Louis-Philippe Marsolais : De cor et d’âme

Entrevue réalisée par Félix Desjardins

Louis-Philippe Marsolais « joue de la musique avant de jouer du cor », selon Yannick Nézet-Séguin. Son instrument est « un moyen de s’exprimer, un langage. »

Genres et styles : classique occidental

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Crédit photo : Martin Girard/Shoot Studio

Tous les projecteurs étaient braqués sur Louis-Philippe Marsolais alors qu’il assurait le rappel de cor français qui clôturait la première tournée européenne de l’histoire de l’Orchestre métropolitain, à la Philharmonie de Paris.

« C’était comme en apesanteur, décrit son maestro Yannick Nézet-Séguin. Tout d’un coup, il n’y avait plus de barrière entre l’émotion et le jeu. Ça nous a donné des ailes. »

Trois ans plus tard, presque jour pour jour, Louis-Philippe Marsolais, 43 ans, embrasse l’accalmie causée par la pandémie de COVID-19 qui a lui a permis de reprendre son souffle après un marathon de concerts, enregistrements et tournées. « Du jour au lendemain, on est passé de 110 kilomètres/heure à un mur, se remémore le corniste barbu. Ça a été super, ça m’a permis de prendre du recul. »

Premier cor de l’Orchestre métropolitain (OM), membre du quintette à vent Pentaèdre, professeur à l’Université de Montréal et père de Violette, Henri et Victor, Louis-Philippe Marsolais n’a pas chômé depuis le début du confinement en mi-mars. L’industrie de la musique classique a dû se conformer, comme tout le monde, à cette nouvelle normalité de distanciation physique et d’atomisation de la société.

Les orchestres, la matérialisation même de la force du nombre et de l’esprit de corps se sont vus morcelés par les mesures sanitaires. Il est difficile de s’habituer à la transformation de ce milieu dont la tradition est la colonne vertébrale. À l’étranger, par exemple, des panneaux d’acrylique séparent les musiciens de la section des instruments à vent de la Hong Kong Sinfonietta. Dans notre cour arrière, l’OM doit occuper une salle entière – parterre compris – pour pouvoir répéter avec une distanciation suffisante. Assez pour dénaturer l’essence de la musique classique ? Oui et non, répond Marsolais.

« [Avec une distanciation dans la salle], la vitesse du son entre en ligne de compte, explique-t-il. On se faisait toujours dire au début qu’on jouait en avance ou en retard. Il faut toujours réajuster les balances, ça devient mathématique. » Cela va à l’encontre de sa personnalité, raconte-t-il, alors qu’il privilégie les qualités communautaires de la musique, où l’écoute et la réaction au jeu des autres prévalent. « Pour moi, le grand plaisir de faire de la musique, c’est d’être avec les gens que j’aime et d’avoir du plaisir ensemble », confie le musicien, partiellement caché par son masque tacheté. Ce sentiment, il le ressent beaucoup plus souvent « avec sa gang en orchestre » qu’en tournée comme soliste.

Louis-Philippe Marsolais, au centre. Crédit photo : François Goupil

Rockstar en Autriche, nuisance sur la ligne orange

Marsolais chérit des moments inoubliables de ses expéditions en Europe, en Asie ou au Moyen-Orient. Comme cette fois où il s’était rendu en Autriche pour le plus important festival rendant hommage à la musique de Schubert, The Schubertiades. Son quintette Pentaèdre présentait un enregistrement nouvellement endisqué devant « 1000 vieux Autrichiens qui chantent du Schubert le soir avant de se coucher ». Marsolais avait vécu l’un des moments de sa carrière qui l’a fait se sentir comme un superhéros : « À la fin, le monde qui venait nous voir en pleurant… c’est vraiment tout un feeling, se remémore-t-il aujourd’hui vêtu d’un t-shirt de Capitaine America. Ça n’arrive pas souvent en musique classique. »

Il a goûté à cette appréciation collective pour la musique classique une première fois il y a une vingtaine d’années alors qu’il complétait une formation à la Hochschule für Musik Freiburg, en Allemagne. Après avoir obtenu un DEC à Joliette et un BAC à McGill, tous deux en musique, il avait décidé de s’expatrier dans le patelin de Bach et Beethoven. « Je me faisais arrêter dans la rue par des passants qui me disaient à quel point j’étais chanceux de jouer du cor et qu’ils avaient hâte de m’entendre jouer, se rappelle-t-il. Ici, on se fait plutôt crier après dans le métro parce qu’on prend trop de place ! »

Nul besoin d’avoir rédigé une thèse de doctorat pour comprendre pourquoi la musique classique est si marginale au Québec. Elle n’a tout simplement jamais fait partie de sa (jeune) culture populaire. Toutefois, peut-on encore la qualifier d’inaccessible, ou pire, d’élitiste ? 

« On a fait beaucoup d’efforts pour que ce ne soit pas ça, estime le musicien. Il y a tellement de diversité, de spectacles gratuits. Il est possible de suivre le milieu de très proche, même pour des étudiants ou pour des gens sans gros revenu. » Selon Marsolais, cela s’est traduit par un rajeunissement du fan base des orchestres montréalais, alors que les jeunes professionnels auraient gagné du terrain sur les têtes blanches depuis une décennie. L’OM a vu sa proportion de billets unitaires vendus aux moins de 34 ans bondir de 188 % entre 2015 et 2020. Idem du côté de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) où le nombre de forfaits d’abonnement pour les 34 ans et moins a aussi presque doublé entre 2015 et 2020. 

