Blurring Time est un opus intimiste, sorte de documentaire/ création de 9 chansons principalement inspirées par la transition de l’artiste, remplies de bienveillance et de douceur. Cet enregistrement de Bells Larsen fait suite à Good Grief paru en 2022, et à son EP If I was I am.
Amorcé avec l’enregistrement de la voix haute et achevé avec celui de la voix basse après la transition et la prise de testostérone, le tout résulte en un amalgame des différentes versions de l’artiste, son « soi d’avant » et son « soi du présent » qui se répondent et s’unissent dans un duo qui n’existera jamais autrement que sur l’album. On se situe à l’instant T où le passé et le présent s’entremêlent, autant au niveau des voix qu’au niveau des textes, sur la ligne éphémère du changement, dans ce cas-ci séparant la corporalité féminine et masculine – bien que cette binarité ait peu à voir.
Musicalement, j’aime m’imaginer que si The Shins et la Soko de I thought I was an alien se rencontraient, ça donnerait quelque chose dans la même galaxie.
À travers neuf chansons indie-folk aux arrangements subtils, un choix calculé afin de laisser briller les voix très intimes, on vit chronologiquement cette mutation. On traverse avec l’artiste ses espoirs et ses doutes par rapport au changement sous toutes ses formes, et à ce qu’il laisse derrière dans l’alignement du processus, toujours dans une belle liberté.
La réalisation épurée de Graham Ereaux laisse toute la place au propos.
La guitare sèche, nostalgique et ensoleillée de Blurring Time, ouvre les portes de l’album en se penchant sur le sujet d’une relation ayant coexisté avec chacune des identités de l’artiste. La texture intéressante de la pedal steel confère une belle dimension à 514-415 et à Questions, où on retrouve aussi un arrangement de trompette-synthé ajoutant un aspect épique et victorieux à la ritournelle hypnotique de la guitare. On retrouve également de délicats arrangements de piano, sur Calme Incertain et pour la rencontre marquante de 143, les deux chansons en Français de l’album, ainsi que sur Might, ma préférée avec sa progression très bien arrangée. Composured Veneer et My Brother and Me, quant à elles, apportent un peu plus de lourdeur et se démarquent par leur influences plus alternatives. Le contraste entre l’émerveillement de la nouveauté et la résurgence de l’ancien est habilement exprimé sur The Way the wind blows, notamment par la voix du passé rattrapée par la voix du présent avec la double partition de guitares qui se croisent, soulignant cette relation.
En résumé, un album au sentiment réconfortant et lumineux, doublé d’un concept novateur voire inédit. Ce duo mélodieux et improbable inscrit cette période de changement jusqu’à la prochaine, puisque celles-ci sont continuelles et qu’après tout « We’re ships passing in the night, sailing under different skies ».
Une manière très originale, magnifique, de se dire au revoir et bienvenue.