cumbia / latino

Mundial Montréal | Au buffet des Empanadas Ilegales… party !

par Frédéric Cardin

Comme le disait mon collègue et aussi ami Alain Brunet dans le paragraphe d’intro de l’entrevue qu’il a réalisée avec un membre des Empanadas Ilegales (visionnez l’interview ICI), la cumbia, rythme colombien à l’origine, est devenu la dégaine maîtresse de la musique latino, partout en Amérique. Bien entendu, dans les Amériques hispanophones, mais aussi solidement enracinée dans les grandes villes nord-américaines comme Montréal, et Vancouver, d’où provient le septuor Empanadas Ilegales (très cool nom!). Je ne referai pas leur historique, que vous trouverez dans l’entrevue. Je me concentrerai sur la prestation donnée hier soir à la Sala Rossa. On remarque dans cette formation étoffée un solide équilibre entre les sections rythmiques et mélodiques (comme c’est pas mal le cas dans tous les ensembles de musique latine). Batterie et percus côtoient chant, clavier et cuivre (trompette rutilante) dans un tourbillon sonore souvent enivrant. Dans le cas des Empanadas, la prestation d’environ 25 minutes (la norme dans ce genre d’événement) s’est faite d’une seule traite, dans l’esprit d’un sound system fluide et continu à la colombienne. La réussite de l’expérience démontre le solide degré de préparation et le professionnalisme des musiciens. On est ainsi passé sans effort notable de la vraie cumbia à du reggaeton, à des exclamations ska, puis retour à la cumbia, mais version 2.0. Montréal est une ville bien garnie par la communauté latino, les sonorités de la cumbia y sont très présentes. Pas surprenant alors si le band avait fait salle comble ailleurs dans la cité avant de se présenter à son showcase. On peut déduire qu’il sera de retour avant longtemps, mais que d’autres villes du Québec auraient intérêt à les inviter aussi pour un prochain festival d’été. Prenez note! ces BC people savent faire lever un party!

classique arabe / flamenco / rumba

Festival du monde arabe | Naseer Shamma ou la maturité atteinte d’un supravirtuose

par Alain Brunet

S’inspirant de grands poètes de la résistance à toutes formes d’oppression, soit le Palestinien Mahmoud Darwich, le Chilien Pablo Neruda et l’Espagnol Federico García Lorca, le supravirtuose de l’oud irakien n’a pas déçu dans un contexte de musique de chambre, le 17 novembre dernier au Théâtre Maisonneuve.

Le lien professionnel de Naseer Shamma avec le Festival du monde arabe de Montréal remonte à plusieurs années, on a pu admirer son jeu supérieur dans différents contextes, notamment avec des concerts au croisement dde la musique classique arabe, du flamenco, du jazz moderne et aussi de la musique classique occidentale.

Cette fois, il a réuni un florilège d’excellents musiciens de souches différentes, tout en s’assurant que des solistes très solides aux cordes et aux percussions maîtrisaient à fond ce langage, et aussi en s’entourant de musiciens férus de jazz et de flamenco. Durant les tableaux plus ibériques, Audrey Gaussiran et ses danseuses ont illustré la grande connexion entre les mondes arabe et andalou, encore perceptibles depuis la lointaine Reconquista des chrétiens en Espagne et au Portugal, soit au XVe siècle. Ainsi nous avons humé les effluves du flamenco et de la rumba, styles nés en bonne partie dans Al Andalus, soit le territoire conquis à l’époque mauresque.

Et donc le répertoire du soliste était émaillé de ces sources musicales et, il va sans dire, superbement maîtrisées. On a pu aussi observer la maturité acquise par Naseer Shamma, qui ménage mieux ses effets de supravirtuosité et sert mieux la musique alors qu’autrefois il épatait la galerie de sa technique hallucinante, notamment lorsqu’il pond des solos d’une seule main, sorte de tapping comparable aux guitar heroes les plus performants du jazz ou du rock.

Le soutien harmonique des claviers était assuré par notre Marianne Trudel, le sextuor de cordes et le qanun témoignaient des cultures classiques et arabes, la section rythmique se voulait un hybride entre flamenco, jazz et pop, sans compter une guitare à cordes de nylon pas piquée des vers.

Magnifique soirée dominicale, en somme.

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art-punk / Métal / rock alternatif / rock prog

Coup de coeur francophone : zouz, La Sécurité et René Lussier au Club Soda | Lourd et angoissant

par Sami Rixhon

Électrisante performance, ce jeudi 14 novembre au Club Soda, de la part du power trio rock zouz, qui conforte sa place au rang des groupes québécois les plus prometteurs et pertinents de l’heure.

« On s’est dit que c’était pas grave si ça passe pas à la radio, que c’était pas grave si ça ne plaît pas à tout le monde. C’est pas notre but », dit David Marchand, meneur de la formation, quelques secondes avant d’interpréter la pièce-titre de Jours de cendre. Il est vrai que zouz ne semble pas destiné à donner un jour un spectacle d’envergure sur la Place des festivals pendant les Francos. Seul Karkwa, dans le même genre, a réussi cet exploit dans ces dernières années. Parce que Karkwa, c’est Karkwa.

zouz pourra toujours pourtant compter au gré des années sur une niche fidèle, une niche passionnée. Si quelques néophytes curieux de l’univers zouzien se trouvent ce soir dans la salle, sans doute rejoindront-ils les yeux fermés ce culte délirant. Impossible de ne pas se laisser prendre par les riffs mordants et techniques de Profiteur, dur de ne pas se faire charmer par l’air sinistre d’Une main lave l’autre.

