Marie Davidson & L’Oeil Nu : Assumer la pop

Entrevue réalisée par Alain Brunet

La carrière de Marie Davidson sera-t-elle propulsée par Renegade Breakdown, nouvel album… pop ?!

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Crédit photo : Jocelyn Michel

Chanson française, électro-pop, disco, funk, krautrock, space rock, french touch, ballade jazzy. Terminé, le périple poético-technoïde de la performer Marie Davidson ? La composante électronique de l’album Renegade Breakdown, n’est-elle pas ténue pour une artiste associée aux formes pointues de la création numérique ? 

N’empêche… si on écoute attentivement les enregistrements antérieurs de la musicienne, autrice, compositrice et performer, plusieurs styles populaires observables sur son nouvel opus l’étaient déjà auparavant. C’était idem pour Essaie Pas, duo avec son complice et mari Pierre Guerineau. Cette fois cependant, les lumières pop flashent beaucoup plus fort.

Risquent-elles d’éblouir ou d’aveugler ?  

Quoi qu’en penseront les fans de la Montréalaise et de ses deux acolytes de L’Oeil Nu, le choix est parfaitement assumé. En témoigne cette conversation menée avec Marie Davidson, Pierre Guerineau (Essaie Pas, Feu Saint-Antoine) et Asaël Robitaille, concepteurs de Renegade Breakdown,  lancé officiellement le 25 septembre sous étiquettes Ninja Tune (monde) et Bonsound (Canada).

PAN M 360 : On s’est croisés il y a quelques mois et on a causé de votre admiration pour Fleetwood Mac, ce qui pourrait en étonner plus d’un. D’où vient ce goût de la pop ?

Marie Davidson : J’écoute Fleetwod Mac depuis que j’ai 17 ans, ce n’est vraiment pas nouveau. Je peux pratiquement tout dire sur Stevie Nicks ! (rires) En tant que mélomane, je connais vraiment le jazz. La chanson Just In My Head , d’ailleurs, est une ballade jazzy qui rend  hommage à ces influences. Aussi j’ai été sensibilisée à la musique actuelle à cause de D. Kimm (ma mère) lorsqu’elle donnait des shows de poésie avec des instrumentistes d’avant-garde.

Pierre Guerineau : Bien au-delà de l’électro, nous écoutons toutes sortes de musiques – rock, punk, chanson française, jazz, classique, etc. Pendant plusieurs années, nous avons exploré les sons électronique, les rythmes, les textures, mais nous sommes toujours restés fans de bon songwriting. 

Asaël Robitaille : De mon côté, j’ai une formation en composition (classe de Serge Provost au Conservatoire de Musique de Montréal), je connais la musique contemporaine de tradition classique, j’ai ensuite bifurqué vers le prog , le jazz fusion, l’ambient, les musiques de film et plus encore.

PAN M 360 : Lorsque un artiste associé à des tendances pointues se met à la pop, comment doit-il s’y prendre ? Y a-t-il un risque de perdre sur tous les plans, côté pointu et côté grand public ? 

PG : Nous en avons parlé entre nous et effectivement, nous avons conclu que nous allions ignorer ce risque. Avant cet album, nous avions travaillé les rythmes, les textures, le sound design, nous avions envie de revenir à la création de chansons. Ainsi, notre raffinement acquis en électro est au service d’un songwriting solide. Nous savons que c’est notre travail le plus fort.

MD : Oui, c’est très différent des albums antérieurs mais nous étions prêts à prendre le risque. Pour ce qui est de la réaction du public, c’est hors de notre contrôle. En maintenant la même facture pour faire absolument plaisir au public, la musique peut perdre son âme. Je suis connue pour ne pas faire de compromis, Pierre et Asaël non plus. Nous avons fait le travail, cet album nous plaît. Nous savons que Renegade Breakdown peut sembler légèrement disparate, nous y trouvons une vraie cohésion; le lien, c’est ma voix, mes histoires, mon expression. 