OSM et OM, des ambiances antipodiques

En plus d’être cor solo pour l’OM, Marsolais a aussi fait office de troisième cor à l’OSM entre 2013 et 2015. « Je trippais beaucoup moins sur ce job, qui était beaucoup moins exigeant, mais les gens trouvaient ça plus hot et je faisais cinq fois plus d’argent », ironise-t-il.

Peu après son arrivée dans la troupe de Nagano, des « joutes politiques » auraient eu raison de lui. Si on lui a assuré que la section des cuivres n’avait jamais aussi bien sonné qu’en sa présence, on ne lui a donné aucune explication claire sur les raisons de sa destitution. « Quand tout ça est arrivé, ça m’a vraiment jeté à terre, confie-t-il. Ça m’a fait perdre foi en l’importance de la musique dans un contexte comme celui-là. »

Les mois qui ont suivi ce point tournant dans sa carrière n’ont pas été de tout repos. Marsolais s’était alors plongé dans une quête sempiternelle pour prouver à tous qu’il était toujours premier de classe. Avec du recul, il comprend aujourd’hui le côté plus sombre de sa compétitivité, qui a parfois ombragé ses relations interpersonnelles. « Plus jeune, je n’étais pas conscient de ce que ça pouvait faire aux autres », souffle-t-il.

Ce départ de l’OSM fut peut-être salvateur pour la santé professionnelle de Marsolais. Il a pu se consacrer davantage à l’OM, qu’il place désormais sur un pied d’égalité avec son principal concurrent. « Sur papier, [l’OSM] a de meilleurs musiciens, estime le corniste. Après, tu te demandes comment ça se fait que l’OM arrive à parfois mieux sonner que l’OSM. C’est vraiment une affaire de cohésion. »

Cette cohésion, ils la doivent en grande partie à leur capitaine, le prodige québécois Yannick Nézet-Séguin. « C’est toute la différence du monde d’avoir un leader qui est fort, inspiré, respecté et compétent, louange-t-il. Il n’y a pas de confrontation, de « je vais jouer plus fort que toi pour montrer que je suis meilleur ». Pour moi, ça vient du leadership de la personne sur le podium. »

L’admiration de Marsolais pour Nézet-Séguin n’est pas unilatérale, loin de là. « Quand il est devenu cor solo de l’OM, c’était un ajout extraordinaire, considère le chef d’orchestre. Louis-Philippe a cette façon de tous nous inspirer. Il est tellement dévoué et fiable, ce qui est très important pour les cornistes. »

Nézet-Séguin décrit toutefois sa « fluidité dans les styles » comme « une des choses qui le distinguent par rapport au reste du monde et aux grands cornistes qu’il connaît ». C’est entre autres grâce à ses diverses expériences en orchestre et en musique de chambre avec Pentaèdre qu’il a pu bâtir son enviable polyvalence. À un point tel qu’il estime avoir interprété 90 % du répertoire de cor français couramment joué.

Faire de la musique pour les bonnes raisons

La prochaine étape pour Louis-Philippe Marsolais ? L’organisation d’un festival international de cor français qui avait été suspendue en raison de la pandémie. D’ici là, le plus accessible des virtuoses québécois conseille aux néophytes de ne pas se laisser impressionner par l’immensité et la complexité du répertoire classique. « Tu peux écouter de la musique classique et te dire : « Wow, c’est beau. » Tu n’es pas obligé de te dire : « Ah, ici, il y a une progression 1-4-5-7-1 !  » » Il assure du même coup que sa connaissance grandiose du solfège et de la théorie musicale n’a en aucun cas affecté son appréciation de ses artistes non classiques favoris, lui qui suit la carrière des Cowboys Fringants depuis leurs débuts et qui raffole des œuvres des grands chansonniers français et des crooners américains.

Louis-Philippe Marsolais connaît la carrière qu’il connaît parce qu’il « fait de la musique pour les bonnes raisons », selon le principal intéressé. « Je ne sais pas si c’est parce que je venais d’une autre planète, mais je ne me suis jamais demandé si j’allais être capable d’en vivre, affirme-t-il. Je pense que cette innocence-là, à ce moment dans ma vie, m’a permis d’aller partout où je voulais aller sans avoir besoin d’une sécurité ou de réponses sur ce qui m’attendait. »

« Même quand il était jeune, tout le monde admirait Louis-Philippe, se rappelle Nézet-Séguin. Il fait ça avec beaucoup d’humilité. C’est une belle histoire qui continue de s’écrire à travers des gens, comme Louis-Philippe, qui se sont joints à l’OM au cours des années. »

Dimanche 3 décembre 2017. Après avoir exécuté un émouvant solo de Ravel de six minutes devant son lutrin à la somptueuse Philharmonie de Paris, Louis-Philippe Marsolais fond en larmes. Au terme de ce « moment de grâce », comme le décrit son chef d’orchestre, cette sympathique rockstar de l’ombre pouvait une fois de plus dire mission accomplie.

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