet aspect d’espace subliminal par rapport aux frontières. Ce n’est pas juste une frontière physique faisant référence aux litiges politiques ou aux réfugiés par exemple, ça touche aussi l’espace culturel, les ramifications de l’art, les distances que ça peut créer au niveau du potentiel de la créativité par rapport aux frontières, donc comment on réagit par rapport aux frontières quand celles-ci représentent une limite, comment on réagit quand on outrepasse ces limites… c’est comme ça que je perçoit Frontera.

RTC : La notion de parcours (les pièces Parkour 1 et 2 sur l’album) est de se réapproprier un lieu, un peu comme la psycho-géographie qui n’est pas supposé être utilisée pour ce qu’on finit souvent par en faire. Il y a cette idée de dépasser les limites imposées par une certaine forme de pouvoir dans Frontera.

JP : Se réapproprier l’espace public, social, culturel pour se redéfinir avec des concepts comme, par exemple, la danse, la chorégraphie, la musique, le son, le multimédia…

PAN M 360 : Comment met-on en route un tel projet ? Ça ne se passe pas au local entre quatre musiciens, vous devez travailler conjointement avec la chorégraphe, la troupe de danse, le visuel et la scénographie…

Roger Tellier-Craig : De son côté, la troupe avait déjà commencé à travailler sur une musique temporaire avant qu’on embarque dans le projet. En fait on est arrivé dans le décor presque deux ans après le début du projet Frontera. Donc eux avaient déjà déterminé la rythmique du spectacle, les bpm, le style d’atmosphère musicale qu’il allait y avoir. Quand Dana nous a embarqué avec eux, elle nous a donné la playlist avec laquelle ils avaient déjà travaillé et nous on a pas mal calqué les bpm et certains aspects musicaux. Donc on a développé notre musique en se basant sur ce premier canevas sonore. À partir de ça, on a répété avec eux et raffiné tout ça davantage. Petit à petit on y a ajouté notre personnalité.

Jonathan Parant : On était trop collé à cette playlist et c’est à partir du moment où on a décidé de s’éloigner de celle-ci, en ne gardant que les bpm, que cela a réellement pris forme. 

PAN M 360 : Reste qu’en dehors de la chorégraphie, il y a aussi toute la collaboration de United Visual Artists à cette oeuvre. Deviez-vous aussi vous coller à l’aspect visuel/multimédia et scénographique du spectacle ?

Roger Tellier-Craig : Dans une certaine mesure, oui. Par moment la création a été orientée par les jeux de lumières, notamment une partie avec un laser qui scanne toute la scène 17 fois, donc il faut qu’il y ait le même son qui se répète 17 fois afin d’être en phase avec le scanner.

PAN M 360 : Du tout début de votre intervention jusqu’à la première représentation, on parle d’un travail qui s’échelonne sur combien de temps ?

Roger Tellier-Craig : Environ une année, mais ce n’était pas un travail en continu.

PAN M 360 : Est-ce qu’il y a eu des modifications du spectacle à l’album ?

Roger Tellier-Craig : On a été obligé de couper. La durée totale du spectacle est d’environ 70 minutes donc c’était impossible de faire entrer ça sur un seul vinyle. Mais dans le fond cela a servi la musique car en coupant ici et là, on a éliminé des longueurs qui ne se perçoivent pas sur scène mais qui le sont sur disque. Ceci dit, on n’a pas non plus sacrifié de gros passages à part pour un des morceaux, Body Pressure, qui fait huit minutes en spectacle et environ trois minutes sur le disque. 

PAN M 360 : Par rapport à vos précédents albums, qu’est-ce qui distingue Frontera ? Avez-vous essayé des nouveaux sons, de nouveaux rythmes, de nouvelles méthodes de travail ?

Jonathan Parant : En ce qui me concerne oui, car quand j’ai commencé à travailler sur Frontera, j’avais déjà laissé notre précédent disque C’est ça derrière. Ce disque, c’était celui du retour de Fly Pan Am après une quinzaine d’année d’absence, nous avions beaucoup d’idées, et on a tous ressenti une certaine densité, il fallait qu’on travaille toutes ces idées sonores ensemble pour trouver la bonne voie. Alors que pour Frontera je cherchais à épurer mon son de guitare, trouver plus de mélodies, avoir un son plus clair, moins ambient. J’avais envie de travailler avec les dynamiques d’absences et d’apparitions. 