PG : Il y a une variété de genres dans cet album, nous n’y voyons aucun problème. Les gens écoutent toutes sortes de musiques aujourd’hui. Les gens ont soif de ça. Personnellement, je m’ennuie au bout de trois ou quatre chanson lorsqu’un album est monolithique. Ce qui se démarque, c’est l’honnêteté, la sincérité, le travail, l’intégrité.

AR : Il n’y a pas tant de risque que ça, il me semble. Les deux premiers singles de l’album sont plus près de la club music, ils constituent un pont entre ce qu’on connaît de Marie et ce qui suit. C’est un aboutissement, je pense, par rapport au travail accompli au cours des années précédentes.

PAN M 360 : Quelle est la distinction entre Marie Davidson, L’Oeil Nu et Essaie pas ? 

MD : Après New Path, nous avons décidé a décidé de mettre le duo Essaie Pas en pause indéterminée. J’avais signé pour deux albums avec Ninja Tune sous mon nom, je ne pouvais changer l’affaire au deuxième. Mais les gens du label savaient que le deuxième album serait enregistré avec un band, ils étaient vraiment emballés par l’idée. 

PG : Il y a donc Marie la frontwoman et il y a un groupe derrière qui l’accompagne, L’Oeil Nu. Ce qui change par rapport aux enregistrements précédents, c’est que la voix et l’écriture de Marie sont à l’origine des chansons.

AR :  Il y a une distinction à faire entre Marie et L’Oeil Nu. Déjà en 2011, Pierre et moi amorcions ce projet. Nous avions alors entrepris de créer une chanson chaque nuit en nous inspirant de la soundtrack européenne des années 70 – Vladimir Cosma, Ennio Morricone, Francis Lai, Serge Gainsbourg, etc.

PG :  Nous avions enregistré des maquettes qui sont restées lettre morte sauf exceptions. Nous avons ensuite commencé à parler d’un projet pop avec Marie. 

MD : C’était en 2015. Nous avons finalement amorcé le travail le 5 janvier 2019, nous y avons travaillé pendant un an et demi.

PAN M 360 : Dans Essaie Pas et les projets solo de Marie Davidson, on observe des éléments de pop française, électro-pop ou autres sources grand public dans laquelle vous plongiez vos expériences électros. Cette fois, le côté pop est plus assumé que jamais. Comment avez-vous organisé tout ça ?

MD : On n’a pas cherché un style ou un type d’instrumentation, on a cherché l’énergie et l’expression elle-même. Si nous ressentions quelque chose, c’était OK. Par exemple, Worst Comes To Worst est disco funk, Renegade Breakdown est disco rock, Center Of The World est influencé entre autres par l’album Rock Bottom de Robert Wyatt. On peut toucher autant à Pink Floyd qu’à Mylène Farmer ou aux Skatt Bros. C’est l’expression de notre univers pop.

PG : C’était l’idée : nous ferions un album pop/chanson et ça a pris toutes ces formes. Mais ça reste ce que nous sommes, c’est fait à notre manière. 

PAN M 360 : Quelle a été la méthodologie? 

MD : Jusqu’à maintenant, mon travail était fondé sur la création de séquences rythmiques et mélodiques. Cette fois, j’avais envie de sortir de la loop et ramener de « vrais » instruments. J’arrivais avec mes mélodies et mes textes, ils jouaient le reste. Je n’ai presque pas joué d’instruments mais nous étions toujours ensemble en studio. 

PG : Ainsi, Marie enregistrait le squelette des chansons avec son dictaphone et s’amenait avec nous en studio. Relativement limités, nos moyens nous ont obligés à utiliser en partie des instruments virtuels.

AR : Plus précisément, l’harmonium, les bois et les cordes sont virtuels, alors que les claviers, les guitares, la basse et la batterie sont réels pour la plupart. 

PG : Asaël joue plusieurs guitares et claviers, Guillaume Éthier (Chocolat, Bernardino Feminelli) joue de la batterie, avec le producteur Dominic Vanchesteing  nous avons travaillé sur certaines sections band… Studio Crow, Jackson Macintosh basse et guitare, Asaël, guitare et claviers, Yair Elazar Glotman, contrebasse. 

MD : Jesse Osborne-Lanthier nous a joints, il a participé aux arrangements, au mixage, à la post-production.

