Luke Stewart : activisme, impro, jazz nouveau

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Depuis l’émergence du jazz d’avant-garde à la fin des années 50, chaque génération de praticiens comporte son lot de leaders afro-américains engagés, à la fois créateurs, intellectuels et activistes.. En voici un bel exemple, invité à se produire aux Suoni Per Il Popolo: à la fois créateur et intellectuel, Luke Stewart peut d’ores et déjà être considéré parmi les artistes de cette trempe.

Compositeur, improvisateur, contrebassiste, bassiste électrique, multi-instrumentiste, organisateur et activiste,  le résidant de Washington DC et natif du Mississippi est connu pour son travail en tant que soliste, leader de l’Exposure Quintet (avec Edward Wilkerson, Jr, Ken Vandermark, Jim Baker et Avreeayl Ra), membre de plusieurs petis ensembles et aussi de l’ensemble Heroes Are Gang Leaders. Il a joué auprès de plusieurs pointures, on pense à Camae Ayewal (Moor Mother), Archie Shepp, Hamiet Bluiett, Wadada Leo Smith, Jaimie Branch, pour ne nommer que celles-ci.

Depuis 2010, il est l’un des dirigeants de  CapitalBop, une organisation à but non lucratif de défense du jazz à Washington, où il organise la série de concerts Loft Jazz. De plus, il rédige des interviews et recensions, ce qui lui confère un statut d’intellectuel et d’activiste  du jazz.  En 2020, Luke Stewart  a été  sélectionné par le magazine DownBeat parmi 25 musiciens d’avenir qui « façonnent le paysage artistique ». 

Et quel sera le paysage aux Suoni ?

Le 9 juin, 20h30, Luke Stewart présente aux Suoni l’enregistrement d’un duo électrique et électro qu’il forme avec le percussionniste Warren G. « Trae » Crudup III. 

Le 18 juin, 20h30, le contrebassiste rejoint des collègues de Philadelphie dans le cadre d’un groupe fondé en 2015 pour concert organisé contre la brutalité policière.  Désormais prisé par le réseau international enclin au jazz nouveau, cet ensemble nommé Irreversible Entanglements offre un amalgame vivifiant de poésie engagée et de free-jazz, de nouveau liés comme ils le sont depuis les années 60, lorsque l’improvisation libre était nommée la New Thing par ses praticiens Keir Neuringer, saxophone alto, Aquiles Navarro, trompette, Tcheser Holmes, batterie, Camae Ayewa (alias Moor Mother), poésie et autres formes littéraires dites devant public, sans compter Luke Stewart, contrebasse, avec qui PAN M 360 s’est entretenu.

PAN M 360 : Vous sentez-vous partie prenante d’une tradition en musique improvisée?

Luke Stewart : Nous jouons et improvisons dans l’esthétique « black radical ». Cette esthétique va au-delà de la musique, impliquant d’autres formes d’art dont la littérature et les arts visuels. Depuis l’époque de Cecil Taylor et autres Albert Ayler, il y a toujours eu cette vibration de la communauté noire américaine dans la créativité artistique. Aujourd’hui, le jazz est devenu une matière académique, le corpus fait désormais partie du corpus scolaire en musique… Cela n’est pas une mauvaise chose en soi mais cela change la dynamique du jeu et de la composition. Même si cette musique a pénétré dans les institutions, la manière afro-américaine de jouer cette musique n’y est pas toujours convenablement intégrée de nos jours.

PAN M 360 : Vous vous produisez dans différents contextes, quel est celui d’Irreversible Entanglements?

Luke Stewart :  Il s’agit d’un groupe sans leader. Chaque individu a une voix égale, nous sommes aussi  des amis proches s’appliquant à rompre avec les formes redondantes du jazz standard. Nous souhaitons repousser les limites de la tradition et ouvrir de nouvelles pistes dans le travail d’ensemble, ceci incluant une voix poétique – Camae Ayewa.  Le concert auquel vous aurez droit a été enregistré à Chicago.