Avant pratiquement chaque morceau interprété, zouz laisse l’angoisse planer en musique, il repousse sans cesse la secousse. Les lignes de guitare et de basse se font d’abord discrètes, les coups de batterie également, mais le public sait ultimement ce qui l’attend. On tourne autour du pot, et puis, enfin, ça explose. Le mosh pit prend et reprend. Ça pousse, ça saute, ça gesticule sur le plancher. La chanson se termine, le temps qu’on reprenne notre souffle, mais zouz ne nous laisse pas de répit, zouz recommence. Encore, encore et encore. Une performance particulièrement constante, donc.

Si zouz est bel et bien un trio (Marchand, Dupré & Ledoux), une quatrième membre, Shaina Hayes, parvient à faufiler sur scène sa voix au milieu de toute cette ardeur et brutalité masculine. Un bel ajout. David Marchant appelle également Charles-David Dubé, ingénieur son du groupe, le « cinquième membre de zouz ». Une reconnaissance pour ces indispensables techniciens qui se fait plutôt rare dans le milieu, et que l’on accueille avec plaisir.

Philippe Renaud, du Devoir, écrivait en octobre dernier que le rock québécois « se porte bien ». Force est de constater qu’il a raison. Avec des groupes comme zouz et Population II, on ne devrait pas trop s’en faire pour les prochaines années.

Après une (première) première partie de René Lussier, la formation montréalaise La Sécurité prenait place sur les planches du Club Soda, une quinzaine de minutes avant 21h. Malheureusement, comme bien souvent avec de la musique qui rapproche du spectre punk : toutes les chansons se ressemblent. Ce n’est pas forcément désagréable à l’écoute, mais ça ne vole pas très haut non plus. La chanteuse, Éliane Viens-Synnott, est énergique, on note quelques jams sympathiques, mais sans plus.

Dans le même registre de super groupe québécois, on apprécie ici d’autant plus Bon Enfant.

Crédits photo : Charles-Antoine Marcotte

folk / folk-rock / latino / rock / trip-hop

Coup de coeur francophone – Gabriella Olivo + Daria Colonna

par Michel Labrecque

La très chouette salle Bain Mathieu, un ancien bain public transformé en salle de spectacle polyvalente, accueille pour la première année des spectacles de Coup de Coeur Francophone. Le 13 novembre, se déroulait un double lancement d’album au féminin.

D’abord, place à Gabriella Olivo, pour son EP de six chansons, A Todos Mis Amores, paru le 25 octobre. 

Gabriella a grandi à Stoneham, près de Québec, de mère Mexicaine et de père « blond aux yeux bleus de St-Bruno », dit-elle sur scène. Sa mère lui a toujours parlé en espagnol. Elle a donc grandi avec deux cultures, malgré l’homogénéité ambiante de cette banlieue de Québec.

Sa jeune carrière musicale est imprégnée de ce bi-culturalisme : elle chante en français et en espagnol, souvent dans la même pièce. Ça donne un folk ambiant teinté de rock et assaisonné d’un peu de son mexicain et latin. 

En ce sens, cela rappelle Kevin Johansen, Argentin de mère Argentine et de père Américain, qui mène une carrière en espagnol et en anglais avec un solide succès en Amérique latine. 

Gabriella Olivo vit au Québec. Mais A Todos Mis Amores est son opus le plus mexicain, car il a été fait à Mexico, avec le producteur Santiago Miralles. Bien que toujours dans un son folk rock méditatif, ce mini album est davantage parsemé d’influences latines que le précédent, Sola. Car Mexico est une ville qui sait mélanger rock et latinité. 

Tout cela pour dire que cet EP s’écoute très bien et que la version sur scène, agrémentée de quelques morceaux antérieurs, l’est également. D’autant plus que Gabriella partage sur scène des anecdotes et histoires personnelles qui donnent du contexte aux chansons. « En ce moment, le monde est vraiment fucked-up », a-t-elle lancé en faisant allusion à la récente actualité politique. En guise de consolation, elle nous a offert la magnifique chanson No te Olvides De La Luz. Comment trouver la lumière dans la noirceur. 

La jeune Mexicaine de Stoneham est à suivre. Et, comme elle a dit : « Vive le Coup de Coeur Hispanophone », bien qu’elle chante également en français. Et ça va continuer comme ça, m’a-t-elle dit après sa prestation.  

Avec Daria Colonna, nous entrons dans un tout autre univers. Le requiem des sirènes saoules est le titre de son premier album, paru en mai. Tout un programme.

« C’est mon premier spectacle », nous confesse-t-elle sur la scène du Bain Mathieu. C’est que Daria Colonna, 35 ans, est connue comme poète. Son dernier recueil, La Voleuse, lui a valu des nominations à plusieurs prix de poésie. 

Nous avons donc assisté à cette première scénique, six mois après la parution du disque. Musicalement nous sommes dans un mélange de trip-hop et de rock synthétique, avec des épisodes plus acoustiques.

Daria Colonna nous ouvre son livre sur ses états d’âme multiples, avec un accent sur la femme « intense »,à laquelle elle dédie une ode. Il est question de désirs, d’anxiétés, de vie dangereuse, de soifs, dans tous les sens du terme. Il est clair que Daria Colonna ne manque pas d’intensité. Elle sait écrire des textes. Sur scène, le résultat m’a semblé moins probant que sur disque.

