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Pour lancer un tel projet discographique avec le Quatuor Molinari, on ne peut venir de nulle part ! Soliste de l’album Lumières nordiques, pour hautbois et quatuor à cordes paru ce printemps sous étiquette Atma Classique, Vincent Boilard est effectivement un interprète de premier plan: hautbois solo associé à l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) et chargé de cours à l’Université de Montréal depuis 2015, pour ne nommer que ses principales occupations !
Ces compétences de haut niveau lui ont ainsi valu une collaboration des plus concluantes auprès du Molinari. Le concert-lancement eut lieu en avril dernier, PAN M 360 tenait aussi à marquer le coup à l’orée de l’été, car il n’est pas si courant qu’un hautboïste de cette trempe enregitre des œuvres contemporaines avec un quatuor à cordes d’une telle qualité.
PAN M 360 : Cet album là, avec le Molinari, vous l’avez mijoté pendant la pandémie. Lors du concert-lancement en avril dernier, vous avez raconté que vous aviez effectué des recherches vous ayant mené à la confection de cet enregistrement. Pourriez-vous revenir là-dessus en guise d’introduction?
VINCENT BOILARD : Oui, absolument. Je ne sais pas si vous saviez, mais j’avais déjà fait un disque en 2014 avec mon collègue pianiste Olivier Hébert-Bouchard avant de gagner mon poste à l’OSM. Et ma vie a déboulé à partir de 2015 : j’ai obtenu mon poste permanent à l’OSM, j’ai eu trois enfants. Évidemment, je n’avais pas beaucoup de temps! Pendant la pandémie, mes enfants étaient un peu plus grands, j’ai eu du temps pour réfléchir à mon identité artistique.
PAN M 360 : Et de quelles façon cette identité s’est-elle précisée?
VINCENT BOILARD : Quand j’ai étudié en Suisse (maîtrise en interprétation à la Haute École de musique de Genève ), mon mémoire portait sur le travail d’Heinz Holliger, un grand hautboïste suisse qui a fait beaucoup de travail pour le répertoire de la musique moderne. Après l’avoir rencontré en Suisse pour mes études, cet engagement pour la musique moderne et/ou contemporaine m’est toujours resté en tête. Avec la pandémie, j’ai eu plus de temps pour y réfléchir. J’ai pu faire des recherches sur le répertoire contemporain du hautbois, j’ai alors déniché des pièces pour hautbois et quatuor à cordes qui n’avaient jamais été enregistrées. Je trouvais qu’en tant que hautboïste canadien, c’était important pour moi de faire ma part, en faisant découvrir des œuvres de compositeurs d’ici. Sinon, qui les jouerait ? Qui les ferait découvrir ?
Pendant la pandémie, c’était donc un bon moment pour mener ces recherches. J’ai fait les demandes de subventions, j’ai obtenu le financement. Je suis parti avec le Quatuor Molinari, puis j’ai rencontré les compositeurs. Ça a été un projet qui m’a fait du bien aussi parce que j’ai trouvé ça dur, la pandémie, étant un gars qui a toujours des projets, toujours en mouvement. Arrêté, je trouvais ça difficile et j’avais finalement un projet à mener. J’ai cherché le répertoire, et pas juste des pièces pour hautbois et quatuor à cordes. Je me suis arrêté lorsque j’ai estimé qu’il y avait la substance nécessaire pour un album complet. Le matériel musical était assez intéressant selon moi, parce que ce sont quatre univers riches et contrastés.
PAN M 360 : Ce projet dépasse donc la stricte interprétation des œuvres!
VINCENT BOILARD : Ça fait connaître différents aspects de la musique contemporaine, ça peut inspirer d’autres compositeurs. Ça me permet de dire aussi aux gens que les œuvres de la musique contemporaine, ce n’est pas juste des œuvres extrêmement atonales, pas écoutables! Au contraire, ces œuvres ont leur cachet propre. Une œuvre plutôt jazz, une autre plus moderne, une autre romantique, etc. Et quand on les explique bien au public, on apprécie davantage car une histoire accompagne l’écoute d’une œuvre.
PAN M 360 : Alors pourriez-vous nous faire une courte histoire des 4 œuvres au programme?
VINCENT BOILARD : Allons-y:
Serenata de Camera op.19, la première de l’album, est de Stewart Grant. Il est un compositeur québécois, aussi hautboïste et chef d’orchestre, il vit à Montréal. Il a également étudié la composition jazz et il y a beaucoup d’harmonie jazz dans sa musique. Ce qu’il souhaite justement, c’est une musique vivante, accessible, avec des mélodies accrocheuses. Serenata de Camera, en fait, est un thème et variations. Ça commence avec une introduction de hautbois seul. Puis après, sont mis en lumière chacun des instruments du quatuor à cordes à travers les variations du thème principal.
La deuxième pièce, Searching for Sophia, a été composée par Elisabeth Raum, une artiste d’Alberta (maintenant à Toronto) qui a aussi un background de hautboïste. Elle est une de nos compositrices contemporaines considérées parmi les plus accessibles, c’est vraiment un langage complètement assumé, tonal, romantique. Cette œuvre a des accents du Moyen Orient, des souvenirs musicaux de son enfance – car sa grand-mère était originaire de Syrie. Plus précisément, cette œuvre est inspirée de la légende de Sophia, qui serait le pendant féminin de Dieu dans certaines religions antiques. La légende raconte que Sophia était une femme désireuse de se libérer du poids des traditions. Pour montrer à quel point elle s’inspire de cette légende, Elizabeth Raum a même écrit un poème sur le deuxième mouvement, Prayer, une espèce de lamentation. Dans le dernier mouvement, Sophia essaie de se libérer de ce poids, et finalement y parvient. Cette œuvre féministe est exprimée dans un langage vraiment accessible, facile d’écoute.
