Chopin et Mozart : parallélismes relevés par Serhiy Salov, assisté du Quatuor à cordes Pro-Musica

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Entre Frédéric Chopin et Wolfgang Amadeus Mozart mis en lumière dans son prochain programme, le pianiste montréalais Serhiy Salov identifie des points communs qu’il s’appliquera à nous faire entendre avec l’éloquence et l’expressivité qu’on lui connaît. 

Cette Carte blanche a ainsi été donnée au virtuose d’origine ukrainienne afin qu’il se produise de concert avec le Quatuor à cordes Pro Musica, constitué des violonistes Marie Bégin et Abby Walsh, de l’altiste Cynthia Blanchon et de la violoncelliste Noémie Raymond-Friset.

PAN M 360 : Cette carte blanche de Pro Musica, vous faites du Mozart et du Chopin dans un contexte de musique avec le Quatuor à cordes Pro-Musica. 

SERHIY SALOV :  J’ai un répertoire assez garni pour la musique de chambre, j’ai toujours adoré faire ça. C’est la première fois que je me produis pour jouer des concertos pour piano adaptés au quatuor à cordes, sorte d’hybride entre la musique de chambre et le concerto pour piano et orchestre. C’est une version plus restreinte mais ça donne plus de dynamique et de souplesse que l’on ne peut se permettre avec un orchestre symphonique. Donc il y a des atouts mais aussi des limites, la masse sonore n’étant pas la même.

PAN M 360 : Il fallait donc mettre au point l’exécution d’adaptation pour quatuor à cordes  de concertos de Chopin (le 1)  et Mozart (le 13) normalement joués avec orchestre. 

SERHIY SALOV : On a bien travaillé, c’était du nouveau répertoire pour les musiciennes. Ça ne l’était pas pour moi. On a échangé des idées, ça s’est bien passé en répétition avec cet ensemble monté récemment.

PAN M 360 : Un quatuor à cordes aussi récemment constitué peut-il mettre du temps avant d’acquérir un son digne de mention?

SERHIY SALOV : Oui et même pour les ensembles qui ont un certain âge, chaque nouvelle œuvre est un défi en soi. Un nouvel univers et un défi de symbiose avec le soliste. On a passé une douzaine d’heure à aborder les concertos de Chopin et Mozart, j’ose croire que nous avons préparé de belles versions.

PAN M 360 : Et que justifient les choix de Mozart et Chopin?

SERHIY SALOV : Ce sont mes choix! Chopin était un grand pianiste, un grand improvisateur et un compositeur déjà jugé grand de son vivant. Et pourtant il avait une certaine amertume, il voulait plus de reconnaissance. Il ne se prononçait pas très favorablement sur ses collègues et il n’avait presque pas de compositeurs préférés. Or, Mozart était parmi ses rares préférences, à tel point qu’il avait souhaité que son fameux Requiem soit joué à ses propres funérailles – à l’église de la Madeleine en 1849. 

PAN M 360 : Est-ce à dire que l’oeuvre de Chopin fut marquée par celle de Mozart?

SERHIY SALOV : Il aimait Mozart et ce n’était pas juste une admiration. Le mélodisme, la scansion de Mozart, l’esprit de ses airs et de ses phrases se sont traduits naturellement dans l’idiome romantique de Chopin. Lorsqu’on juxtapose les 2 concertos  au programme, on découvre des parallélismes non pas sur le plan stylistique mais sur le plan presque opératique.

PAN M 360 : Opératique?

SERHIY SALOV : La main droite de Chopin et celle de Mozart jouent des phrases dignes d’un opéra. L’autre compositeur préféré de Chopin était Vincenzo Bellini, qui n’écrivait que des opéras. Enfin bref, on peut croire que la nature pianistique de Chopin et de Mozart est vocale. La voix, il faut le rappeler, est l’instrument le plus ancien de l’histoire, celui avec lequel on a une connexion génétique. Avant Bach, les musiques les plus grandioses écrites en Europe étaient vocales. Il fut un temps, d’ailleurs, où jouer d’un instrument était considéré presque comme un geste de vulgarité, de débauche, un geste presque obscène, banni de certaines églises ou de certaines cultures.

PAN M 360 : Et l’évolution de votre propre jeu à travers ces œuvres?

SERHIY SALOV : Aujourd’hui, j’essaie d’appuyer plus justement sur l’aspect “scansion” – soit la manière d’énoncer. La texture a longtemps été importante pour moi car j’y exprimais ma virtuosité. Aujourd’hui je préfère miser sur la « vertuosité », c’est-à-dire la vertu nécessaire pour jouer devant quelqu’un, y exprimer une scansion, une poésie musicale, une certaine nuance. Tout ce qui est virtuose doit briller mais je ne travaille pas fort que pour ça. Ce côté scansion et expressivité, c’est devenu tout aussi important. 

