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Dans la foulée du concert présenté dimanche au Music Multimedia Room (MMR) de l’Université McGill, qui a plongé l’auditoire dans un écosystème sonore immersif de 3 heures avec des œuvres d’Annette Vande Gorne, Julien Guillamat, David Piazza, Ana Dall’Ara-Majek, Francis Dhomont et Robert Normandeau, PAN M 360 a posé ces quelques questions à Annette Vande Gorne, figure emblématique de la musique acousmatique. Un échange autour de son parcours, des liens artistiques qui unissent le Québec et la Belgique et de l’évolution de l’acousmatique.
PAN M 360 : Vous avez reçu l’enseignement de Guy Reibel et Pierre Schaeffer au Conservatoire national supérieur à Paris entre 1977 et 1980. Qu’est-ce qui vous avait attiré dans le médium de la musique concrète et acousmatique?
Annette Vande Gorne : La découverte par hasard de musique concrète et acousmatique (Le voyage de Pierre Henry et Les espaces inhabitables de François Bayle) a provoqué un bouleversement complet de ma perception musicale : sensation de flottement corporel, formes abstraites en mouvement spatial, des blanches sur fond noir, dans mon imaginaire mental. La communication immédiate au-delà de toute connaissance spécialisée et barrière culturelle (par le biais des archétypes, des images iconiques et de leurs traces) qui conduit librement nos imaginaires personnels, m’a immédiatement fait dévier un chemin lisse et prévisible de musicienne classique et compositrice de musique instrumentale vers des sentiers plus rocailleux, mais novateurs, de la musique acousmatique : rien à voir, tout à imaginer.
PAN M 360 : Les liens entre la Belgique et le Québec dans le développement de la musique acousmatique sont importants et marqués par des rencontres importantes. Comment ces liens sont-ils nés et quels ont été leurs impacts?
AVDG : Les mailles de ces liens ont été tissées grâce à Francis Dhomont, alors professeur à l’Université de Montréal et invité lors du premier festival « L’Espace du Son » en 1984 à Bruxelles. Il avait instauré un atelier électroacoustique d’été à Arles auquel certains de ses étudiants participaient, et m’avait suggéré que l’un d’entre eux fasse une résidence dans le studio analogique Musiques & Recherches. J’ai choisi Robert Normandeau en 1987. Depuis lors, les liens se sont resserrés, notamment entre le Conservatoire royal de Mons où j’ai créé une section électroacoustique – maîtrise en composition acousmatique – et l’Université de Montréal dont cinq étudiants sont actuellement en résidence à Mons. Mais aussi des liens éditoriaux entre le label Empreintes DIGITales de Jean-François Denis et 6 compositeurs résidant en Belgique. Enfin, et surtout, des liens d’échange et d’amitié se perpétuent grâce un constant va-et-vient de résidences, concerts, commandes et conférences entre Musiques & Recherches, quelques compositeurs belges et moi-même et des associations ou séries de concerts comme Réseaux, Akousma, Le Viver aujourd’hui, outre de nombreux compositeurs du Québec.
PAN M 360 : La voix, premier vecteur émotionnel et musical et support ancestral de toute communication, est à la base de votre cycle Vox Alia qui sera présenté en intégralité. Comment avez-vous décliné cet élément dans le traitement sonore de l’œuvre?
AVDG : Toutes les strates – du son au sens, du cri au langage, du parlé au musical – sont explorées dans l’usage de la voix. La voix comme entité purement sonore convient particulièrement aux traitements électroacoustiques en studio, tout comme à la polyphonie spatiale. Reformer des chœurs virtuels et spatialisés dans tout l’espace du lieu de concert à partir de voix autonomes en est un exemple. La salle du CIRMMT au sous-sol du Pavillon de musique Elizabeth Wirth de l’Université McGill est d’ailleurs une merveille de précision sonore grâce à ses 66 haut-parleurs de très haute qualité. D’autres concerts acousmatiques y seraient tout à fait adaptés.
PAN M 360 : Comment qualifieriez-vous votre démarche de création? Quels sont les éléments qui vous inspirent en tant que compositrice, mais aussi en tant que chercheuse? La recherche est-elle toujours présente quelque part dans vos compositions?
AVDG : La recherche est indispensable. Je ne peux imaginer la création novatrice sans un humus théorique qui la soutienne et la justifie. Merci en soi rendu à François Bayle, dont la recherche constante, elle-même basée sur ses lectures pertinentes, permet au genre particulier « acousmatique » d’exister sur des bases raisonnées. Je prolonge cela en intégrant ces réflexions dans un contexte musicalement plus large, sorte de pont vers la pratique appliquée au sensible. Et cela fonctionne! Actuellement, je rédige un traité de composition acousmatique.
PAN M 360 : La performance du 9 mars raconte un peu une histoire générationnelle également. La première partie présentera votre œuvre Vox Alia avec Vol d’arondes de votre ami, le défunt compositeur Francis Dhomont, alors que la deuxième partie présentera des œuvres de compositrices et compositeurs qui ont été marqués par vos enseignements respectifs. Qu’est-ce qui vous marque dans la manière dont les jeunes compositeurs et compositrices abordent la composition aujourd’hui? Quelle évolution notez-vous?
AVDG : La question est vaste et, me semble-t-il, ne peut être généralisée, car les environnements culturels sont différents par exemple entre Montréal, le Québec, et l’Europe, la France, la Belgique, etc. Évidemment, la technologie et ses évolutions (de l’analogique à l’intelligence artificielle) est générale et partagée par tous, mais son usage diffère, et dépend aussi de l’orientation des nouvelles générations d’enseignants. On quitte ici le monde de l’écoute pure vers celui des multimédias et des écrans, alors qu’en Belgique, grâce à la multiplicité des concerts spatialisés sur acousmoniums ou systèmes de haut-parleurs (il en existe 5 en Belgique) et des orchestres contemporains (6 en Flandre et Wallonie-Bruxelles), l’écoute seule est au centre de la pratique musicale.
PAN M 360 : Quels conseils donneriez-vous à des néophytes qui voudraient découvrir ou s’initier à la musique acousmatique?
AVDG : Écouter, les yeux fermés! Intérioriser, concentrer son attention, se laisser conduire par des images mentales, cultiver sa mémoire. S’intéresser au répertoire (le site « électrodoc » de Musiques & Recherches recense plus de 7000 compositeurs et 17500 œuvres : et electrocd.com compte une vaste électrothèque.
Commencer à enregistrer, casque sur la tête, tous sons qui l’attirent et l’intriguent, écouter les enregistrements, choisir et ne pas hésiter à effacer ce qui ne semble pas assez musical.
Vivre heureux, passionnément. S’engager.
Dans le cadre de la Semaine du Neuf et en en collaboration avec le Conservatoire de musique de Montréal et le Vivier InterUniversitaire, deux classes de maître ouverte au public avec Annette Vande Gorne et la compositrice Linda Catlin Smith sont proposées.
Annette Vande Gorne
L’espace au cœur de la recherche en musique acousmatique
Mercredi 12 mars – 13h à 16h
Conservatoire de musique de Montréal (Salle Multimédia)
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Classe de maître avec la compositrice Linda Catlin Smith
Jeudi 13 mars – 16h à 18h
Conservatoire de musique de Montréal (Salle de récital)
Cette activité est en lien avec le concert Quatuor Bozzini: Effusione d’Amicizia