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Nouveau venu sur la scène classique, l’Ensemble Obiora présente deux programmes à la Virée classique. La mission de cet ensemble à géométrie variable consiste essentiellement à promouvoir des interprètes issus de différents milieux culturels afin d’accroître leur représentation dans le monde classique. De surcroît, l’Ensemble Obiora s’applique à choisir des œuvres de compositeurs de la diversité dont l’œuvre est encore méconnue ou injustement considérée.
L’Ensemble Obiora s’efforce ainsi de créer un sentiment d’appartenance chez les artistes de la diversité et d’inspirer les prochains musiciens issus des communautés sous-représentées dans la sphère classique. La direction artistique de l’OSM a saisi le message et voilà que l’Ensemble Obiora offre deux programmes à la Virée classique!
Pour nous en parler à PAN M 360, Allison Migeon, coordonnatrice culturelle de profession,et Brandyn Lewis, contrebassiste à l’OSM (notamment), respectivement directrice générale et directeur artistique ayant tous deux fondé l’Ensemble Obiora.
PAN M 360 : Commençons d’abord par la genèse de votre ensemble.
ALLISON MIGEON : On a fait ce constat, lui en tant que musicien et moi en tant que travailleuse culturelle : un manque de diversité culturelle au sein de la musique classique. On a eu l’opportunité de le constater avec d’autres musiciens et travailleurs culturels, toujours ce même constat : trop peu de diversité. Il nous a alors semblé vraiment intéressant d’avoir un ensemble qui se concentre un peu sur ça et qui met en valeur tous ces musiciens qui existent , qui sont là et qu’on ne met pas forcément en avant. On s’est alors dit pourquoi on ne se lancerait pas dans ce projet? Et puis ça s’est fait très rapidement, nous avons contacté différents musiciens et nous avons ensuite reçu sans cesse des messages d’interprètes pour faire partie de l’ensemble. On ne pensait pas qu’il y en avait autant! On s’est aussi rendus compte que tout ce monde était dispersé mais que cette catégorie de musiciens existait réellement. Petit à petit, ça a pris de l’ampleur.
PAN M 360 : Vous avez senti le besoin de fonder un ensemble essentiellement constitué de membres de la diversité culturelle, dans un un contexte de musique classique occidentale, européenne blanche. Alors?
ALLISON MIGEON : Oui, musique classique occidentale, mais notre volonté aussi est de mettre en valeur les compositeurs issus de la diversité culturelle, qui ont été complètement oubliés dans l’histoire de la musique. Comme Joseph Bologne, qui fut un très grand compositeur et violoniste à l’époque de Mozart, et qui a aussi influencé le travail de Mozart. Aujourd’hui on en parle très peu ou on parle du Mozart noir qui est pour nous une hérésie. Alors on essaie de mettre de l’avant et faire respecter cette histoire de la diversité, ce patrimoine, et remettre au goût du jour ces compositeurs oubliés.
Bien sûr, on joue les compositeurs « traditionnels », on ne peut pas passer à côté de ces grands noms, nos musiciens adorent les jouer. Mais nous essayons toujours de mélanger dans les programmes les compositeurs que tout le monde connaît à ceux que nous désirons faire connaître parce qu’ils ont été mis sur le côté.
PAN M 360 : On sait aussi que la grande composition afro-descendante est plus proche du jazz et autres formes musicales impliquant l’improvisation.
ALLISON MIGEON : C’est vrai, mais c’est aussi notre plaisir de faire valoir les compositeurs de tradition classique qui ont été peu mis en avant. Différents musiciens sont venus à nos concerts et nous ont dit ne jamais avoir entendu parler de compositeurs joués dans nos programmes. Ça fait partie de notre mission.
PAN M 360 : De quelle diversité s’agit-il chez Obiora?
