Le « Gorgon » est décédé le 6 octobre de problèmes rénaux, à 79 ans. Né en 1941 à Kingston, il fit ses débuts dans l’industrie musicale en 1962, grâce à son beau-frère le chanteur Derrick Morgan, en tant qu’agent de promotion pour le label Treasure Isle de Duke Reid, puis pour Leslie Kong (Beverly’s). Son premier grand succès, Musical Field de Roy Shirley (1967), en pleine explosion rocksteady, l’amène à fonder son propre label, Lee, avec lequel il deviendra un acteur majeur de cet âge d’or. Puis, avec l’avènement du nouveau son early reggae, il enfile les énormes succès de Slim Smith (Everybody Needs Love), The Uniques (My Conversation), Max Romeo (Wet Dream), Delroy Wilson (Better Must Come), Eric Donaldson (Cherry O Baby), John Holt (Stick By Me) et de nombreux autres titres de Stranger Cole, Derrick Morgan, Pat Kelly et autres.
À l’aube des années 70, il devient l’un des pionniers du développement du reggae au Royaume-Uni en signant des licences avec les frères Palmer (Pama) et Trojan Records. On dira qu’entre 1969 et 1977, il a fait paraître plus de mille productions sur ses différents labels Jackpot, Third World, Lee’s et Striker Lee ! Mais ce n’est que vers 1974 que Bunny Lee, avec l’aide de Lee Perry, brisera le monopole détenu par Coxsone Dodd (Studio One) et Duke Reid (Treasure Isle) avec des productions comme Rockers de Johnny Clarke, Owen Grey et Cornell Campbell. La même année, à la suggestion de Bunny Lee, le batteur Santa Davis développe le style « flying cymbals », influencé par le jeu de batterie de la formation américaine T.S.O.P., avec la chanson None Shall Escape The Judgment, interprétée par Johnny Clarke. Dès le début des années 70, le producteur expérimente avec le dub avec son ami King Tubby, un nouveau style… né d’une gaffe à la console. D’ailleurs, en studio, il garde tout, même les erreurs. Il expliquera en entrevue que : « Every spoil a style, man! », comme quoi les plus gros succès, les nouveaux sons proviennent souvent d’erreurs techniques.
D’autre part, puisqu’il n’a jamais possédé son propre studio, avec l’avènement des consoles multipistes il comprend rapidement comment maximiser ses investissements. En un jour ou deux, il enregistre une dizaine de rythmiques avec les Aggrovators de Sly & Robbie. Le troisième jour, il fait venir des chanteurs et des DJ pour l’enregistrement des voix. Le quatrième, on passe au mix, en produisant trois albums – un de versions des chanteurs, un de celles des DJ et une version dub – qui seront tous mis en marché… le lundi suivant ! Après 76, il se tournera vers les apprentis de Tubby’s, Prince Jammy et Phillip Smart pour mixer ses albums. Il contribuera alors à la montée des DJ dans les palmarès avec des productions de U-Roy, I-Roy, U-Brown, Dennis Alcapone, Prince Jazzbo, Jah Stitch, Trinity et Tappa Zukie, entre autres, pour lesquelles Striker n’a aucun scrupule à repiquer les rythmiques classiques de Studio One ou de Treasure Isle. Vers la fin de la décennie, ses artistes fétiches deviendront Linval Thompson, Leroy Smart et Barry Brown.
En 2008, le gouvernement jamaïcain lui décerne L’Ordre de la Distinction en reconnaissance de son immense contribution à l’industrie musicale. En 2013 paraît un documentaire, I Am The Gorgon – Bunny Striker Lee and The Roots Of Reggae, réalisé par Diggory Kenrick, qui raconte sa vie à l’aide d’entrevues avec les artistes qu’il a contribué à rendre populaires, tels que U-Roy, Alcapone et Lee Perry.
On commençait à le penser immortel… Un bonhomme jovial, businessman avant tout, jamais avare de superlatifs à son propre sujet, mais qu’on disait très proche de ses artistes, tout comme de King Tubby, une autre légende qui a profité du génie du Striker. Il laisse dans le deuil un fils, Errol, né en 68, qu’il a eu avec la chanteuse Marlene Webber.
Ne manquez pas l’émission spéciale Basses Fréquences de notre journaliste Richard Lafrance consacrée à Bunny Lee, dimanche 11 octobre, de 16h à 18h sur cism893.ca !