Mathieu Bourret : improviser pour exister

Entrevue réalisée par Jade Baril
Genres et styles : classique occidental / néoclassique

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Le Climatologue, c’est le déploiement de 4 albums conçus au gré des saisons, c’est une véritable fresque pianistique signée Mathieu Bourret.

Musicien éduqué à l’école classique depuis son plus jeune âge, le pianiste a pris un autre chemin: aujourd’hui, il se donne corps et âme dans l’improvisation avec un vrai souci de mélodiste, ce qui n’est pas sans plaire à un vaste public potentiel.

Conscient que le style néo-classique s’est acquis une place importante dans le milieu musical au cours des dernières années, notamment grâce à plusieurs artistes québécois, Mathieu Bourret y souhaite une plus grande place réservée à l’improvisation..

Il en discute avec PAN M 360.

PAN M 360 : D’où vient l’idée du projet Le Climatologue?

Mathieu Bourret : C’est un peu cocasse, mais le projet est arrivé à un moment où j’avais l’habitude d’improviser au piano. Alors que ma conjointe s’occupait des enfants, je me suis installé au piano et la tension dans la maison a diminué. C’est souvent ce qui se produit, tout dépendant de ce que je joue. Un jour, ma blonde m’a simplement dit que j’étais comme un climatologue et je ne comprenais pas trop pourquoi elle me décrivait ainsi. Elle m’explique que, selon elle, j’avais un effet sur le climat interne des gens et le climat externe de la maison. En quelque sorte, ma musique avait un impact sur l’environnement dans lequel je jouais. C’est ensuite devenu une blague quotidienne et en fin de compte, c’est devenu le nom du projet. Ce n’est même pas venu de moi, c’est d’une anecdote anodine de tous les jours et par la suite, j’ai continué à composer et m’investir dans la création pour réaliser ce que je composais avait aussi un immense impact sur moi aussi. C’est très thérapeutique pour moi. À force de jouer en public et à force de jouer un peu partout, ça m’a confirmé que ma musique pouvait apaiser les autres. Je dis ça très modestement parce que c’est mon entourage qui me le dit, ce n’est pas moi qui le pense.

PAN M 360 : Et comment êtes-vous arrivé à vous constituer une équipe pour faire le projet?

Mathieu Bourret : C’est vraiment un projet de vie. J’avais ce projet en tête depuis toujours, mais pour se lancer dans une telle aventure, il faut vraiment être dans une zone de vulnérabilité et d’authenticité totale. Je te dirais qu’avant, je n’étais pas prêt à ça. Je ne peux pas composer de la musique instrumentale et la jouer seul sans être complètement connecté à ma vulnérabilité. J’ai rencontré ma conjointe Véronique Boucher, qui est ensuite devenue ma gérante, et elle m’a amené à accepter cette vulnérabilité. C’est tellement épuré ce que je fais que ça ne peut pas être autre chose que m’ouvrir au public. Donc, même si je n’avais pas été prêt à ce moment-là à m’exposer comme ça, grâce à elle, j’ai pu franchir cette étape. Elle m’a aussi dit que j’avais le potentiel et m’a encouragé à en discuter avec toute l’équipe. Au départ, c’était uniquement elle et moi. J’étais à mon piano et elle croyait en moi. Par la suite, nous avons tranquillement conçu le concept de quatre albums en un an qui suivent le fil des saisons.  Je ne suis pas le premier à faire ça, Vivaldi l’a fait il y a très longtemps.

PAN M 360 : Joues-tu d’autres instruments? Explique-moi pourquoi le piano est ton instrument de prédilection.

Mathieu Bourret : C’est une relation amour-haine. En résumé, j’ai perdu un cousin par le suicide quand j’avais 10 ans. À cette époque, je n’étais pas outillé pour exprimer mes émotions. J’ai réussi à trouver un moyen de le faire par le piano et l’improvisation afin d’éviter de sombrer dans la tristesse. J’y ai consacré beaucoup de temps, je passais des nuits à improviser. Je m’enfermais dans ma chambre et je préférais improviser au piano plutôt que de jouer à des jeux vidéo. Petit à petit, j’ai trouvé ma plume, mon essence. Je me suis tellement investi dans cet instrument que je n’ai vraiment pas eu l’énergie de la mettre ailleurs. Même si l’on ne sait pas en jouer, il nous donne ce qu’on a envie de ressentir. C’est très réceptif comme instrument. Ça a commencé comme ça, mais évidemment j’ai fait mon baccalauréat à l’Université de Montréal en piano classique. J’ai aussi joué de la trompette pendant 5 ans. J’ai exploré un peu tous les instruments, mais il n’y a pas un instrument qui se rapproche de la sensibilité que je veux entendre lorsque je joue. Cet instrument répond à mes besoins.