ALLISON MIGEON : Nous avons une majorité majorité de musiciens afro-descendants , mais nous ne nous étions pas concentrés sur cela au départ. On a aussi des musiciens d’origines latino-américaine, asiatique (chinois, japonaise, coréenne), moyen-orientale ou autochtone. Et aussi des musiciens d’origine européenne touchés par notre projet et qui voulaient en faire partie. Nous acceptons toutes les compétences humaines et professionnelles. Mais les gens sont étonnés de la quantité de musiciens classiques issus de la diversité.
PAN M 360 : Créer une organisation essentiellement consacrée à la diversité, est-ce aussi une arme à double tranchant? On imagine que c’est une nécessité, à ce stade de l’histoire.
ALLISON MIGEON : Oui, absolument. On sait que des directeurs artistiques voulaient s’ouvrir sur la diversité, notamment feu le chef Boris Brott, et on sait que des gens souhaitaient des initiatives en ce sens. Parfois des gens ne comprennent pas le bien fondé d’un tel regroupement, nécessaire à ce stade de notre histoire. Nous leur répondons en faisant le parallèle avec la sous-représentation des femmes dans le monde de la musique, ou encore la communauté LGBT. Il faut que ce soit fait, il faut que les gens de la diversité se sentent inclus dans le monde classique. Ce qui n’est pas exactement le cas. Bien souvent, lorsqu’on choisit un artiste pour annoncer un programme, on choisit une personne blanche ou asiatique pour les raisons que l’on sait. C’est inconscient, mais c’est la réalité, on le voit dans la gouvernance des organisations dédiées à la musique classique.
BRANDYN LEWIS : Il y a un biais inconscient chez les organismes de la musique classique, fondé sur ce qu’ils connaissent. Ils n’ont pas de liens avec la diversité. On a déjà vu le travail de certains organismes aux États-Unis ou au Royaume-Uni, et on s’est dit pendant la pandémie qu’il fallait rejoindre tout le monde. Moi-même, je me suis trouvé souvent le seul musicien noir dans les ensembles de musique classique. Alors, nous sommes plusieurs dans l’Ensemble Obiora à avoir la même expérience. Notre force est de travailler pour la même mission.
ALLISON MIGEON : Dans cette optique également, on fait des ateliers dans des écoles de musique pour aborder le sujet. C’est ce qui permet d’ouvrir un autre regard. On le voit chez les jeunes, ils sont vraiment à l’écoute.
PAN M 360 : Parlons des programmes présentés samedi à la Virée classique: un programme pour quatuor à cordes et un programme de musique de chambre avec le saxophoniste afro-américain Steven Banks, le tout sous la direction de Rafael Payare lui-même!
BRANDYN LEWIS : Comme Antonin Dvorak (que nous allons jouer dans l’autre programme, soit le quatuor à cordes no 12), Gershwin avait compris ce que représentait la musique afro-américaine aux États-Unis. Nous sommes vraiment ravis de jouer un quatuor de Florence Price, une compositrice exceptionnelle et peu jouée. Pour l’autre programme avec orchestre de chambre, on commence avec Lyrics for Strings de George Walker (1922-2018) un des plus grands compositeurs afro-américains, il était pianiste, organiste et récipiendaire d’un Prix Pulitzer en musique. En deuxième on a Fantasia de Heitor Villa Lobos, qui intègre la musique brésilienne à la musique classique moderne. On est vraiment chanceux d’avoir pour soliste Steven Banks, très bon saxophoniste afro-américain et qui donne beaucoup de conférences sur la diversité. Il aide beaucoup à enrichir le répertoire du saxophone classique. Et il faut souligner que les œuvres seront dirigées par Rafael Payare, directeur musical et chef principal de l’OSM. C’est d’ailleurs lui qui, en décembre dernier, nous a proposé de diriger ce programme!
PAN M 360 : C’est super de pouvoir compter sur Rafael Payare!
ALLISON MIGEON : Oui! Il connaît la mission d’Obiora, il la trouve exceptionnelle. il nous soutient énormément. Nous sommes vraiment chanceux de pouvoir compter sur un tel soutien.