Mais c’est une musicienne et chanteuse en apprentissage et en gestation. On peut percevoir une trajectoire originale, indépendante, ou les mots seront toujours privilégiés. Ce qui n’est pas toujours dans l’air du temps. Et qui fait du bien. 

classique moderne / classique occidental / période romantique

OSM | Symphonie alpestre : Quand les bois deviennent des sherpas

par Alexis Desrosiers-Michaud

Ce sont les derniers concerts cette semaine de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) avant sa prochaine tournée qui l’emmènera dans les meilleures salles d’Europe au cours des prochaines semaines. Pour l’occasion, c’était au tour de la Symphonie alpestre de Richard Strauss d’être rodée, sous la direction de Rafael Payare.

En lever de rideau, l’OSM présentait également Jeden Baum spricht « Chaque arbre parle » de l’Irano-Canadien Iman Habibi. À en croire la note de programme, cette œuvre aurait eu tout à gagner à être insérée dans le Marathon Beethoven de l’OM du mois passé. Elle coche toutes les cases de comment le concours de composition a été présenté lors des concerts, soit, grosso modo, comment le compositeur peut exprimer aujourd’hui l’influence que Beethoven a eue sur sa vie. Pour pousser plus loin, il est écrit que le titre même provient d’un journal personnel de Beethoven. Et c’est ce qu’on entend ! Habibi utilise habilement les esthétiques dramatiques et campagnardes des Cinquième et Sixième symphonies, sans les citer, dans une structure tripartite, avec des cuivres et des percussions agités, mais des cordes et des bois plus calmes. Le tout mène à une finale grandiose pleine d’espoir. Bref, quelque chose de plus intéressant que les deux créations auxquelles nous avions personnellement assisté lors des concerts du dimanche 20 octobre. On ne peut s’empêcher d’esquisser un petit sourire quand on se remémore que le concours de l’OM date d’avant la pandémie et qu’on lit que Jedem Baum spricht fut créé en 2020 en tant que commande du Philadelphia Orchestra qui est dirigé par… Yannick Nézet-Séguin !

24h avant le concert, l’OSM a annoncé que le Concerto pour piano de Scriabine sera remplacé par le Troisième concerto de Ludwig van Beethoven, mais toujours interprété par Bruce Liu. Ce dernier enfilera le concerto avec finesse et fluidité. Jamais il ne forcera, piochera, ni ne marquera exagérément. La main droite est si agile que les trilles sont quasi imperceptibles et son jeu de nuances est époustouflant. Liu a une capacité de suspendre les notes au dernier moment pour amortir une phrase ou changer de caractère. Le début du deuxième mouvement nous transporte dans un autre monde avec une main gauche réconfortante et une mélodie à peine effleurée par les doigts de la main droite. Personne n’a donné d’explication au changement d’œuvre, mais cette exécution en valait la peine.

La Symphonie alpestre a de quoi impressionner avec sa durée (45-50 min.), son instrumentation dense (abondantes sections de cuivres et de percussions, instruments inusités) et son florilège thématique, mais il faut aller fouiller dans les détails pour vraiment impressionner. À plus ou moins 130 exécutants, jouer fort est un jeu d’enfant, mais il n’est pas toujours évident de doser ses nuances. Comme Payare met en priorité la famille d’instruments la plus susceptible de se faire enterrer, nommément les bois, tout se rééquilibre. En bons guides expérimentés, ils ont été brillants, individuellement et collectivement. Dès la première note, le bassoniste Stéphane Lévesque et ses compères ont instauré l’ambiance calme de l’aube, sur fond de violons imperceptibles. Puis, le nouveau hautbois solo Alex Liedtke s’est distingué dans un solo lointain. Plus tard, ce même Liedtke, avec le clarinettiste Todd Cope et le légendaire Timothy Hutchins à la flûte, nous a littéralement mis sur le bout de notre chaise à la veille de l’orage, ne sachant pas trop quand le ciel allait nous tomber sur la tête. L’Élégie post-orage fut encore meilleure. Le fossé abyssal d’orchestration (on passe de l’orchestre complet à une formation intime, de chambre avec bois, cor et trompette solos sur pédale d’orgue) n’affecte en rien le jeu. Le piège de l’excitation et de l’agitation de la section précédente est évité et on nage en plein moment de zénitude. Tout au long de la symphonie, les cuivres ont assuré leur présence sans être trop puissants. Même qu’ils auraient pu prendre plus de place à quelques endroits, comme à chaque reprise du motif choral instauré dès le début. Le volume de la  banda était bon et les cors en ont mis plein la vue dans leur longue mélodie du Sommet, mais cela n’aurait pas été aussi excellent sans l’apport des cordes en dessous qui dictent la phrase sans relâcher la tension dans les notes longues. Bref, la Symphonie alpestre a beau raconter l’ascension seule d’un aventurier, cette magnifique exécution est l’œuvre d’un collectif parfaitement au parfum du rôle que chacun doit prendre pour atteindre le sommet.

crédit photo : Antoine Saito

art-rock / folk / rock

Coup de cœur francophone | David Bujold et Bandit Voyage

par Michel Labrecque

David Bujold, fondateur du groupe art-rock FUUDGE, a lancé officiellement son premier album solo , Le Sol ou le Ciel, dans le cadre des Coups de Coeur Francophones. Ce fût un voyage éthéré et étoilé par un soir de novembre pluvieux. 

