BEATS à MUTEK: deux nuits SATurniennes pour retrouver le cœur virtuel

Entrevue réalisée par Louise Jaunet
Genres et styles : industriel / techno

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Depuis plus de vingt ans, la révolution numérique n’a eu de cesse de faire évoluer notre environnement à un rythme effréné et ce de plus en plus en décalage avec nos rythmes biologiques naturels. A notre insu, cette nouvelle extension virtuelle peut en contrepartie ralentir le développement d’un aspect plus vital, plus enfoui, plus instinctif et plus vibrant de nous même. Dans un avenir relativement proche, cette évolution artificielle maintenant rendue hors de contrôle pourrait nous entraîner dangereusement de force dans sa propre chute, ou à l’inverse, nous montrer comment nous recentrer sur le chemin de la vérité.

Avec la pandémie, les sentiments de sur-connexion et d’accélération incessante se sont amplifiés et se sont même transformés en sentiments universels. Présenté le 24 et le 25 août en avant-première à la SAT dans le cadre de la 22ème édition du festival MUTEK, le nouveau collectif montréalais BEATS tente de transformer ce phénomène mondial en expérience scénique transdisciplinaire. Jumelant danse contemporaine, projections visuelles et créations sonores, la performance retrace le cheminement de l’être humain pris dans ce tourbillon étourdissant de technologie à la recherche de son essence éternelle cachée.

Munies d’un stéthoscope et d’un bâton lumineux autonome connectés tous deux aux compositions sonores et visuels, les trois interprètes Yuki Berthiaume, Hamie Robitaille et Molly Siboulet-Ryan communiquent chacune leur art à travers une chorégraphie pensée par Stéfania Skoryna et forment un tout à l’aide des appareils conçus sur mesure par Ganesh Baron Aloir. PAN M 360 a rencontré toute l’équipe derrière l’ambitieux projet multidisciplinaire, technologique et immersif BEATS.

PAN M 360 : Le projet a été lancé publiquement le 8 mars dernier durant la pandémie. Comment a démarré ce projet? Quel en a été le déclencheur?

Hamie Robitaille : Notre rencontre a pas mal été l’élément déclencheur. C’était parti à la base d’une envie de faire un spectacle avec Yuki qui mêle de la danse, de la musique et des éléments visuels. On s’est rapidement rendu compte qu’il nous fallait plus d’aide au niveau de la chorégraphie. C’est là que Stefania s’est jointe à nous pour faire le projet. On avait envie de faire de la création au féminin je pense et d’amener le sujet du travail incessant, du quotidien, de la pression de performance. Nous avions envie de faire ça toutes les trois même si nous étions très occupées.

Stefania Skoryna : Je suis entrée dans le projet alors qu’il y avait déjà une première version de dix minutes. J’ai demandé à Molly Siboulet-Ryan de participer, je trouvais ça plus facile d’être à l’extérieur pour voir la chorégraphie plutôt qu’être dedans.

PAN M 360 : Pour la mise en scène, on entrevoit dans la vidéo un décors un peu rétro soviet. Pourquoi ce choix?

Stefania Skoryna : C’est venu tout seul. On est dans le travail, dans une tâche, le costume choisi est la Chine et la musique est très mécanique.

Hamie Robitaille : Au niveau de la scénographie, on savait qu’on allait s’en aller vers quelque chose de techno et industriel. Quand on parle d’industriel, les codes sont le travail à la chaîne, les barils, le look mécanique. Le côté soviet vient probablement de là.

PAN M 360 : Yuki, tu es chargé de la composition sonore du projet. Toi qui as un pied dans la scène rock garage (I.D.A.L.G., Jesuslesfilles), encore plutôt analogue, comment vis-tu cette transition vers le numérique via le projet BEATS?

Yuki Berthiaume : J’ai fait un an en électroacoustique, mais il s’agit de ma seule expérience dans ce domaine. Dans les groupes pour lesquels je joue, je compose toujours un peu ma partie au synthé. Mais je n’avais jamais vraiment composé entièrement une musique au complet, c’était vraiment nouveau. Je l’ai fait, mais je ne sais pas vraiment comment (rire). J’ai réussi à composer 40 minutes de matériel. J’ai essayé beaucoup de choses, c’était vraiment de l’expérimentation, je ne maîtrise pas la technologie que j’utilise. Mais je trouvais ça intéressant d’avoir une approche un peu punk, plus intuitive. Je ne maîtrise pas Ableton mais ce n’est pas grave, je l’ai fait pareil, ça allait forcément donner quelque chose. J’ai appris de ça justement, de ne pas faire comme tout le monde ou de ne pas maîtriser l’instrument. Ça devient même une force.

PAN M 360 : Votre projet est présenté lors du festival MUTEK à la Satosphère. Comment se passe l’expérience à 360º?

Hamie Robitaille : Dans le cadre de MUTEK, on nous a offert un choix difficile, c’est à dire choisir entre la Place des Arts ou le dôme de la SAT (rire). Comme on avait déjà eu la chance de présenter un spectacle assez frontal et classique dans le cadre de Code d’Accès, on s’est dit qu’on pouvait l’amener dans le dôme de la SAT à 360º. Comme les visuels sont assez prenants, l’immersion était pertinente pour le sujet du spectacle. Se sentir submergés par les visuels autour de nous contribue à amplifier le sujet de la pièce. C’était un beau défi. On aimerait éventuellement pouvoir le faire complètement à 360º. C’est un peu un hybride, le spectacle demeure frontal.