Roger Tellier-Craig : Je dirais que sur tous les albums qu’on a fait avant, on joue toujours tous les quatre en même temps, à part sur certains passages plus atmosphériques. Alors que pour Frontera, c’est la première fois où on ne joue justement pas tous les quatre en même temps. Quelques fois tu as juste de la batterie avec une guitare, ou de la batterie avec un clavier, ou juste du clavier… Je dirais qu’au final ça donne quelque chose de beaucoup plus épuré et minimaliste, de moins dense. C’est la première fois aussi qu’on essaye des séquences, qui sont activées par ordinateur. Félix (Morel), notre batteur, est un batteur punk, donc il ne joue pas avec des click tracks, alors il a fallu trouver une façon d’inclure la batterie live avec la batterie programmée et nos propres séquences… C’était un peu compliqué. Je dirais aussi que d’avoir retrouvé une esthétique plus instrumentale nous a ramené à nos racines. Je trouve qu’il y a des passages où on se rapproche du vieux Fly Pan Am même si les sons ne sont pas pareils, on a un côté plus krautrock alors que pour C’est ça on a un côté plus shoegaze, noise, électro-acoustique. 

PAN M 360 : Avec le recul, pensez-vous que l’exercice Frontera a modifié vos méthodes de travail et peut-être ouvert de nouvelles perspectives ?

Roger Tellier-Craig : Absolument, il y a certains trucs qu’on va retenir. Je pense qu’on va tenter davantage d’échantillonner la batterie, mettre des séquences par-dessus… 

Jonathan Parant : L’influence de la chorégraphie m’a fait changer la vélocité de mon jeu de guitare, puis l’amplification m’a apporté une écoute différente, une nouvelle façon de comprendre les dynamiques d’un groupe de musique, et j’ai envie d’explorer ça dans le futur. L’exercice Frontera pour moi c’est comme un genre de tremplin, quelque-chose qui va me suivre dans mon cheminement musical, du moins comme guitariste au sein de Fly Pan Am. Je voudrais que pour nos futurs enregistrements, on garde en tête cette dynamique d’écoute, de ne pas toujours tous jouer en même temps. 

PAN M 360 : Pourquoi avez-vous décidé de remettre le projet en marche après presque quinze ans de silence, et qu’est-ce que cette longue pause a apporté à Fly Pan Am ?

Roger Tellier-Craig : Je pense qu’à l’époque on trouvait qu’on avait tout dit ce qu’on avait à dire. Par contre on n’a jamais dit que c’était terminé pour de bon. Cette pause nous a permis de faire ce qu’on avait envie de faire en dehors de Fly Pan M. De mon côté, ça m’a donné le temps de me plonger davantage dans la musique électronique et électro-acoustique, d’être capable de faire de la musique avec des ordinateurs et des synthétiseurs. Quand on a fait N’écoutez pas en 2004, pour ma part, il y avait une certaine frustration par rapport à nos capacités techniques. Ce n’était pas à la hauteur de ce que j’aurais voulu faire, bien que je sois très content de cet album. Mais ce sentiment est demeuré et à un moment donné, des années plus tard, on s’est dit qu’avec notre nouveau bagage, il serait peut-être temps qu’on fasse ce qu’on aurait voulu faire en 2004. Donc c’est comme si C’est ça serait le frère plus mature de N’écoutez pas. On avait tous envie et besoin de faire ce disque. C’était une étape et on était prêt à faire autre chose ensuite, et Frontera était justement une occasion pour nous d’essayer autre chose, autrement. Frontera nous a donné des pistes différentes et nous a prouvé qu’on peut faire autre chose.

PAN M 360 : Le titre est opportun, c’est un disque qui semble ouvrir de nouvelles frontières, ou alors repousser les anciennes pour le groupe. Avez-vous des projets dans un futur proche ?

Jonathan Parant : On espère pouvoir reprendre la route avec toute la compagnie de danse car c’est vraiment un show très agréable. Toute l’équipe est agréable. Et comme on n’avait pas joué ensemble depuis longtemps et qu’on n’a fait qu’une dizaine de shows avec Frontera, ça me manque de jouer sur scène. Il y a eu tellement de travail sérieux avec toute cette équipe, nous étions tellement bien soutenus et entourés que ce serait vraiment dommage qu’on ne reprenne pas la route tous ensemble. 

Roger Tellier-Craig : De mon côté je suis plus un gars de studio que de scène mais le spectacle Frontera me convient parfaitement car je suis plus en retrait, je ne suis pas à l’avant de la scène, je fais plus partie du visuel finalement et je peux me concentrer sur mon son. En dehors de Frontera, on parle de faire un autre disque éventuellement mais on n’est pas pressé non plus. Ça demeure assez vague car on sait jamais avec cette histoire de pandémie. Mais c’est clair que C’est ça n’était pas notre dernier disque, ce n’est pas « c’est ça qui est ça » mais plutôt une réponse aux enfants de JS (Jean-Sébastien Truchy, bassiste de la formation) qui demandaient souvent « c’est quoi Fly Pan Am? »

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