Cet album, que j’ai déjà recensé sur ce site, constitue une mutation folk pour le chanteur rock stoner. Nous sommes ici dans un univers proche de Sufjan Stevens ou du Beck acoustique. Ce qui ne veut pas dire que cette proposition manque d’originalité. Bujold transpose ces influences en créant son propre univers, avec ses textes ironiques et second degré. 

Le mariage entre cordes (violon et alto), guitares et voix opère. De jolis instrumentaux courts alternent avec les chansons. Quelques notes de piano et de claviers habillent le tout discrètement. Des harmonies vocales surgissent juste au bon moment. 

Une atmosphère se crée et nous nous retrouvons par magie dans le chalet familial où l’album a été enregistré, comme nous le raconte David Bujold. Ce chalet où, « dans le temps des fêtes, on écoute du Debussy jusqu’à quatre heures du matin », nous a-t-il confié. 

Le titre de chansons est très indicateur de cette atmosphère: Donne-moé aux Pauvres, Un Bal dans un Fusil, Ton Coeur a pu une Cenne. Sans parler du refrain «  j’ai jamais été aussi ben…que demain ». Second degré, je vous dis. En fait, c’est au niveau des textes qu’on peut raccorder l’univers de FUUDGE à celui de Le Sol ou le Ciel. Des textes obsédés par la vie et la mort…ou le contraire. 

Dans ce folk éthéré et méditatif, on sent aussi un esprit rock. Au milieu de la chanson Ton cœur a pu une Cenne, on croit entendre Promenade sur Mars, d’Offenbach. Volontaire ou pas ? Je l’ignore. 

Quoiqu’il en soit, le public du Verre Bouteille rempli à craquer, certainement de beaucoup d’ami-e-s, était clairement ravi de l’offrande. 

En première partie, le duo suisse-genevois Bandit Voyage, nous a mené dans son univers surréaliste sympathique, où on trouve des influences des années soixante et du New wave des années quatre-vingt. 

Des fantômes de Rita Mitsouko ou des Loundge Lizards, mais en plus lisse et en moins sérieux. 

Anissa Canelli (voix, guitare, mini-saxophone) et Robin Giraud (voix, basse), sont accompagnés d’une batterie synthétique purement années quatre-vingt. Ils nous parlent des fantômes de Brigitte Bardot, de santé mentale, de Los-Angeles, où ils ont commencé leur carrière en 2017. 

Deux joyeux lurons qui connaissent un certain succès en Europe francophone. Le Verre Bouteille était une salle un peu trop petite pour leur permettre de nous plonger véritablement dans leur délire. Chose certaine, ils avaient l’air vraiment heureux d’être à Montréal. 

Pour vous faire une idée plus juste, écoutez leur récent EP Pastcore ou leur précédent album Was Ist Das (2023).  À vous de juger. 

rock / rock prog / space-rock

David Gilmour à NYC: les pèlerins ont jubilé !

par Martial Jean-Baptiste

NEW YORK

Régnait une ambiance électrique au Madison Square Garden dimanche soir:  19500 spectateurs assistaient au concert du légendaire guitariste de Pink Floyd, David Gilmour. Au programme, le dernier album Luck and Strange, créé avec la collaboration de sa femme, l’autrice Polly Samson.

Il aura fallu attendre près de 10 ans avant l’arrivée de cet album solo qui, incidemment, a occupé la première place du palmarès du Billboard britannique à sa sortie en septembre dernier. 

Vêtu d’un t-shirt, d’un  jean noir et  muni de sa guitare la Black Cat Strat, le maître du space/prog rock a rapidement pris les choses en mains en interprétant la chanson 5 AM, une pièce de l’album Rattle that Lock parue en 2015.

Il a ensuite enchaîné avec les premières plages de son dernier enregistrement, Black Cat et Luck and Strange. Selon le principal intéressé, c’est probablement le meilleur album solo depuis Dark Side of the Moon en 73 – il a formulé cette affirmation lors de son passage à l’émission The Tonight Show avec Jimmy Fallon sur NBC, la semaine dernière. Matière à débat, on s’en doute bien.

Vu la stature du musicien, il fallait évidemment payer une petite fortune pour assister à ce concert et faire dans mon cas  près de 600 kilomètres en avion pour venir entendre l’un des  guitaristes les plus influents au monde. Et, croyez-moi, il n’a déçu personne !

Malgré ses 78 ans, Gilmour n’a pas perdu une once d’énergie sur scène.  Dès les premières notes de guitare on pouvait reconnaître le son et la voix Gilmour, qui sans efforts à fait vibrer les cordes de sa guitare.

C’est le cinquième album solo de David Gilmour et la foule de cette salle mythique était fort heureuse de voir que le guitariste avait pris le  soin de rappeler son talent en jouant entre autres en solo Fat Old Sun de l’album Atom Heart Mother (sorti en 1970). Après ce morceau, il reçut une  ovation monstre de la part de cette foule bigarrée, dont l’âge variait entre 25 et 77 ans.

L’environnement visuel de ce spectacle a été confié à un collègue de longue date, soit le concepteur d’éclairage Marc Brickman qui a longtemps travaillé avec  Pink Floyd vers la fin des années 70. C’est lui qui a signé la scénographie et la conception d’éclairages du fameux show The Wall en 1979.

