OJPB : cœur et musique indissociables

Entrevue réalisée par Salima Bouaraour
Genres et styles : breakbeat / drum & bass / électronique / hip-hop / house / jungle / soul

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Idéaliste et humaniste. Mélomane et éclectique. Inclassable et brillant DJ. Vous l’avez sûrement croisé sur une scène montréalaise, que ce soit à Mutek, au Piknic Electronik, à Music Is My Sanctuary ou que ce soit sur les ondes de Rinse FM ou sur la radio locale N10AS et d’autres encore. De sa belle modestie, Olivier Borzeix vous dira qu’il n’est pas une figure incontournable de la scène, mais il l’est, malgré lui. Depuis vingt ans, il participe à façonner le visage musical montréalais : ancien disquaire, collectionneur, DJ hors pair, producteur. Indéniablement, sa personne est mêlée à celle de la ville pour la faire rayonner.

Débordant d’énergie et d’optimisme, il transmet généreusement sa passion au public lors de ses performances. Passant de l’électro à la soul, la house, la drum’n’bass, la jungle, au hip-hop ou au breakbeat, OJPB peut faire tourner les platines pendant des heures, sans interruption, lors d’une rave. Ses capacités de marathonien sont le reflet de sa personnalité, bien entendu, mais aussi le fruit de longues heures à dénicher les perles et à pratiquer son agilité.

En 2021, alors qu’il était en phase sévère de dépression, il produisit un EP intitulé Thédore Le Fou. Contrastant cet épisode obscur de sa vie, Olivier compose quatre titres aux consonances joyeuses et chaleureuses. Teinté d’une certaine « french touch », Théodore Le Fou résonne très house.

Dresser un portrait sur tant d’années relève du défi. Néanmoins, Olivier nous fait cadeau de quelques confessions sur la manière de rester toujours sur la piste avec en prime un mix d’une heure spécialement préparé pour Pan M 360.



Pan M 60 : On ne sait plus par où commencer pour présenter ton parcours dans la musique depuis plus de vingt ans tellement la liste est longue : feu-disquaire chez Atom Heart, DJ, producteur, collectionneur de disques… Comment pourrais-tu résumer ces fructueuses expériences?

OJPB : Ma vie entière est intrinsèquement liée à la musique. Si je devais définir les 20 dernières années (grosso modo depuis mon arrivée à Montréal), je dirais qu’on pourrait voir une ligne directrice de partage de découvertes, de moments et d’émotions. Je sais que ça sonne un peu « cheesy », mais je m’assume (rires)!

Pan M 60 : Lorsqu’on écoute tes « DJ sets », que ce soit sur ton émission de radio à N10AS ou à MIMS Radio au Centre Phi ou à RINSE France ou en rave lors de certains événements comme ceux de Homegrown Harvest, on perçoit clairement tes sélections hyper éclectiques (électro, soul, house, drum’n’bass, jungle, hip hop, breakbeat…) qu’il devient quasi impossible de te classer dans un registre. Explique-nous ce qui guide tes choix et quel message tu cherches à transmettre.

OJPB : J’ai tellement souffert d’être rangé dans une case, par le passé, que je ne suis pas si mécontent que ce soit plus difficile de le faire à présent. Pour ce qui est de guider mes choix, je dirais que c’est l’anticipation de mon fantasme concernant le moment où je vais jouer. L’idée de surprendre les gens, de les garder engagés, de leur transmettre l’énergie pour que la connexion se fasse entre nous tous.

Pour moi, le « party » parfait est l’équivalent d’une manifestation. On fait bloc, on est un corps qui s’exprime, on se sent indestructible pendant quelques heures. On est côte-à-côte avec certaines personnes dont on ne sait (encore) rien, ou bien des gens qu’on ne voit que sur les « dancefloors », ou bien nos ami.e.s de cœur.

Je suis un idéaliste donc je me prépare un peu tout le temps pour ça, mais je ne me décourage pas trop quand ça n’arrive pas (rires)!

Pan M 60 : On dit souvent que la voix est le miroir de l’âme. Ici, tout laisse présager que ta musique est le reflet de ta personne. À travers un documentaire sur la musique à Montréal, diffusé en 2017, tu parles de toi – Olivier Borzeix – et de ton rapport à la musique. Alors, je me demande : comment la musique a-t-elle façonné ton identité?

OJPB : J’ai l’habitude de dire que la musique est toute ma vie. C’est assez emphatique comme déclaration, mais c’est tout de même vrai. Je suis né dans une famille de musiciens (surtout classique). J’ai étudié la musique une grande partie de ma vie et je n’ai cessé de m’y réfugier dès que je pouvais ou quand le monde me paraissait inhospitalier. La plupart de mes choix de vie ont été dictés de près ou de loin par leur compatibilité (véritable ou supposée) avec la musique; je pourrais même dire que ceux qui ne l’ont pas été m’ont mené à de la tristesse et souvent à rebrousser chemin.


Pan M 60 : Quelles sont les rencontres mythiques et inoubliables que tu as faites sur la scène à Montréal ou ailleurs?

OJPB : Si l’on parle de célébrités, j’en ai vraiment beaucoup rencontré, en travaillant pour le Piknic Electronik et Igloofest. Une rencontre emblématique fut de me retrouver à manger une soupe tonkinoise, face à face, avec Daniel Bélanger sur la table commune d’un restaurant vietnamien du Village. C’était un an ou deux après la parution de Rêver mieux, qui reste un de mes disques favoris de pop québécoise. Sinon, la rencontre avec Underground Resistance et la journée passée avec eux restera gravée dans ma mémoire.