PAN M 360 : Avec la maturité artistique, l’expressivité artistique devient un enjeu de plus en plus crucial, effectivement.

SERHIY SALOV :  Et c’est ce qui fait en sorte qu’un concerto qu’on joue depuis vingt ans ne va jamais s’émousser. Si on ne s’en tenait qu’au côté technique, on finirait par en avoir un peu ras le bol. La qualité des œuvres joue aussi : des concertos comme les 2 de Chopin ou les 27 de Mozart ne s’émoussent jamais car le génie se trouve dans les détails, dans ce côté vocal qui nous réchauffe le coeur et favorise l’évolution de l’expressivité des interprètes.

PAN M 360 : Difficile de ne pas parler avec vous du conflit armé entre Russie et Ukraine, puisque nous l’avions fait ensemble au tout début du conflit, alors que vous étiez invité par l’Orchestre Métropolitain. Votre pensée a-t-elle évolué depuis un an?

SERHIY SALOV : Mon attitude envers le pays qui a envahi l’Ukraine n’a pas beaucoup bougé. La chute de Marioupol fut pour moi une petite fin du monde, ça a exacerbé chez moi tout ce qui pouvait l’être dans le négatif.

PAN M 360 : Étant vous-même originaire de Donetsk, pas très loin de là, ce doit être d’autant plus douloureux.

SERHIY SALOV : Difficile de mettre ça en mots. On pense au mal et on souhaite que le bien punira le mal. Dans le cas de Marioupol, le mal est resté et  ça suscite chez moi un sentiment de vide profond. Il y a une dizaine d’années, un ami chinois me parlait de l’existence de camps de concentration dans son pays d’origine, je ne l’avais pas cru… Il y en a maintenant près de Marioupol!  

PAN M 360 : Ici cependant, on est loin de la zone de conflit et le Canada est très clairement favorable au camp ukrainien. Alors ?

SERHIY SALOV : Ici même à Montréal, vous savez, une poignée d’immigrants russes pro-invasion bénéficient de notre système social et se réjouissent que Marioupol ait été détruite. Ils affirment  même qu’on y construit une ville entièrement neuve. Je n’ai pas de mots pour décrire ça… C’est difficile à prouver mais si c’était faisable, ces gens devraient perdre leur nationalité canadienne.

PAN M 360 : L’Ukraine, cela étant, n’est pas un paradis démocratique. On y trouve des ministères corrompus et des militants d’extrême-droite qui prennent part aux conflits.

SERHIY SALOV :  En Ukraine, il y a des nazis.  Mais il en existe aussi  en France, au Québec, en Belgique, aux États-Unis. Il existe aussi une extrême droite en Israël. Cette posture semble inévitable dans les sociétés où il y a la gauche, le centre , la droite et des positions extrémistes. Pour ce qui est de la Russie, il faut rappeler qu’il y a déjà déjà eu des néo-nazis également. Des gens de couleurs se sont fait tabasser…

PAN M 360 : À l’évidence, l’ultra-nationalisme de droite n’est pas absent du paysage politique en Russie, même si on ne le nomme pas ainsi.

SERHIY SALOV : Des masses de citoyens russes se trouvent derrière (ce que je considère être) un néo-nazi. Qui nous dit qu’on est du même peuple que le sien. Alors ça valait la peine de tuer 30 000 personnes du soi-disant même peuple, juste à Marioupol? Là  même où un théâtre abritant des enfants reçoit une bombe d’une tonne et demie? Là même où les chiens affamés mangent les restes humains?  Marioupol est la plus grande tragédie militaire en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

PAN M 360 :  Difficile de le réaliser…

SERHIY SALOV : Et que dire du patriarche orthodoxe Cyrille de Moscou qui bénit les icônes et les remet aux soldats qui partent en Ukraine! Je croyais que la pandémie de la COVID était surréaliste, je n’avais rien vu. Une guerre menée en Europe en 2023, c’est du surréalisme.

LA CARTE BLANCHE DE PRO MUSICA DONNÉE À SERHIY SALOV EST PRÉSENTÉE À LA SALLE PIERRE-MERCURE, 15H, LE DIMANCHE 19 FÉVRIER

PROGRAMME:

WOLFGANG AMADEUS MOZARTFantaisie en do mineur, k. 396
Concerto no. 13 en do majeur, k. 415
FRÉDÉRIC CHOPINBallade no. 2 en fa majeur, op.38




Concerto no. 1 pour piano en mi mineur, op.11p

POUR INFOS ET BILLETS, C’EST ICI

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