chant lyrique / opéra

Du souffle et du cœur : l’Opéra de Montréal et la COVID longue

par Luc Marchessault

Après s’être attardé aux effets délétères de la pandémie sur le monde de la musique, Pan M 360 se penche aujourd’hui sur un projet où des représentants de ce monde, en l’occurrence une mezzo-soprano de l’Opéra de Montréal et ses collègues, tendent la main aux gens qui sont aux prises avec des symptômes de la COVID longue.

La musique est un pouls, la musique est un souffle. Elle rythme les rituels, elle soulage l’âme. Le médecin et philosophe grec Hippocrate croyait déjà, il a presque 2500 ans, que la musique influait sur la santé de l’humain[1]. De nos jours, les applications de la musicothérapie sont plus vastes que jamais. On s’en sert désormais pour combattre des fléaux neurologiques comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson[2].

La pandémie qui afflige la planète depuis plus de deux ans laisse dans son sillage des millions de morts, mais également des survivants souffrant d’un nouveau mal que l’on nomme « maladie post-COVID-19 » ou encore « COVID longue ». La Dre Janet Diaz, cheffe de la gestion clinique à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en a résumé les symptômes l’automne dernier. Ceux-ci comprennent « la fatigue, l’essoufflement, les dysfonctionnements cognitifs, mais aussi d’autres qui ont généralement un impact sur le fonctionnement quotidien. Les symptômes peuvent être d’apparition récente, après le rétablissement initial de l’épisode aigu, ou persister depuis la maladie initiale. Et puis les symptômes peuvent aussi fluctuer ou rechuter avec le temps »[3].

En août 2020, à Londres, l’English National Opera a lancé un « programme pilote (…) de chant, de respiration et de bien-être visant à soutenir et à améliorer le rétablissement des survivants de la COVID-19 »[4], en étroite collaboration avec l’organisme Imperial College Healthcare. Ce projet a trouvé écho chez nous, à l’Opéra de Montréal. Son responsable des volets action sociale et éducation, Pierre Vachon, a saisi la balle au bond lorsque l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) a mis sur pied sa clinique IPCO (IRCM Post-COVID) en février 2021. La Dre Emilia Falcone, infectiologue et directrice d’IPCO, a assuré l’Opéra de Montréal de sa collaboration. Le programme RESPIRER est né, grâce à Pierre Vachon et, durant ses premières phases, à Ariane Girard, cheffe de chant à l’atelier lyrique de l’Opéra. La mezzo-soprano Charlotte Gagnon a ensuite pris le relais, concrétisant et animant, à partir de la mi-mars 2022, les séances de chant destinées aux patients suivis par IPCO.

« Puisque les symptômes de la COVID longue sont variés et ne se présentent pas de la même façon chez ceux qui en souffrent, le programme RESPIRER offre une variété d’exercices, notamment en matière de respiration, mais aussi en ce qui a trait aux bienfaits de la musique », explique Charlotte Gagnon. Toutes celles et tous ceux qui ont tâté du chant – que ce soit au sein d’une chorale ou ailleurs – le confirmeront : le chant est sain, stimulant, libérateur, cathartique. Il provoque la sécrétion d’endorphines, qui atténuent l’effet des hormones du stress (cortisol, adrénaline, ACTH, ocytocine, vasopressine). « Lorsque je chante les Quatre derniers lieder de Richard Strauss (…), dans la dernière mélodie j’atteins l’état méditatif. Ma respiration ralentit. Je peux me détacher complètement de ma vie de tous les jours, et cela m’arrive à chaque fois », confiait en 2018 la cantatrice Renée Fleming à la revue Stanford Medicine.[5]

« Les chanteurs d’opéra sont les grands maîtres de la respiration; le geste du chant consiste à expirer en produisant un son. Le contrôle du souffle est primordial, c’est ce que nous tentons d’inculquer aux participants. Certains d’entre eux ont des symptômes davantage liés à l’anxiété, à la mémoire ou à d’autres éléments cognitifs. Nous apprenons donc des chansons pour stimuler des parties du cerveau qui ne sont pas sollicitées au quotidien. Chanter en groupe vient apaiser les symptômes d’anxiété, tout comme le fait de se concentrer sur le souffle et la respiration plus profonde. Une foule d’éléments propres à l’art lyrique sont très bénéfiques », explique Mme Gagnon. La plupart des participants n’ont aucune notion de chant. Charlotte Gagnon leur propose des airs connus comme À la claire fontaine, Amazing Grace ou la barcarolle des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach.

Violaine Cousineau a contracté la COVID il y a un an et demi. Elle vit, depuis lors, avec des séquelles tenaces et invalidantes. Femme naguère très active, prof de littérature au cégep, amatrice de plein air et grande lectrice, elle doit aujourd’hui composer avec une capacité de concentration très restreinte et se reposer après tout effort. Pour elle, l’initiative de l’Opéra de Montréal équivaut à une bouffée de compassion et de solidarité qui pallie les lacunes gouvernementales, en matière de soutien aux victimes de la COVID longue.

« Nous sommes encore dans l’expérimentation, il ne s’agit pas d’un projet de recherche validé par des pairs, mais on sent que l’Opéra est en démarche avec nous, à l’écoute de nos malheurs. Nous en sommes aux premières séances, on s’ajuste encore », nous confie Violaine Cousineau. Au premier atelier, certains participants ne pouvaient plus rien faire après trois ou quatre respirations. La Dre Falcone assure une supervision médicale lors de toutes les séances : elle observe les réactions des participants et s’assure que leur état est satisfaisant.

Charlotte Gagnon ne se contente pas d’être mezzo-soprano : yogini de longue date et bien au fait des bienfaits du yoga sur sa pratique de l’art lyrique, elle est devenue professeure de yoga après le début de la pandémie. Elle songeait à transmettre son savoir yogique à ses collègues chanteuses et chanteurs, avant que le programme RESPIRER ne lui donne plutôt l’occasion d’en faire profiter les victimes de la COVID longue. Mme Gagnon est titulaire d’une maîtrise en musique classique, volet interprétation. Sa formation n’était pas axée sur la musicothérapie; son intérêt pour la santé et la psychologie (elle a fait plusieurs cours en la matière) la transcende. De plus, elle précise que l’initiative RESPIRER, à la fois exploratoire, ludique et empathique, entre dans le domaine de la médiation culturelle, où l’on utilise l’art pour créer des liens avec la communauté.

La COVID longue constitue une maladie nouvelle, donc mal connue et pas encore reconnue officiellement. Le nombre de gens qui en souffrent croît constamment. L’Opéra de Montréal aimerait que tous ceux-ci aient accès à son programme, peut-être sous forme de capsules Internet. Le programme RESPIRER n’en est donc qu’à ses débuts. « De savoir que des gens se soucient de nous réapprendre à respirer, dans le bonheur de la musique, puis entendre la voix d’une chanteuse d’opéra alors que je ne peux guère aller aux concerts, c’est un cadeau en soi. Il y a là-dedans une empathie et une générosité incroyables », se réjouit Violaine Cousineau.


[1] ROCHON, Michel. Le cerveau et la musique, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2021, p. 111-112.

[2] Ibid., p. 123-127.

[3] https://news.un.org/fr/story/2021/10/1105862

[4] https://www.eno.org/news/the-english-national-opera-launches-eno-breathe-with-imperial-college-healthcare-nhs-trust/

[5] https://www.radiofrance.fr/francemusique/pourquoi-aimons-nous-chanter-5189130

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