Requiem Parentibus op. 34, la troisième œuvre, est de Michael Parker, un compositeur autodidacte un peu moins connu, qui vit dans les Maritimes. Cette pièce est inspirée du décès subit de son père. Il faut dire que les deux dernières œuvres au programme ont été commandées par Lawrence Cherney, le frère de Brian qui est hautboïste. Il les avait commandées pour une tournée de concerts au tournant des années 90. Le premier mouvement, c’est le choc produit par l’annonce du décès, c’est vraiment ancré dans les émotions, assez atonal mais très touchant. Le deuxième mouvement est aussi un thème à variations comportant une citation de The Skye Boat Song, une chanson traditionnelle écossaise utilisée d’ailleurs dans le générique d’ouverture du film Outlander. Ce mouvement évoque la nostalgie de son enfance, la mélancolie et la tristesse. Tranquillement au 3e mouvement, le compositeur chemine vers l’acceptation de la perte, après toutefois quelques frictions harmoniques.
Pour In The Stillness of the Summer Wind, Brian Cherney voulait une œuvre assez accessible vu qu’elle serait jouée à plusieurs reprises pour la tournée de son frère Lawrence. Je l’ai repérée dans un enregistrement d’archives au Centre de musique canadienne, j’ai alors trouvé qu’elle avait un beau potentiel. J’aime le mélange des textures, Cherney utilise beaucoup et très bien les harmoniques du hautbois avec les pizz(icati) des cordes. Le compositeur exploite toute l’étendue de la texture du hautbois, de l’extrême aigu à l’extrême grave. Ça commence avec une petite mélodie, comme si le vent se levait peu à peu. Puis il y a de plus en plus de mouvement, la tempête arrive. Il y a aussi une partie un peu folklorique, une espèce de chant. Le compositeur ne dit pas que c’est inspiré d’une chanson en particulier, mais on peut imaginer qu’il s’agirait d’un air de son enfance. Tranquillement, tout ça se déconstruit jusqu’à la fin avec notamment l’utilisation de carillons de verre. Ça amène vraiment une autre ambiance sonore.
PAN M 360 : On imagine que vous ne jouerez pas toujours ces œuvres avec le Molinari, mais aussi avec d’autres quatuors à cordes, n’est-ce pas?
VINCENT BOILARD : Oui absolument. Avec le Molinari, je devrais toutefois refaire ce programme l’an prochain .
PAN M 360 : Quelle est votre relation avec le Quatuor Molinari?
VINCENT BOILARD : Quand j’ai pensé à mon projet, j’ai fait part de mon intention d’approcher le ces musiciens, mes collègues me disaient « Oui, ils sont super bons ». Le clarinettiste André Moisan, un collègue de l’OSM, avait aussi fait un album avec eux précédemment. Je connaissais un peu déjà le Molinari, j’avais entendu certains de leurs enregistrements. Et il y a l’altiste Frédéric Lambert qui joue parfois à l’OSM; lorsque je lui ai parlé de mon projet, il m’a dit « Oui, ça serait très intéressant ». Je connaissais également le violoniste Antoine Bareil avec qui j’avais joué à l’Orchestre symphonique de Laval. Après quoi j’ai contacté la violoniste (et directrice artistique) Olga Ranzenhofer, que je ne connaissais pas vraiment.
PAN M 360 : Comment s’est déroulée la production de l’album ?
VINCENT BOILARD : Quand j’ai obtenu le financement et accompli le travail administratif nécessaire, Olga a coordonné les séances, elle a été super efficace. On a répété avant d’entrer en studio, ça a super bien fonctionné, j’ai pu constater la grande qualité des musiciens. Ce quatuor est spécialisé dans la musique moderne ou contemporaine et connaît bien les enjeux de l’interprétation de ces œuvres, comme celle de Brian Cherney par exemple. Et ces artistes ont une grande expérience de l’enregistrement.En répétition, tout a fonctionné rapidement et très bien. On a trouvé notre… On a jamais eu de problème d’intonation, on a trouvé notre espace et surtout, le bon équilibre. Je ne suis pas très habitué à jouer avec un quatuor à cordes, mais ça s’est fait assez naturellement au fil des répétitions.
PAN M 360 : Les séances d’enregistrement ont suivi :
VINCENT BOILARD : Nous nous sommes ensuite présentés à l’église Saint-Augustin-de-Mirabel pour l’enregistrement, la réalisatrice et ingénieure du son Anne-Marie Sylvestre nous y a tout bien installés, elle connaissait super bien cette église. C’est un enregistrement, je dirais « naturel ». On a pas fait beaucoup de retouches et on a un beau disque de musique de chambre. Selon moi, ce n’est pas juste du hautbois accompagné, c’est un beau mélange entre le hautbois et les cordes. Chacun y exprime sa personnalité, on entend bien chacune des voix. Un plaisir!
Crédit photo: Gaëlle Vuilaume