Marc-André Hamelin, Dukas et Beethoven : faire rimer complexité et limpidité

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Partout sur la planète classique, la réputation de Marc-André Hamelin est celle d’un géant de l’exécution virtuose. Son exil précoce aux États-Unis (Philadelphie, Boston) l’a peut-être privé un tantinet d’un glamour dont jouissent d’autres vedettes classiques locales, n’en reste pas moins que le Québécois se trouve parmi l’élite pianistique internationale. D’où ses passages fréquents au Québec, parfaitement justifiés.

Sa technique phénoménale ne fait pas de lui une bête de cirque, loin de nous cette idée, les mélomanes se réjouissent néanmoins de voir parfois cette technique se déployer devant nos yeux et nos oreilles.

Ce sera assurément le cas ce dimanche 12 mars, à la Salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau, car Marc-André Hamelin compte y interpréter une œuvre extrêmement exigeante, soit la Sonate pour piano en mi bémol mineur du compositeur français Paul Dukas ainsi que la beaucoup mieux connue Sonate pour piano no.29 en si bémol majeur de Ludwig van Beethoven, la fameuse Hammerklavier.

Joint à son domicile du Massachussett, le musicien cause de son récital au lectorat de PAN M 360.

PAN M 360 : L’œuvre de Dukas, c’est quand même costaud, 45 minutes! Quel est votre rapport à l’œuvre du compositeur français?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Pour moi, c’est splendide. Ça fait longtemps que je la connais, en fait. Quand je suis arrivé à Vincent d’Indy, j’avais 16 ans. J’ai commencé à explorer leur discothèque et leur bibliothèque, et j’ai trouvé la partition et l’enregistrement de cette sonate de Dukas et aussi un ou deux enregistrements. Alors j’ai mis ça sur le sur le tourne-disques et je n’en suis jamais revenu. Je trouvais ça extraordinaire! Évidemment, ça, ça, ça m’a pris un sacré bout de temps avant de même oser jouer ça!

PAN M 360 : On aime lorsque vous inerprétéez des œuvres complexes, possible un piège que vous savez éviter en variant vos propositions. Mais il est toujours fascinant d’écouter les exécutions d’œuvres comme celle-ci, qui allient complexité et inspiration.

MARC-ANDRÉ HAMELIN : C’est une œuvre qui est quand même assez franckiste (au sens de César Franck) , vu la période où ça a été écrit. Si on compare cette sonate de Dukas au Prélude, Choral et Fugue de Franck, pianistiquement c’est à peu près la même chose. C’est juste beaucoup plus long et ça demande plus d’attention. J’ose penser que ça reste une œuvre qui peut être très accessible, tout dépendant de la façon dont elle est présentée.

PAN M 360 : De toute façon, on a fait un bout de chemin dans l’accessibilité. C’est-à-dire qu’ il y a beaucoup de choses qui, pendant très longtemps, n’ont pas été admissibles pour un public relativement vaste de mélomanes. Maintenant, c’est intégré. Le temps a fait son œuvre, donc vous pouvez en profiter et nous de même!

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Exactement !

PAN M 360 : Comment votre interprétation de cette œuvre de Dukas a-t-elle évolué au fil du temps?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Oh mon Dieu, il faudrait demander ça à d’autres!

PAN M 360 : C’est compréhensible, mais vous devez tout de même avoir une perception, non?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Je peux quand même constater qu’il y a eu des changements simplement en écoutant mon enregistrement qui date d’une quinzaine d’années. Ça m’avait pris du temps en fait, avant d’avoir trouvé le couplage avec Clairs de lune d’Abel Decaux qui s’imposait, mais finalement, j’ai décidé que c’était. Ça serait quand même un contraste, mais il y avait quand même une relation entre les deux, un peu ténue mais tout de même.
J’ai constaté avoir fait beaucoup d’erreurs de lecture à l’origine, donc une lecture. Je n’avais pas lu la partition assez bien pour me rendre compte qu’il y avait certaines notes qui et que je que je lisais comme un bémol ou un dièse ou une bécar, je sais pas, mais dans une œuvre comme celle là qui est quand même assez foisonnante, c’est très facile de commettre des erreurs de la sorte.

PAN M 360 : Et c’est aussi très facile aussi de faire en sorte que personne ne s’en rende compte.

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Lorsque l’œuvre et pas connue… Si c’était une sonate de Mozart, ce serait une autre histoire (rires).

PAN M 360 : Comment fait-on pour maintenir l’attention à son maximum? C’est faisable pour une œuvre de 20 minutes, 30 minutes, 18 minutes. Mais 44 minutes, c’est une autre histoire!

MARC-ANDRÉ HAMELIN : D’abord, je dirais que les quatre mouvements sont d’une longueur assez normale, assez bien développés. C’est une œuvre longue, mais quand même, elle est divisée en quatre portions qui s’avalent assez bien. Comme dans à peu près tout ce que je fais, j’applique principe de base : que ce soit une œuvre très connue ou pas connue du tout, j’essaie de jouer, de m’imaginer que personne dans le public n’ait entendu cette pièce, que ce serait la première fois. Ça me force à être clair, ça m’aide à projeter mes émotions de la façon la plus claire possible. C’est comme ça que je m’en sors.