PG : Quand tu as travaillé plusieurs mois sur un album, ça fait du bien d’avoir l’oreille de quelqu’un en qui tu as confiance. C’est une aide toujours précieuse et ce fut le rôle de Jesse.  Nous avons donc créé des hybrides, soit avec de vrais instruments et avec des instruments virtuels. Au bout du compte, on aime vraiment ce côté post-moderne.

PAN M 360 : On observe que les 10 musiques pop de Renegade Breakdown ne portent pas des textes à l’eau de rose, n’est-ce pas?

MD : J’avais beaucoup de choses à raconter sur ma vie des dernières années. Ces chansons parlent de mon parcours artistique, de mon travail, de mes relations dont celle avec Pierre, aussi de ma relation avec moi-même. J’y évoque entre autres mon sentiment d’isolement; très souvent, je fus seule en tournée, seule dans ma chambre d’hôtel, seule à l’aéroport, seule dans le club, seule avec des gens saouls ou high, seule dans la file des toilettes, seule à la douane avec mon équipement, seule avec moi-même. C’est aussi une intention  d’aller à l’essentiel, d’être plus intelligible et plus vulnérable. Par exemple, la pièce Lead Sister rend hommage à Karen Carpenter (The Carpenters), morte d’anorexie. Ça fait un lien avec mon background personnel; j’ai déjà été anorexique, je suis en rémission depuis plusieurs années, mais ça va toujours rester sensible. 

PG : Pour Lead sister, nous avons travaillé un peu à la manière de Gainsbourg , soit en repiquant une mélodie classique dans le domaine public. Nous avons repris l’Adagio du compositeur baroque italien Allessandro Marcello. Quand Marie est arrivée avec le texte, ça a donné le ton, on l’a traitée en s’en inspirant.

MD : C’est une chanson cauchemardesque. L’anorexie peut mener à la mort. C’est la descente aux enfers pour la quête de perfection et de performance, c’est tellement destructeur! En abordant cette obsession qui a tué Karen Carpenter, cette chanson se distingue de l’esprit de l’album Working Class Woman.

PG : C’est pourquoi on fait se succéder Lead Sister et My Love, qui passe du dénigrement de soi à l’amour de soi et la rémission. Ça m’émeut énormément.

AR : En fait, cet enchaînement se positionnait mieux en fin d’album, car il s’agit d’une mort suivie d’une résurrection. 

PAN M 360 : Cet album comporte trois chansons en français et une bilingue parmi les 10. Choix délibéré? 

MD : Le bilinguisme est très important pour moi. Le français est ma langue maternelle, celle que je maîtrise le mieux. L’anglais, c’est pour être compris par quiconque. Depuis nos débuts, nous visons une carrière internationale, nous n’avons jamais été intéressés à n’être des vedettes qu’au Québec. Nous aimons voyager, nous avons des amis partout dans le monde. Ce qui n’empêche en rien d’honorer nos racines culturelles.  

PAN M 360 : Comment tout ça se traduira-t-il sur scène ?

MD : Nous serons quatre pour le spectacle, évidemment lorsque les conditions sanitaires seront propices pour partir en tournée: Pierre et Asaël aux claviers, guitares, électronique,  moi au chant. Un batteur se joindra au groupe. Et lorsque notre budget nous le permettra, nous embaucherons un bassiste. 

AR : Je suis le seul à avoir joué plusieurs instruments en temps réel au cours des dernières années, Pierre n’avait pas joué de guitare pendant 5 ans avant de s’y remettre. Ce fut laborieux au départ, mais à chaque répétition, il retrouve ses ses repères et ses habiletés.  

PG : Ce sera donc une forme hybride. Des instruments et des ordinateurs. J’ai l’impression que de plus en plus de gens en ont marre de la musique présentée devant public sans instruments. 

AR : On veut faire le circuit des salles de concerts et pas vraiment celui des clubs. Car cela ne tomberait pas sous le sens avec l’instrumentation qu’on a maintenant. 

MD : Nous allons changer de contexte de présentation, nous avons déjà changé de tourneur pour ce faire. D’ici là? On se concentre sur la musique. Un tournant ? J’espère bien !

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