Durant la première partie du spectacle, Gilmour a joué pas moins de 9 pièces du répertoire de Pink Floyd. Un autre moment fort de ce concert fut l’interprétation de The Great Gig in the Sky, l’une des pièces mythiques de Dark Side of the Moon (1973), un album sorti il y a 50 ans. Pour l’exécution, on a confié la tâche à la pianiste Louise Marshall, les sœurs Webb et la fille du guitariste, Romany Gilmore. L’ambiance était spectaculaire avec des chandelles disposées sur le piano et ces voix magnifiques i contrastant avec les vocalises mythiques de Clara Tory sur l’enregistrement originel.  

Pour souligner cet anniversaire, d’ailleurs, le groupe londonien a lancé une vaste campagne de promotion. Dans la foulée de cette sortie, des projections spéciales ont eu lieu à Montréal comme ailleurs dans le monde, soit au Planétarium et à la SAT.

La foule du Madison Square Garden était aussi en voix ! On a chanté à l’unisson Wish You Were Here (1975) et  j’étais du nombre puisque,  sans trahir mon âge, cela me rappelait de très vieux souvenirs. La guitare sensuelle de David et sa voix chaude ont permis à plusieurs de se replonger dans les très belles années ou le groupe Pink Floyd régnait sans partage aux sommets du prog et du space rock. Notons que David Gilmour a su aussi s’entourer de très bons musiciens que ce fut à la guitare, au clavier, à la basse et à la batterie.

La fin du spectacle n’a pas déçu. En rappel, David Gilmour et sa troupe ont joué Comfortably Numb du célèbre album The Wall écrit par Roger Waters.

Ce spectacle mettait fin à une série de concerts amorcés à Londres, soit à la fameuse salle Royal Albert Hall, suivi de l’Italie (Rome), un pays qu’affectionne particulièrement le guitariste.

crédit photo: compte Instagram de David Gilmour

opéra contemporain

Festival du Monde Arabe 2024 | Sainte Marine, opéra immersif : curieux ou heureux?

par Frédéric Cardin

Samedi 9 novembre avait lieu la création de l’opéra Sainte Marine de Katia Makdissi-Warren (de l’ensemble OktoEcho), avec le concours de la compagnie Chants Libres dirigée par Marie-Annick Béliveau (également interprète du rôle principal).

Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Marie-Annick Béliveau au sujet du personnage de Sainte Marine, et de l’opéra lui-même: 

L’opéra est qualifié d’immersif, ce qui est juste compte tenu que le public et les artistes sont dispersés dans un même espace commun sphérique : le dôme de la SAT (Société des Arts Technologiques). Mieux encore, les artistes se déplacent à travers les spectateurs, et ceux-ci ont le loisir (ou sont parfois obligés) de changer de place, de s’asseoir ou de rester debout, selon leur bon plaisir ou leur intérêt pour un musicien plutôt qu’un autre. Le dôme lui-même sert d’écran pour diverses projections au cours du spectacle. Quelques-unes sont jolies (dessins de fleurs, plantes, arbres), d’autres touchantes (bougies accompagnant un passage musical introspectif vers la fin de l’oeuvre), mais trop souvent se limitent à des jaillissements de traits colorés ou de formes esquissées qui semblent sévèrement sous utiliser le potentiel moderne de l’art visuel numérique.

La musique évoque les chants traditionnels maronites du Liban (pensez soeur Marie Keyrouz), car Sainte Marine a vécu dans ce qui est aujourd’hui le Liban vers le 5e siècle. La partition vocale évolue avec des lignes simples, avec forts échos de gammes modales, transportées par les voix amplifiées de Marie-Annick Béliveau, mezzo-soprano à qui on demande des écarts parfois importants en plus d’enchaîner le chant et la narration, et un trio de voix basses masculines, les ‘’frères’’ de Sainte Marine dans le monastère où elle a vécu déguisée en moine masculin toute sa vie ou presque. Ce qu’on entend ressemble surtout à du chant rituel, ou incantatoire, et pratiquement dénué de toute harmonisation. L’effet est certes suggestif de la transe, mais surtout chenu en émotion. J’ai pensé quelques fois que j’aurais aimé un drame plus caractère.

La partition instrumentale est celle qui s’écarquille le plus entre les styles et les effets. J’ai particulièrement aimé le jeu des flûtes proposé par la compositrice : traversière classique et alto jouées par Marie-Hélène Breault et surtout le nay traditionnel superbement déployé par Aymen Trabulsi. Elles sont le point d’ancrage dans ce monde du Levant lointain, aussi bien culturellement que temporellement. Puis, les percussions (trés bon Bertil Schulrabe) et le piano (Pamela Reimer) travestissent l’authenticité culturelle initialement dessinée avec des interventions parfois contemporaines, ailleurs jazz ou légèrement pop. Toutes les personnalités stylistiques jusqu’ici décrites se superposent occasionnellement, mais plus souvent qu’autrement se côtoient dans un regroupement pour lequel j’hésite entre les qualificatifs de curieux ou heureux. Un peu comme si je goûtais un plat que j’aime, mais pour lequel je me demande ce qu’il y manque pour le rendre vraiment savoureux.