PAN M 360 : Quant à Blacks’ Myths, il s’agit d’un projet totalement différent, tant pour son instrumentation que de son personnel. 

Luke Stewart : Dans ce duo et nous nous penchons davantage sur un certain développement mélodique et les mots qui les accompagnent.  L’inspiration  hardcore ou punk de ce projet électrique provient de différentes vibrations ressenties au sein de la communauté afro-américaine. Nous en partageons les histoires, les pensées et les souvenirs, la mémoire des sons et des styles.

PAN M 360 : Comment , au fait, le punk peut-il se retrouver dans une telle démarche de musique improvisée et d’inspiration afro-américaine ?

Luke Stewart: L’attitude punk hardcore peut être liée à l’improvisation libre en jazz, elle est pour nous une manière d’élargir l’éventail de nos expressions sonores, une autre avenue nous permettant de  poursuivre cette recherche. Cela nous permet aussi d’accéder à une meilleure compréhension de la musique en général et, par voie de conséquence, du monde qui nous entoure. Ainsi, nous utilisons le son comme véhicule de transmission de cette information et de cette mémoire. Dans le même esprit, d’ailleurs, j’ai aussi produit de nombreuses interviews radiophoniques et j’ai écrit plusieurs articles.

PAN M 360 : Votre travail d’artiste et d’intellectuel se limite-t-il à l’exploration d’un couloir culturel essentiellement afro-américain?

Luke Stewart:  Non. Je joue dans plusieurs formations différentes, et ces formations ne sont pas exclusivement afro-américaines. Pour moi, l’expérience de la musique implique une interaction constante avec l’ensemble de la communauté mondiale, nous devons tous favoriser cette diversité pour une meilleure compréhension du grand tout musical. L’époque actuelle est beaucoup plus ouverte  culturellement, elle offre de nouvelles possibilités technologiques et de nouvelles formes musicales. Voilà qui me rend optimiste pour l’avenir du son et d’une plus grande conscience globale.  Contrairement à ce qui est suggéré par les empires médiatiques actuels, la quête de la différence existe toujours. Ce que je fais comporte toujours une dimension historique, encore là je ne m’intéresse pas exclusivement à l’apport afro-américain mais bien à l’histoire mondiale dans son ensemble.

PAN M 360 : En quoi les nouvelles technologies représentent-elles un facteur de mutation musicale?

Luke Stewart : Personnellement, je suis venu à la musique en bonne partie par la voie électronique, cela demeure une partie de mon expression dans différents contextes. La pandémie est d’ailleurs  une occasion pour moi et mes collègues d’explorer de nouvelles avenues technologiques, si ce n’est que dans la manière de diffuser notre travail. Ainsi, nous avons enregistré plusieurs concerts depuis les débuts de la pandémie et je dresse un bilan positif de ces initiatives.

PAN M 360 : L’improvisation est-elle socle de votre rapport à la musique?

Luke Stewart : De manière générale, l’improvisation est pour moi l’approche principale. Mais je joue également au sein d’ensembles où la musique écrite est importante. J’écris moi-même de la musique mais je ne crois pas pour autant que la musique écrite soit plus sophistiquée que la musique improvisée. Au contraire, l’improvisation permet une meilleure connexion au moment présent et offre plus de possibilités créatrices. L’improvisation comme point de départ mène à plus de résultats.  Il ne faut pas non plus oublier que l’acte de composition repose aussi sur l’improvisation. L’improvisation se trouve dans plusieurs expressions musicales, on le voit dans le hip hop , dans le punk rock et tant d’autres. Il n’y a plus de voix évidente pour accéder au maintstream, le jazz n’y fait pas exception.  Je crois que cette musique poursuit son évolution, ses praticiens sont plus ouverts que jamais, et des amateurs en sont de plus en plus attirés. Mais cette musique existera toujours, quelle que soit la taille du réseau de ses adhérents.

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