Ilam : Lorsque Sénégal rime avec Montréal

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Chanteur typique d’Afrique de l’Ouest, le Sénégalais Ilam a choisi Montréal comme camp de base.

Genres et styles : Afrique / afropop

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Montréal peut désormais compter sur de très belles voix d’Afrique de l’Ouest. Celle d’Ilam est parmi celles qui génèrent le plus d’impact auprès de l’auditoire enclin à l’afropop. Dans le contexte des Nuits d’Afrique obligatoirement virtuelles, le spectacle du chanteur est donné jeudi sur la scène du National, tel que programmé avant les mesures de restriction excluant le public des salles de concert. Une webdiffusion est évidemment prévue à ce titre… sans compter cette conversation avec PAN M 360.

PAN M 360 :  Quel a été votre parcours ? Où avez-vous grandi exactement ? Qui vous a formé en tant que chanteur et musicien ? Comment êtes-vous débarqué à Montréal ?

Ilam : J’ai grandi à Dakar, au Sénégal. Je suis peuhl d’origine, mes parents viennent du nord du pays. Le peuhl est ma langue maternelle, c’est très important pour moi. J’ai bien sûr appris le wolof, la langue la plus parlée à Dakar. Je mélange donc le peuhl et le wolof dans mes chansons, tout comme le français. J’ai amorcé ma carrière musicale avec un groupe de hip-hop. En parallèle, j’étudiais au Conservatoire de Musique de l’École Nationale des Beaux-Arts de Dakar, où je perfectionnais ma technique vocale avec le professeur Adolphe Coly, qui n’est pas un chanteur traditionnel mais plutôt de formation classique occidentale. À Dakar, on trouve d’ailleurs de très bons professeurs de musique, mais ce n’est pas comme à Montréal. Les enseignements institutionnels ne sont pas autant développés, les musiciens doivent être débrouillards s’ils veulent parfaire leur éducation musicale. Ainsi, la plupart des professeurs compétents donnent des cours privés. Personnellement, j’ai surtout poursuivi en autodidacte pour arriver à la musique que je fais aujourd’hui. C’est une histoire d’amour qui m’a amené à Montréal en 2014, après un court passage à Thetford Mines. Je suis venu pour vivre au Québec car j’ai de la famille ici, mon fils y vit. J’étais parti directement du Sénégal; auparavant je n’avais jamais voyagé en Occident. 

PAN M 360 :  Parlons pop ouest-africaine, qui a connu des heures de gloire dans les années 80 et 90. Trois décennies plus tard, où en est-on ?

Ilam : C’est une continuité. À l’époque on parlait beaucoup de Mory Kanté, Ismaël Lô ou Angélique Kidjo, qui m’ont beaucoup accompagné dans ma musique. Je peux souligner d’autres influences : Fara Freddy, Baaba Maal (qui est peuhl comme moi), Ali Farka Touré, Oumou Sangaré. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes, et je m’y inclus, s’inspirent de cet héritage musical africain et connaissent un certain succès. Par ailleurs, j’écoute beaucoup la néo soul d’Anderson.Paak et de Melanie Faye ou le blues de Gary Clark, Jr., ou encore le reggae ou même le flamenco de Concha Buika. Ma musique est donc une fusion de mes influences traditionnelles, afropop et autres sources extérieures de l’Afrique, mais la partie africaine de ma musique est à la base de mon travail. Ainsi, je chante en peuhl, en wolof, mais aussi en français ou en anglais. Au-delà des langues, la musique est d’abord une question d’émotion.

PAN M 360 : De quelle manière l’afropop sénégalaise peut-elle se régénérer sans avoir l’air passéiste ou datée, c’est-à-dire trop collée au son des Youssou N’Dour, Baaba Maal et autres Touré Kunda ?

Ilam : La musique, c’est avant tout l’originalité, mais c’est aussi l’émotion. C’est une identité qui doit appartenir à chaque artiste. Certes, des artistes ont marqué l’afropop sénégalaise, mais beaucoup de nouvelles sonorités émergent actuellement. On parle ici d’une Afrique contemporaine, moderne, urbaine. Ça se traduit à plusieurs niveaux, dont celui de la musique. C’est cette Afrique en pleine évolution que je veux aussi montrer dans ma musique. Ces mêmes artistes d’expérience font aussi confiance à la nouvelle génération pour amener de nouvelles choses. Par exemple, j’ai eu l’occasion de faire un duo avec Baaba Maal sur mon dernier album, Néné, et c’est cette confiance-là que j’ai sentie, cette volonté de laisser la parole à la nouvelle génération. Le plus important reste de montrer la culture musicale africaine partout dans le monde. L’afropop se régénère, il faut aussi qu’on puisse le montrer.

PAN M 360 : De quelle manière vous y prenez-vous afin de proposer quelque chose de différent des clichés sénégalais en matière d’afropop ?