PAN M 360 : Quels ont été les défis auxquels tu as dû faire face pendant la création de tes 4 mini albums?

Mathieu Bourret : Il y en a eu vraiment beaucoup. Je dirais la couleur pour chacun des albums. En partant, en trouvant un concept de 4 albums sur les quatre saisons, il fallait que chacun des albums ait une touche de la saison et qui se distingue l’un par rapport à l’autre. Par exemple, il fallait que l’album d’hiver soit un peu rétrospectif, froid, minimaliste. J’ai essayé de garder cet univers le plus clair possible. Par contre, le plus gros défi a été la rapidité à laquelle je devais composer les pièces. J’avais un mois entre chaque album pour composer, parce que je devais l’avoir fini au moins deux mois avant. C’est assez intense. Donc, il faut toujours être un pas en avant sur celui qui s’en vient. Je finissais un album et je n’avais pas le temps de profiter du moment présent qu’il fallait que je réalise le prochain. L’échéancier, les dates limites à cause des subventions et rester zen sur la création ont été mes plus gros défis.

PAN M 360 : Es-tu habitué à travailler aussi rapidement?

Mathieu Bourret : Je pense que j’ai aimé ça. Ça a été un gros défi parce que tout était nouveau. On a appris les rouages du métier en un an. On s’est servi de la pandémie pour rebondir, mais je dirais que cette manière de composer avec des contraintes de temps entre autres, ça me va vraiment bien! J’aime ça, ça m’encadre. Ça ne m’a pas du tout dérangé.

PAN M 360 : Y a-t-il un album que tu préfères plus particulièrement?

Mathieu Bourret : Mon coup de cœur dans mes albums, sur lequel j’ai eu le plus de facilité à composer, est Taïga, le deuxième, celui d’hiver. Toutes les conditions étaient propices à m’inspirer. J’ai composé cet album en entier dans un chalet. C’est facile de s’imaginer le lac un peu gelé avec le début de l’hiver, un petit foyer à mes côtés. C’étaient les conditions parfaites et mes pièces ont été composées d’un coup. C’est celui dont je suis le plus fier. Sinon, Pamplemousse, celui que je viens tout juste de sortir, me ressemble beaucoup aussi.  Ce sont mes deux côtés; mon côté plus sombre et froid de Taïga et le côté un peu plus lumineux de Pamplemousse. Ça reste mon univers, je ne suis pas dans les rigaudons. Je demeure tout de même dans ma musique minimaliste instrumentale néo-classique. Ces deux albums sont ceux dont j’ai fait le plus de recherches de sons, j’ai compris un peu plus mon style à travers ces deux albums.

PAN M 360 : Les pièces de ton projet sont-elles toutes des improvisations?

Mathieu Bourret : On a tous une façon différente de composer. La mienne commence vraiment par de l’improvisation spontanée, ce qui veut dire que je ne me connecte à rien d’autre que la spontanéité. Je m’installe au piano et c’est à ce moment que la magie se crée. Il y a donc beaucoup d’heures d’improvisation et je sélectionne par la suite ce que je préfère. Sur les 23 pièces de mon projet, 90% ont été des «one shot» que j’ai peaufinés avec le temps. Et sur ces mêmes pièces, il y en a deux que j’ai laissées telle quelle – Blanc de mémoire et Lanterne. Ce sont deux pièces que j’ai faites du premier coup que j’ai enregistrées et elles contiennent des petits artéfacts sonores. Je ne les ai pas retravaillées parce que je considérais que je ne pouvais pas faire mieux que cette fois. Ça commence tout le temps par de l’improvisation et c’est peaufiné avec le temps.

https://mathieubourret.bandcamp.com/track/blanc-de-m-moire

PAN M 360 : La chanson Le Cactus est celle qui, selon moi, se démarque le plus. On vient rechercher des sons un peu plus complexes qui semblent provenir d’autres instruments. Peux-tu m’en expliquer le processus de création ?