La qualité des interprètes est indéniable, même si j’ai senti la voix de Marie-Annick un brin fragile, voire hésitante, dans quelques passages. Peut-être était-ce voulu, pour mieux incarner le personnage? Encore une fois, j’hésite.

Sainte Marine est une proposition très intéressante, qui mérite un peaufinage esthétique et un resserrement de l’écriture dramatique (tant musicale que scénique), et puis un je-ne-sais-quoi qui reste à identifier pour lui permettre d’atteindre son potentiel.

Distribution:  

Marie-Annick Béliveau, mezzo-soprano; Marie-Hélène Breault, flûtes; Aymen Trabulsi, nay; Pamela Reimer piano; Bertil Schulrabe percussions; Michel Duval, David Cronkite et Clayton Kennedy, basses

Katia Makdissi-Warren, conception et composition

Marie-Annick Beliveau, conception, livret et direction artistique

Charlie Poirier-Bouthillette, conception vidéo

Normal Studio, réalisation immersive

Flavie Lemée, éclairages

Marianne Lonergan, scénographie et costumes

Angélique Wilkie, dramaturgie

classique occidental

Jason Xu, premier saxophoniste à rafler les honneurs au Concours de l’OSM

par Alexis Desrosiers-Michaud

Pour la première fois de son histoire, la finale du Concours de l’OSM mettait en vedette pas un, mais deux saxophonistes, en plus d’un trompettiste et d’une tromboniste basse. Et pour la première fois de son histoire, le premier prix est attribué à un saxophoniste, le Sino-Canadien Jason Xu.

C’est d’ailleurs avec lui que la finale du concours s’est ouverte, par une interprétation de la Rhapsodie pour saxophone alto d’André Waignien. Cette pièce ne lui a laissé aucun répit. Il n’y a pas beaucoup de passages lyriques, mais il est capable de faire chanter les lignes de manières virtuoses. Xu a un beau son expressif et velouté. On le perd cependant un peu dans les nuances douces, mais l’orchestre, dirigé par Jacques Lacombe, aurait pu jouer moins fort. Sinon, une de ses qualités est de faire un tout avec celui-ci. Rapidement, on sent qu’une chimie s’installait entre le soliste et l’orchestre.

Le deuxième candidat était le trompettiste ottavien Charles Watson dans le Concerto pour trompette de Franz Joseph Haydn. Stoïque, il prend le pari de jouer avec un son rond, sans force ni flamboyance, avec un jeu de finesse et des articulations nettes. Il manquait cependant un peu de nuance et de phrasé. Nul ne sait si la concentration fait gagner des points, mais il a été importuné à quelques reprises, notamment par des applaudissements aux mauvais endroits, malgré les avertissements, et par les cris d’un bambin. Aussi, une cadence de concerto n’est pas un solo de jazz : on n’applaudit pas à la fin de celle-ci et lorsque l’orchestre reprend ! Malgré tout, Watson est demeuré imperturbable.

Après l’entracte, c’était au tour de Malena Lorenson qui a interprété le Concerto pour tuba de John Williams (oui, oui, lui), mais adapté pour trombone basse. Malgré quelques craquements au début, elle offre une performance époustouflante. Le son est égal dans le vaste registre de l’instrument et Lorenson passe très facilement au-dessus de l’ensemble orchestral. Il ne faut pas oublier que le concerto est conçu pour être joué par un instrument à pistons, alors qu’au trombone, c’est le bras seul qui bouge pour effectuer les changements de notes. Lorenson rend cette gymnastique complexe avec une impressionnante facilité et se surpasse également dans les articulations du registre grave. Native de l’Alberta, mais étudiant à Montréal, elle a chaudement été applaudie par le public.

L’alignement de l’après-midi s’est conclu avec Bingchen He. Le deuxième saxophoniste de la soirée a choisi d’interpréter le Concerto pour saxophone alto d’Henri Tomasi. Il y a beaucoup de notes, mais il y a peu de valeur ajoutée à la virtuosité. Tout comme dans le concerto de Williams, l’orchestration y est très dense et, malheureusement, le saxophone se fait manger tout rond à plusieurs reprises. He prend plus de place sur scène que les autres et on sent qu’il y a moins de symbiose avec l’orchestre. Après une longue délibération, les résultats ont été les suivants :

1er prix : Jason Xu

2e prix : Malena Lorenson

3e prix : Bingchen He

4e prix : Charles Watson

Le jury international, placé sous la présidence de la directrice générale de l’Orchestre philarmonique royal de Liège Aline Sam-Giao, était composé de : Leone Buyse, professeure émérite en musique Ida and Joseph Kirkland Muller de la Rice University, Manon Lafrance, trompettiste et pédagogue, Louise Pellerin, hautboïste et professeure à l’Université des arts de Zurich, Rafael Payare, directeur musical de l’OSM, Jacques Lacombe, chef d’orchestre et Peter Sullivan, trombone solo à l’Orchestre symphonique de Pittsburgh.

crédit photo : Antoine Saito

jazz contemporain

L’ONJ, Miho Hazama et le pouvoir des femmes dans le jazz actuel pour grands ensembles

par Vitta Morales

L’ONJ a poursuivi sa saison de belle manière au Gesù, le vendredi 8 novembre dernier. Sous la direction de Miho Hazama, nommée aux Grammy Awards (que nous avons eu le plaisir d’interviewer ici à PAN M 360), l’ONJ a joué une soirée de musique mettant en valeur ses compositions, ainsi que celles d’autres femmes dont Maria Schneider et Christine Jensen. Dans le même esprit, plus de la moitié de l’orchestre de ce concert était composé de musiciennes, la plupart d’entre elles formant l’importante section des cordes.