Ilam : Ma démarche artistique est justement de faire tomber les clichés que la plupart des publics occidentaux peuvent avoir intégrés. Ma musique est un mélange d’afropop, avec du blues, un peu de flamenco et parfois du reggae… mais le mbalax sénégalais ne fait pas partie des styles que j’explore, même s’il m’arrive de le danser, comme tout Sénégalais. Je n’essaie donc pas de faire ce qui existe déjà, j’essaie de créer et proposer mon propre univers musical. J’aime mélanger traditions et modernité dans ma musique. Par exemple, il y a dans mon son un peu de kora, de djembé, des sonorités « tribales » ou autres. Aussi, mes influences musicales modernes sont très variées, plein de styles musicaux différents m’ont marqué. En gardant mon identité, je veux faire une musique qui touche tout le monde et qui représente la scène musicale sénégalaise actuelle. En réalité, pour moi, il n’y a pas vraiment de clichés dans la musique sénégalaise, et c’est justement ce que je veux démontrer. 

PAN M 360 : Votre musique se distancie-t-elle progressivement de vos origines culturelles depuis que vous vivez en Amérique du Nord ?

Ilam : Oui, un peu, parce que l’inspiration se trouve aussi à travers l’environnement dans lequel on évolue. J’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup d’artistes, d’assister à beaucoup de concerts différents ici, allant du traditionnel québécois à d’autres styles musicaux comme le flamenco. Ce brassage culturel rend la scène musicale montréalaise très riche. Cela influe assurément sur ma musique. Je suis peiné de voir que certains lieux de rencontre où j’avais l’habitude d’aller ferment en ce moment. Mais les artistes sont toujours présents. C’est une bonne expérience que je vis ici.

PAN M 360 : Comment trouvez-vous votre inspiration à Montréal ?

Ilam : Musicalement, Montréal est pour moi une véritable inspiration. Cela me semble parfois le monde entier en modèle réduit. Il y a une grande diversité culturelle, et c’est différent de là d’où je viens. L’inspiration peut me venir d’un peu partout : pendant un jam avec d’autres musiciens, quand je suis nostalgique de mon pays natal, quand je rencontre de nouvelles personnes… Mais vivre à Montréal a beaucoup changé mon optique. J’ai vu beaucoup de personnes qui jouaient des instruments, ça a été pour moi très inspirant. J’y vois plus d’occasions professionnelles. Et mes goûts ont aussi changé. Cette nouvelle vie m’a rendu plus ouvert à divers styles musicaux. Je me compte chanceux d’avoir assez de fans qui veulent assister à mes shows, c’est pourquoi j’étais prévu au National. Je suis vraiment heureux de pouvoir compter sur un public mixte à Montréal, issu de différentes générations et cultures.

PAN M 360 : Comment avez-vous monté votre équipe à Montréal ? Pouvez-vous nous présenter vos musiciens et le type d’instrumentation proposé ?

Ilam : La plupart des musiciens avec qui je travaille aujourd’hui, je les ai rencontrés dans des jams à mon arrivée en 2014. Je peux citer Assane Seck à la guitare, Donald Dogbo à la batterie, Mathieu Gaultier à la basse. Nous jouons généralement à quatre, mais il m’arrive aussi de jouer avec d’autres. Ce qui est important pour moi, c’est surtout de jouer avec de bons musiciens qui comprennent ma musique tout en ayant leur univers, et surtout avec qui je partage un même feeling. Et, non, il n’y a pas beaucoup d’électronique dans ma musique, parce que j’aime voir les instrumentistes à l’œuvre. J’y ressens plus de connexion, une plus grande symbiose. Néanmoins, j’écoute beaucoup de musique électro, mais je préfère les instruments à la programmation pour mon propre projet artistique.

PAN M 360 : Quelles sont les différences de composition et de production entre l’album Néné, sorti ce printemps chez GSI Musique, et votre album Hope qui a été lancé en 2016 ?

Ilam : L’album Néné est une grande production pour moi, plus grande que Hope. Néné est aussi un album travaillé entre Montréal et la Côte d’Ivoire (avec Sony Music Africa). Il a impliqué plus de recherches musicales ainsi que la participation de grands artistes comme Baaba Maal, monument africain venu à Montréal pour enregistrer un titre, Meta Jah, avec Yann Perreau. C’est un album d’échange, de communion, de partage, et d’une certaine maturité musicale.

PAN M 360 : Comment votre musique est-elle accueillie en Afrique de l’Ouest ?

Ilam : Ma musique est bien accueillie en Afrique de l’Ouest. Le grand public commence à me découvrir là-bas, ça fait toujours plaisir ! Chaque année, je pars au Sénégal faire des concerts avec l’Ambassade du Canada ou le Bureau du Québec. C’est toujours un bonheur de pouvoir faire découvrir ma musique là-bas. Le public y est toujours très réceptif. J’aimerais bien enregistrer mon prochain album à Dakar. J’aimerais y faire une résidence d’artiste et y inviter des musiciens sénégalais à participer à mon voyage musical.

PAN M 360 : Quels sont les projets à venir pour votre carrière, au-delà de la pandémie ?

Ilam : Je travaille sur mon prochain album, c’est mon prochain gros projet. Et j ’espère pouvoir reprendre la route dans les prochains mois et faire découvrir l’album Néné sur scène, sur plusieurs continents comme c’était prévu. Nous devons faire des spectacles sous d’autres formes, mais j’ai hâte de jouer, avec mon band, devant un vrai public !

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