PAN M 360 : Évidemment, avec l’expérience, le temps, la maturité, le ressenti même de l’interprète diffèrent. À un moment donné, on découvre des recoins de l’œuvre qu’on ne connaissait pas auparavant. Au fur et à mesure qu’on la rejoue, n’est ce pas ?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Ah oui, et puis il y a. Il y a quelque chose de très intéressant qui semble qui se produit souvent, au moins dans mon cas, c’est que quand tu t’assoies au piano pour jouer une œuvre que tu n’as pas jouée depuis une dizaine d’années, ce n’est pas la même chose. Tu n’as pas travaillé sur cette œuvre entre-temps alors qu’est ce qui se passe ? Qu’est ce qui s’est passé ? L’évolution et la maturité ont fait que ta vision de l’œuvre, sans que tu n’y ais pensé, a été nourrie. Alors ça m’offre toujours des très très belles surprises.

PAN M 360 : Surprises de l’inconscient ! C’est ce qui transcende toutes les techniques apprises et maîtrisées.

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Oui et c’est toujours positif.


PAN M 360 : Penchons-nous sur le programme présenté à Montréal. Cette fois, le couplage n’est pas celui de l’enregistrement originel (Abel Decaux) mais bien avec Beethoven. Pourquoi?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Parce que d’abord ça, ça n’aurait pas fait un récital complet et …les Clairs de lune d’Abel Decaux, en fait, je ne les ai jamais joués en public. Alors j’ai couplé Dukas avec Beethoven pour une raison parfaitement terre à terre: la sonate de Dukas est la pièce maîtresse de mon programme de récital cette année et la Hammerklavier était celle de mon récital l’an passé. J’ai pensé que ce serait intéressant de les coupler et faire la transition. Mais il y aune autre raison moins évidente mais elle est là quand même : dans l’introduction du dernier mouvement de Dukas, il y a une petite citation de la Hammerklavier. Et puis il y a un passage de transition, quand même assez évident, dans le mouvement qui en rappelle un autre, soit dans le 2e mouvement de l’opus 111 – Sonate no 32 de Beethoven.

PAN M 360 : Ça justifie fort bien finalement le couplage, en somme.

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Oui. Et puis il a été dit assez souvent que Dukas voulait vraiment, vraiment rendre un hommage à Beethoven dans cette sonate. Et puis le sens du développement est très beethovenien en fait, mais le langage est davantage comme celui de César Franck. Mais peut être encore plus chromatique, encore plus développé.Ça reste très prenant et très écoutable, mais il y a beaucoup de raffinement au point de vue de l’harmonie.

PAN M 360 : Du milieu du 19e siècle au début du 20e, c’est l’âge d’or de la composition pour le piano. Pourquoi, selon vous, ça le serait moins par la suite?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Je dirais que des artistes comme Liszt et Wagner sont tellement ressortis du lot, ils ont été d’une telle exception dans le courant de la musique du 19e siècle que cela a créé une espèce d’engouement chez les autres compositeurs. Bon, il y avait un désir d’émulation pour développer ce qu’avaient commencé Liszt et Wagner. Liszt faisait parfois des pièces presque atonales et Wagner a inspiré moult compositeurs à tous les niveaux. Alors ces deux compositeurs ont ouvert la voie vers d’autres avancées et ont motivé leurs successeurs à ne pas avoir peur de développer leurs idées.

PAN M 360 : Ce nouveau récital est-il déjà en marche?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Parmi les quatre ou cinq concerts donnés en février, j’ai fait ce programme à trois reprises. Autrement, mon programme avec Dukas comme pièce principale peut être succédé de 4 pièces de Fauré et conclu par une suite que j’ai moi-même écrite.

PAN M 360 : D’autres projets sont-ils en cours de réalisation ?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Il y a quelque chose qui m’excite beaucoup : au mois de mai, je vais faire la Turangalîla-Symphonie d’Olivier Messiaen avec l’Orchestre symphonique de Toronto et leur chef attitré et directeur musical Gustavo Jimeno. Et ça sera enregistré début mai pour ensuite paraître sur disque. Également, je suis en train d’enregistrer des pièces de Fauré, dont la Suite Dolly (à quatre mains) avec ma femme Cathy Fuller. Il est possible que j’en enregistre d’autres aussi mais, pour le moment, ça se cantonne à ça. Enfin, je viens d’enregistrer un disque de mes propres œuvres pour piano.


PAN M 360 : Et comment situez-vous vos récentes œuvres ? Et en fait, comment pouvez-vous les situer par rapport à la progression de votre votre propre composition?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Mon premier disque mettait surtout en vedette un cycle de douze études dans tous les tons mineurs que j’avais écrites dans un espace de 25 ans, ça c’était des œuvres qui étaient quand même vraiment difficile pianistiquement. J’essaie d’être plus raisonnable maintenant. Je n’écris pas pour moi nécessairement, j’écris aussi pour être joué par d’autres. Je pense avoir acquis beaucoup plus d’expérience afin d’exprimer ma pensée dans que ce soit presque impossible à jouer (rires).

PAN M 360 : D’un point de vue référentiel, où est-ce que cela se situe?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : C’est généralement de la musique tonale, mais harmoniquement, c’est un peu plus recherché, plus chromatique en fait.

PAN M 360 : Et quelle est votre relation avec les musiques non tonales?

MARC-ANDRÉ HAMELIN : Tout compositeur digne du nom que je crois saura exprimer ses émotions, dans tout langage, quel qu’il soit. Le langage change, les émotions humaines restent les mêmes.

PRÉSENTÉ PAR LA SOCIÉTÉ PRO-MUSICA, LE PIANISTE MARC-ANDRÉ HAMELIN SE PRODUIT EN RÉCITAL LE DIMANCHE 12 MARS, 15H, À LA SALLE PIERRE-MERCURE DU CENTRE PIERRE-PÉLADEAU.

INFOS ET BILLETS, C’EST ICI

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