Ces compositions illustrent la musique moderne pour orchestre de jazz dans toutes ses « couleurs ». J’utilise ici ce terme pour faire référence à toutes les considérations timbrales qui doivent être prises en compte lorsqu’on écrit pour un grand ensemble de jazz. Franchement, la quantité de combinaisons sonores disponibles (en particulier lorsque des cordes sont ajoutées) est énorme. Hazama a cependant fait des choix très agréables et d’autant plus intéressants.

Ses compétences en matière d’orchestration sont perceptibles dès le premier morceau. Sa composition Run commence par une utilisation intelligente d’harmoniques dans les cordes, ce qui crée un espace pour que les cuivres et la section rythmique fassent leur entrée. À certains moments, elle a choisi des cuivres plus doux, préférant un combo de bugle, cor et trombone à la place des trompettes. À d’autres moments, les saxophones ont été remplacés par la flûte et le hautbois.

Et à d’autres moments, des voix ont été ajoutées, celle de la talentueuse Sienna Dahlen qui a chanté sur plusieurs morceaux et a même offert au public un solo vocal qui a démontré sa capacité à utiliser des techniques vocales étendues. Jean-Pierre Zanella au saxophone soprano, Bill Mahar au bugle et Gentiane MG au piano se sont également distingués par leurs solos.

Mon seul véritable reproche est venu de l’écart rythmique occasionnel dans la section des cordes. Bien que ce ne soit pas trop flagrant, certains coups de poing étaient interprétés avec un groove légèrement différent de celui du reste du groupe et il semblait que tout le monde ne savait pas quand pousser ou tirer. On a même entendu une pauvre violoniste taper du pied avec détermination pour l’aider à jouer une section syncopée en pizzicato.

Cela dit, l’ensemble du groupe a réussi à jouer les figures de fond pendant le solo de batterie de Kevin Warren, et cette discordance de groove n’a donc pas été un problème à tout moment. Je soupçonne que le sens du temps solide comme le roc de la basse de Summer Kodama aurait pu aider à combler ce fossé rythmique puisqu’elle était, peut-être même poétiquement, située au milieu des cuivres, des cordes et de la section rythmique.

Au final, une soirée très réussie de jazz de chambre moderne et éclectique pour l’ONJ qui poursuit bellement sa programmation 24-25.

chant choral

ArtChoral | Des couleurs d’automne en demi-teintes

par Alexandre Villemaire

Le parterre de la Maison symphonique était rempli pour assister au premier concert de la saison 2024-2025 de l’Ensemble ArtChoral, sous la direction de Matthias Maute, accompagné au piano dans certaines pièces par Meaghan Milatz, « Découverte de l’année » au dernier Prix Opus.

La prémisse du concert et de sa thématique des feuilles mortes avancée par Maute était une évasion dans le Paris automnal de la Belle Époque ainsi que dans les couleurs de l’automne canadien. En effet, il n’y avait pas que de la chanson française et de la mélodie française dans ce concert. Il y avait aussi de la musique chorale canadienne représentée par les compositrices Afarin Mansouri, Alice Ho, Beverley McKiver et Sandy Scofield. Nous retenons de celles-ci la pièce de McKiver Dreamers’s Rock et de Scofield The Sacred One dont le propos des pièces, ancré dans leur origine autochtone, était parlant.

Le concert était divisé en deux parties symétriques. Chacune commençait par des pièces de Gabriel Fauré, dont 2024, rappelons-le, marque les 100 ans de son décès. S’en suivait une pièce interprétée par le Grand chœur, un ensemble ad hoc composé d’une centaine de choristes provenant de cinquante chœurs de la région de Montréal. Les dernières parties de concerts étaient de nouveau assurées par les chanteurs et chanteuses de l’Ensemble ArtChoral. C’est par une procession sur l’Ave verum de Fauré, menée par Matthias Maute, que les membres d’ArtChoral ont investi la scène, entrant simultanément des côtés jardin et cour de celle-ci, une rose rouge à la main.

Parmi les seules pièces spécifiquement écrites pour chœur des blocs fauréen, nous avons été surpris dans Madrigal par le choix du chef de privilégier une articulation vocale staccato sur les premiers vers du poème d’Armand Sylvestre, contrairement aux interprétations généralement entendues avec pour un plus grand legato. On comprend que cette articulation répond à l’accompagnement du piano, assuré ici par, mais malgré une interprétation solide des voix, le caractère lyrique du texte en ressortait amoindri. L’essentiel des œuvres de Fauré interprétées était des mélodies de soliste arrangées pour quatre voix accompagnées. Ce traitement, en augmentation par rapport aux originaux, donne une dimension nouvelle aux œuvres et au texte qui sont jolis, mais inégaux dans leur rendu. Celles de Mai, du Papillon et de la fleur et de Dans les ruines d’une abbaye ont été parmi les plus intéressantes. Soulignons aussi qu’à nos oreilles, le traitement à quatre voix faisait en sorte qu’à certains moments l’on perdait l’intelligibilité du texte. L’homogénéité du timbre de l’ensemble a aussi comme effet pervers de donner à quelques pièces une couleur feutrée et un aspect presque méditatif, ce qui laisse peu de place à une certaine expressivité. Par opposition, Les Djinns, poème de Victor Hugo que Fauré met en musique avec un traitement musical quasi opératique, était d’une précision tranchante doublée d’un jeu de nuances cohérent et précis. Le caractère menaçant de ces génies maléfiques de la mythologie arabe était palpable, des murmures entamés par les mezzos au grondement des basses pour culminer dans un torrent vocal haletant qui progressivement s’efface pour revenir au silence.

