Camille Frey: la forme des sentiments

Entrevue réalisée par Elsa Fortant

The Grand Tour porte bien son titre: cinq pièces de Camille Frey en couvrent large.

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Dès l’âge de huit ans, Camille Frey se forme au piano classique à Carpentras, dans le sud de la France et s’intéresse plus tard au jazz lors d’un passage au conservatoire du XVIIe arrondissement de Paris. Après avoir découvert Montréal il y a presque 10 ans lors d’un stage, elle revient s’y installer en 2018 avec son bagage de jeune compositrice. Au cœur de de ce premier EP, on retrouve l’équilibre et la tension : entre l’humain et la machine, le synthétique et l’organique, l’ombre et la lumière. Camille Frey nous emmène faire un tour dans son univers, The Grand Tour

PAN M 360: Quelle est ton histoire avec la composition ?

CAMILLE FREY: Pendant très longtemps j’ai composé exclusivement au piano et au chant. J’aime beaucoup chanter, ce projet était full instrumental mais peut être que le prochain j’y mettrai du chant. Assez rapidement j’ai beaucoup gravité entre le jazz, la musique classique et la musique électronique. Je me suis intéressée à la production de musique et j’ai eu envie d’agrémenter mes compositions au piano de choses un peu plus texturées, ce que j’ai pu faire avec la musique électronique. 

PAN M 360:Comment le basculement s’est-il opéré entre l’instrumental et l’électronique ?

CAMILLE FREY: J’avais des amis ingénieurs du son qui produisaient beaucoup de musique et je me suis dit pourquoi pas moi. C’est assez récent, je me suis mise à apprendre, à me former depuis 2016. En fait mon processus de composition est assez linéaire, c’est toujours un peu le même mais ça reste que le piano c’est toujours mon point de départ dans les morceaux que je compose. Je vais toujours commencer par l’harmonie, une suite d’accords, j’ai une mélodie en tête… Ça c’est vraiment le socle, le squelette, la base de ce que je fais et je viens l’enrichir. J’essaye parfois d’y aller autrement en commençant par les percussions ou la basse mais pour l’EP, c’est vraiment resté la base. 

PAN M 360: As-tu trouvé ta communauté musicale ici ? 

CAMILLE FREY: C’est ça qui est très cool, quand j’étais en France j’allais souvent aux événements organisés par Ableton car j’utilise le logiciel Ableton Live pour produire. Quand je suis arrivée à Montréal j’avais très envie de rencontrer des gens dans la musique, de pouvoir discuter. J’allais beaucoup aux événements organisés par Ableton User Group. C’est comme ça que j’ai rencontré les gens de Unlog et j’ai rejoint le collectif de Silicon Beats au sein duquel on fait de l’impro en musiques électroniques, des jams.

PAN M 360: De quelle façon la communauté musicale dans laquelle tu t’inscris ici à Montréal influence-t-elle ta pratique individuelle ?

CAMILLE FREY: De plein de façons. Tu rencontres des gens qui ont des influences très différentes. J’ai eu la chance de tomber sur des gens talentueux, très humbles et bienveillants. Il y a un gros partage de pratiques, de tips, on fait beaucoup de choses ensemble comme des sessions d’écoute, on se partage des morceaux sur lesquels on travaille, on fait des sessions de mixage. Au-delà du côté technique il y a tout le partage humain quand on fait des jams, mais aussi de collaboration, des projets, ça vient nourrir toute ma pratique personnelle. 

PAN M 360: Dans la vie de tous les jours tu es UX designer, traces-tu des parallèles entre ton métier et la composition ? J’ai des mots-clés qui me viennent en tête comme perception, expérience, architecture, immersion…

CAMILLE FREY: C’est sûr que ce qui m’inspire en musique c’est l’aspect visuel, le graphisme et je pense que ce que je compose comme musique est assez imagée. Dans mon métier il y a quelque chose en lien avec la logique, l’ergonomie, qui peut être un peu technique et très fonctionnel alors qu’en musique je trouve un côté beaucoup plus spontané. Dans mon travail même s’il y a le mot conception dedans, design, je dois quand même répondre à des conventions parce que je designe pour des gens, pour des utilisateurs et ça doit répondre à certaines règles alors qu’en musique c’est beaucoup plus libre. 

PAN M 360: Dans ta description d’EP tu parles d’ailleurs de paysages et de nature, comment ces éléments s’expriment-ils musicalement ?

CAMILLE FREY: C’est sûr que la nature m’a beaucoup inspiré d’un point de vue graphique. Un truc sur lequel je trippe c’est observer au microscope des végétaux, quand tu vois le détail c’est malade. Au niveau sonore j’ai habité un an en Islande, les sons de la glace qui craque, ou la neige, c’est quelque chose de très texturé qui m’inspire beaucoup. J’aime le détail de ces sons.

PAN M 360: Est-ce que tu fais de la prise de son créative ?

CAMILLE FREY: Pour le moment non, ce qui est drôle c’est qu’il y a tous ces éléments qui m’inspirent et en même temps cet EP je l’ai fait 100% numérique. On entend un côté très synthétique au niveau du son parce que je l’ai fait avec un laptop et mon clavier. Je suis pas mal de gens dont c’est le métier de faire de la prise de son en nature et ça m’intéresse beaucoup, je vais essayer d’en intégrer dans des projets futurs. 

PAN M 360: Tu mets le doigt sur ce qui est au cœur de ton EP, cette tension entre organique et synthétique. Exploites-tu l’idée de contraste consciemment ? 

CAMILLE FREY: Ça vient assez naturellement, quand je compose je ne réfléchis pas à grand-chose. J’ai parfois participé à des ateliers en production où on conseillait d’avoir une structure avant de composer, j’avais essayé car mon problème c’est que je mets beaucoup de temps à produire quelque chose et réfléchir à mon morceau en amont n’a pas du tout fonctionné. L’aspect spontané est hyper présent, ça vient naturellement vu la manière dont j’ajoute les sons. 

PAN M 360: Ta pochette d’album, par son format, participe, elle aussi, à la construction d’un univers contrasté. 

CAMILLE FREY: Des fois je trouve que dans la musique électronique comme c’est tout digital ça manque un peu d’imperfection, c’est tout lisse, ça manque de vie, et comme cet artiste travaillait sur du papier j’ai tenté de lui écrire et il a accepté. Je l’ai découvert sur Instagram et j’ai eu un gros coup de cœur pour ce qu’il fait. Son processus est super intéressant. Il utilise des algorithmes pour créer des œuvres physiques. J’ai une grande version papier de la pochette que je vais encadrer. 

PAN M 360: Quel est le lien entre tous les éléments d’opposition évoqués plus haut ?

CAMILLE FREY: C’est un peu bateau mais je me laisse pas mal porter par ce que je ressens, au final cet EP qui s’appelle The Grand Tour qui passe par du contraste, du sombre, du lumineux, rappelle aussi les émotions par lesquelles on passe, un voyage avec tout ce qu’on peut ressentir, la richesse de tout cela. 

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