Puis, il y a aussi tous ces gens qui m’ont accueilli ici comme Skinny Bones, Simon Bélair, Colin Vernon; ceux qui m’ont donné l’énergie de penser que j’avais peut-être quelque chose à dire ici comme ESL (notre feu crew formé de Bus, Jenn Wade, Bizou); mes frères Nahash, Nico et Bruno, mais il y en a tellement d’autres.

Pan M 360 : En septembre 2021, tu as sorti un album Théodore Le Fou sur l’étiquette Lazy Days Recording. J’aimerais que tu partages avec nous le processus artistique de cette douceur house qui sonne le soleil.

OJPB : Le processus artistique de cet EP me tient particulièrement à cœur. Vers la fin de 2020, j’ai reçu le diagnostic d’une dépression sévère. Je me suis retrouvé à vivre les moments les plus sombres de ma vie. La pandémie n’aidant en rien, évidemment, je me retrouvais souvent à l’entrée de mon studio avec une angoisse et un sentiment d’absurdité. En bref, je n’arrivais plus à faire quoi que ce soit de musical. Le blocage total. Existentiel même. Le déclic est arrivé grâce à mon ami Bruno qui s’essayait un peu à la production en attendant que la vie reprenne. Un jour, il me demanda si je pouvais l’aider avec une ou deux de ses pistes en chantier. Sans même en prendre conscience, je suis rentré dans mon studio sans appréhension et en confiance vu qu’il s’agissait d’aider un ami. Voir cet ami travaillait de manière ‘candide’ m’a beaucoup inspiré. Le lendemain, j’étais à pied d’œuvre dans mon studio et j’ai travaillé sans arrêt pendant deux mois. Ce retour, après une longue pause de production, m’a donné envie de changer d’approche. Je me mets toujours plus ou moins des contraintes de base quand je fais de la musique. Mais, cette fois-ci, j’ai décidé de m’en mettre des nouvelles comme essayer des styles de musique qui m’ont toujours paru inatteignables pour ce qui est de la technique de production. Pour ce EP, les styles en question étaient le broken-beat – en particulier Atjazz – avec Théodore le Fou, et le two-step avec Phonétique et Ottomatik.

Pan M 60 : Ton parcours, ta polyvalence et ton hyperactivité font de toi une référence incontournable de la musique à Montréal. Quels sont tes nouveaux projets?

OJPB : Je ne pense pas être une référence incontournable à Montréal, mais merci du compliment (rires)! Je n’ai pas particulièrement de « nouveaux » projets, mais je produis énormément ces temps-ci. Je compte essayer (pour la première fois) de faire mixer ma musique par quelqu’un d’autre pour essayer de voir ce que ça pourrait amener à ce nouveau matériel avec l’idée, évidemment, de trouver une étiquette pour le sortir.

Pan M 60 : Quel regard poses-tu sur la scène et ses artistes, aujourd’hui? Qui sont les artistes ou les étiquettes ou les collectifs qui t’inspirent?

OJPB : La scène est en effervescence depuis la réouverture des clubs et l’allègement des restrictions. Il y a énormément de nouveaux ou nouvelles DJ qui ont profité de la pandémie pour se mettre à mixer et c’est franchement grisant, rassurant et énergisant de voir autant d’ardeur et d’enthousiasme. Un bon exemple de ce renouveau est le collectif Arriver Flush. Je suis allé à quasiment toutes leurs soirées et je n’ai jamais été déçu. J’y découvre toujours de nouvelles ou nouveaux artistes et l’ambiance y est tout le temps incroyable.

Pour ce qui est des artistes qui m’inspirent il y en a tellement… mais les gens qui m’intéressent le plus en ce moment sont Nahash, Anabasine, Honeydrip, Dileta, Zi!, Donotstealmyname et Liliane Chlela pour ce qui est de la musique de danse / électronique, Sun Entire, No Cosmos et Jerusalem In My Heart pour ce qui est des autres genres.

Pan M 60 : Quels sont les autres villes ou lieux phares qui te font rêver en tant que DJ? Que tu voudrais faire danser jusqu’à très tôt le matin?

OJPB : J’adorerais aller en Afrique du Sud, tout ce que j’ai entendu sur cette scène me fascine et beaucoup de musique de ce pays m’inspire depuis très longtemps. J’aimerais aussi énormément faire un tour/jouer à Bristol, ce serait quasiment un pèlerinage, je crois (rires)!

Pan M 60 : Les prochains événements pour OJPB. Veux-tu nous faire un instant d’autopromotion?

OJPB : Je vais jouer avec Dileta au Système (un nouveau club vraiment incroyable sur St-Hubert) le 28 juillet, au Osmo x Marusan le 29 juillet et au Village au Pied-du-Courant le 21 août, mais je ne peux pas encore vous dire avec qui!

Pan M 60 : Pour finir cette entrevue, quel est ton secret pour dénicher les meilleures musiques?

OJPB : Concernant la découverte de musique, je fonctionne selon un mode obsessionnel. Souvent, je tombe sur un genre ou une « microscène » que je ne connaissais pas et je poursuis le filon jusqu’à ce que j’aie l’impression d’avoir ma propre carte mentale de ce nouveau terrain. Je suis assez vieille école; je n’ai pas vraiment trouvé de meilleure manière de dénicher qu’en allant physiquement ou virtuellement dans un magasin de disques. J’adore le hasard de tomber sur quelque chose dont je ne connais ni l’artiste, ni l’étiquette, ni parfois même le genre en écoutant systématiquement le bac des nouveautés. C’est un hasard pour moi, mais pas pour les personnes qui ont méticuleusement sélectionné ces disques. La Rama est devenu – et reste – mon disquaire préféré à Montréal, parce que c’est franchement un des endroits où je peux faire ça et toujours trouver quelque chose qui m’intéresse.

Mix exclusif pour Pan M 360 :


Photo : Bruno Destombes

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