PAN M 360 : Vous parlez d’un sentiment du temps qui s’accélère. Un de vos objectifs est de transformer ce sentiment universel en expérience scénique. Qu’est ce qui vous donne ce sentiment d’accélération incessante? Qui accélère selon vous, l’humain ou la technologie?

Hamie Robitaille :  C’est vraiment l’œuf ou la poule. Un des premiers réflexes est de dire que c’est la technologie. De mon côté, je ne suis pas certaine. La technologie a été développée pour servir un besoin humain, un besoin d’adrénaline, d’aller plus vite, d’être plus efficace. L’humain a créé la technologie mais finalement, on a perdu le contrôle. La technologie est l’élément qui exacerbe tout ça. On l’a vu avec la pandémie, on était extrêmement connecté et cela a amplifié ce sentiment. Au final, ce besoin d’adrénaline est humain et la capacité de faire des tâches à répétition est plutôt le rôle de la machine.

Stefania Skoryna : Par exemple, je n’ai pas de données internet sur mon cellulaire mais je le sens qu’il y a des choses qui vont plus vite que moi. Est ce qu’on est obligé d’accepter cela? Je prends le choix de le repousser. Je me rappelle de l’utiliser comme un outil.

PAN M 360 : Vous utilisez un stéthoscope connecté pour transformer les rythmes du cœur en sons et en images. Concrètement, comment les battements du cœur sont transformés en matériel numérique?

Hamie Robitaille : Le stéthoscope a été bidouillé avec l’aide de Ganesh et de Youtube (rire). C’est un petit micro cravate qui est branché dans le stéthoscope et qui nous permet d’entendre le cœur. Le son est passé dans Ableton et est filtré. Ce battement de cœur peut faire réagir les visuels en temps réel, c’est réellement  un outil de création.

PAN M 360 : La limite entre le monde organique et le monde numérique devient de plus en plus floue, pas seulement par rapport aux nouvelles technologies, mais dans notre ressenti même au quotidien. Est ce que l’on peut dire que vous essayez de trouver de la vie à travers la machine?

Hamie Robitaille : On n’essaie pas de donner une âme à la machine, on essaie de retrouver de l’humanité dans tout ce tourbillon de technologie. Molly incarne d’ailleurs l’humain dans la pièce.

Molly Siboulet-Ryan : Il s’agit plus d’une réunion que d’une transformation. Dans le spectacle, l’humain a perdu une partie de soi et la retrouve à travers un cheminement.

Yuki Berthiaume : C’est aussi pour illustrer que lorsqu’on se pousse à bout, le corps lâche prise.

Stefania Skoryna : Le but est quand même de reprendre le contrôle avant d’en arriver là, de reprendre sa respiration.

PAN M 360 : Le bâton lumineux est influencé par les sons et les visuels mais il influence également en retour les sons et les visuels. Ce processus autonome peut se rapprocher du concept biologique d’homéostasie, un processus de régulation qui tend à garder des variables autour d’un certain équilibre. Comment fonctionne la boucle de rétroaction du bâton?

Ganesh Baron Aloir : Le bâton est bidirectionnel, on peut lui envoyer des commandes pour changer le type d’allumage qu’il va avoir. A l’inverse, on a de l’information sur son angle, sa rotation, sur la vitesse de son mouvement qu’on peut attribuer à différents effets visuels ou audios. 

Hamie Robitaille : Pour le spectacle, comme il s’agit encore d’un prototype, on se concentre sur les mouvements du bâton qui font réagir les visuels et sur l’audio qui fait réagir la lumière dans le bâton. Mais éventuellement, si on a du financement, on aimerait le peaufiner et le rendre disponible à d’autres créateurs. Il pourrait même réagir à la météo, à la pression atmosphérique. Les possibilités sont vraiment infinies. Dans le futur, on va continuer la recherche. On est d’ailleurs en train de travailler sur le nouveau prototype, il fait maintenant deux mètres. Il comporte 220 LED, un micro contrôleur et quatre batteries pour l’alimenter. Ganesh est super bon avec la technologie mais il n’avait jamais fait d’objet connecté à 100%. Il a dû apprendre à faire de l’impression 3D et à programmer dans des langages obscurs (rire).

PAN M 360 : Le bâton possède un peu sa propre vie au milieu du spectacle. Pourquoi avoir décidé de lui donner sa propre autonomie? 

Hamie Robitaille : C’est une bonne question. On caressait l’idée de ce bâton lumineux depuis longtemps mais on ne savait pas trop ce qu’il voulait dire. Il s’est tranquillement transformé en question : qu’est ce qui nous anime au final? C’est un peu l’âme dans le spectacle, quelque chose d’immatériel. C’est un bâton qui s’allume, qui réagit, qui est sensible. Il n’est pas toujours autant allumé d’une partie à l’autre de la pièce. A un certain moment, je pense qu’on a tous mis notre âme de côté pour travailler. Dans le spectacle, d’autres personnes contrôlent parfois le bâton, le manipulent. A la fin, on veut retrouver cette âme-là. C’est pour ça qu’il a sa propre vie dans le spectacle. C’était important pour nous d’avoir un objet un peu différent et majestueux.

Yuki Berthiaume : C’est comme son soi, son essence, sa lumière. C’est le sens du sacré.

Crédit photo : Maxyme G. Delisle

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