Mathieu Bourret : C’est très drôle parce que ma tante m’a appelé ce matin pour me dire qu’elle a écouté mon album et elle était convaincue que cette pièce venait d’un autre artiste. Elle m’a appelé pour me demander s’il y avait seulement 6 chansons sur mon album alors qu’il y en a 8. La chanson Le Cactus est un peu particulière parce qu’en fait, c’est seulement du piano. Il n’y a absolument aucun autre instrument. J’ai tenté de travailler avec toutes les variantes que le piano peut offrir. Par exemple, étouffer les cordes avec ma main gauche et de jouer avec ma main droite, ce qui fait ressortir le côté plus percussif du piano. J’ai aussi utilisé la répétition, avec cette pièce que j’ai composée dans le but de ne pas me prendre au sérieux. Je me suis assis à mon piano, il y avait un cactus dessus et je me suis tout simplement questionné sur la façon dont je pouvais faire pour que ça sonne comme un cactus. J’ai fait de mon mieux et ça a donné la pièce. Ce n’est pas plus compliqué que ça.

PAN M 360 : Que retiens-tu de cette expérience de produire 4 albums sous un même projet?

Mathieu Bourret : Bonne question! Je ne sais pas si j’ai envie de refaire un tel projet prochainement puisque c’est beaucoup de travail ainsi que devoir composer avec des contraintes tout au long du projet, je ne pense pas que je voudrais être toujours dans cette situation, même si ça peut être agréable. J’ai envie de créer en toute liberté. Ça m’a donné la confiance de composer des pièces rapidement avec des contraintes, ce qui est intéressant sur l’estime personnelle en lien avec la création. Le côté plus négatif c’est la gestion du temps. J’ai du mal à gérer la notion du temps quand je compose, donc quand on me dit de remettre un produit à une date précise, ça me demande un effort supplémentaire. Sinon, j’en garde de bons souvenirs de ce projet.

PAN M 360 : Tu fais partie d’un projet avec la municipalité de Blainville, peux-tu en expliquer le concept?

Mathieu Bourret : C’est arrivé entre deux albums. Ce sont 123 minutes de musique. Origine : consultation-création, qui est ma gérance, a proposé à la Ville de Blainville un projet de sentiers musicaux. Les gens se rendent dans les sentiers des parcs de la Ville, qui comptent 6 parcs avec une vingtaine de sentiers. Chacun des sentiers a maintenant une musique sur mesure. Les gens arrivent avec leur téléphone, scannent le code QR, mettent leurs écouteurs et marchent sur ma musique. Ça a été vraiment un gros projet, ce sont beaucoup de minutes de musique! Ce n’est pas seulement du piano, on a travaillé avec des arrangeurs et des cordes. J’encourage tout le monde à aller voir ça, c’est vraiment formidable!

PAN M 360 : Quels sont tes prochains projets?

Mathieu Bourret : On travaille sur une compilation des quatre albums parce qu’on vient tout juste de monter mon spectacle au Théâtre Gilles-Vigneault. On a monté un spectacle à la suite de l’obtention d’une bourse du CALQ donc on est vraiment très contents. Le spectacle est clé en main, on peut maintenant se produire partout. On est en train de bouquer le spectacle et donc on travaille énormément là-dessus présentement. Et pour ça, on a décidé de faire un album compilation des quatre EP qu’on a fait dans l’année. Au lieu d’avoir quatre mini-albums en main, les gens vont pouvoir se procurer Le Climatologue, qui est l’album complet contenant toutes les pièces. On veut le sortir le 10 septembre. On trouvait ça plus simple afin d’éviter de trop éparpiller. Le concept des quatre saisons est tout de même présent dans l’album!

PAN M 360 : Désires-tu ajouter quelque chose dont nous n’avons pas discuté?

Mathieu Bourret : Je trouve important de miser sur l’improvisation parce qu’on est chanceux au Québec d’avoir des artistes incroyables qui ont ouvert des portes sur la musique néo-classique instrumentale, dont Alexandra Stréliski, Jean-Michel Blais, etc. C’est formidable, ce sont de magnifiques compositions. Cependant, ce que je peux apporter à l’univers musical c’est le côté improvisation, parce qu’en spectacle, c’est vraiment ça qui se passe. J’improvise, je fais venir des gens sur scène, quand la pandémie cessera, ils me donnent des notes et je compose avec ces dernières. J’ai vraiment  ce souci de démocratiser l’improvisation et de le rendre accessible à tous parce que c’est littéralement ce qui m’a sauvé la vie. C’est vraiment ça qui m’a amené à composer et si ça peut ouvrir des horizons à certaines personnes. J’espère que ça les aidera.

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