Dans la première partie, le Grand chœur a livré deux pièces chorales : Upon your heart d’Eleanor Daley et Terre-Neuve de Marie-Claire Saindon. La pièce de Daley est dans un style très aérien avec des harmonies très rapprochées que les choristes ont bien exécutées, malgré de perceptibles différences de timbres dans les voix. La pièce de Saindon proposait une texture harmonique similaire, avec un vernis plus dynamique où des passages de percussions corporelles exemplifiaient le craquement de la glace. Ce n’est d’ailleurs pas le seul élément qui a craqué dans cette pièce. Une confusion générale au niveau du rythme et des notes a forcé le chef à redémarrer l’œuvre après quelques secondes. Une fois reparti, le résultat était fort appréciable. Faire appel à un chœur constitué d’amateurs, aussi bons soient-ils, comporte forcément, dans une programmation d’un ensemble professionnel, des éléments de risque et de débalancement au niveau de l’esthétique vocale du concert. Mais il faut tout de même souligner l’engagement et la détermination de ceux-ci à se mouiller à cet exercice par passion et par amour du chant choral. Les retrouver dans les premières rangées du parterre chanter All Together We Are Love de Katerina Gimon illustre parfaitement cet honorable dévouement.

Après avoir offert la fameuse pièce de Joseph Kosma Les feuilles mortes, l’Ensemble ArtChoral a conclu son concert par une interprétation de chansons d’Édith Piaf, arrangée par Jean-François Daigneault et William Kraushaar dans des approches stylistiques contrastantes. Alors que Daigneault a privilégié une approche texturale et d’effet, notamment dans La foule où les voix imitent le timbre de l’accompagnement orchestral, Kraushaar mise sur la clarté du texte. Son arrangement de l’air populaire Dans les prisons de Nantes, accentuait magnifiquement le caractère modal de la pièce.

Malgré quelques petits accrocs interprétatifs, le dynamisme et la convivialité exprimés par Matthias Maute et le côté inventif de son programme, à l’image de la pièce qui a terminé la soirée, nous ne regrettons rien de notre présence à ce concert.

crédit photo : Tam Lan Truong

Afrique / flamenco / musique traditionnelle ouest-africaine

Malasartes | Noubi et son melting-pot de sonorités

par Sandra Gasana

Accompagné par la compositrice et guitariste flamenca Caroline Planté et le Vénézuélien Héctor Alvarado Pérez à la basse, Noubi n’a pas trop tardé à inviter le saxophoniste argentin Damian Nisenson sur scène. Ce dernier, qui avait introduit la soirée quelques minutes plus tôt, est l’homme derrière Malasartes, cette compagnie de création et production à l’origine de cette série de concerts d’automne.

Les thèmes abordés par Noubi vont des enjeux touchant la jeunesse, la politique, l’individualisme dans les sociétés occidentales tout en dénonçant les violences sous toutes ses formes, comme il le fait dans le morceau Nanela. C’est lors de ce morceau que les spectateurs se sont mis à danser, n’en pouvant plus de rester assis, alors que Noubi faisait participer la salle dans le refrain en wolof.

Il prend le temps de remercier son public après chaque morceau, en français et en wolof, sa langue maternelle. En effet, ce natif de Saint-Louis au Sénégal est très attaché à sa langue, puisque tous ses morceaux sont dans sa langue natale, à quoi il rajoute quelques paroles en français par-ci, par-là. D’ailleurs, Caroline et Hector font les chœurs en wolof sur certains morceaux, ce qui rajoute un effet de surprise au spectacle. Principalement sur son cajón, il joue à la guitare à une ou deux reprises, complémentant ainsi ses musiciens. La forte complicité, surtout avec Damian, se faisait ressentir tout au long du spectacle, les deux ayant travaillé ensemble pendant plusieurs années, depuis ses débuts à Montréal, dans le cadre du programme de mentorat de Diversité artistique Montréal.

Noubi rend également un hommage à sa maman dans le morceau Légui, « remerciant celle qui a fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui », nous confie-t-il. Il nous a également partagé des collaborations avec de grandes artistes telles que la Brésilienne Bia Krieger ou encore la Mexicaine Mamselle Ruiz, avec le morceau Sourire, les deux femmes étant absentes malheureusement.

Dans le morceau Autrement, il invite l’audience à porter « un nouveau regard sur le monde, un nouveau regard sur la vie », entre les rythmes saccadés du cajón et la guitare flamenca qui fusionnent parfaitement. J’étais surprise de voir comment les rythmes de Mbalax s’agençaient bien avec le style flamenco, une combinaison originale. Et c’est exactement ce qui ressort de ce concert : cette ouverture de Noubi vers l’autre, vers d’autres rythmes venant d’Amérique latine et d’ailleurs, le tout avec originalité, tout en invitant le spectateur dans son univers sénégalo-québécois. Un vrai melting-pot de sonorités.

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