baroque / chant choral / classique moderne / classique occidental / période romantique

UdeM | Des voix lumineuses dans une calme nuit chorale

par Alexandre Villemaire

La nef de l’église Saint-Viateur d’Outremont était garnie d’une constellation de gens de tous âges rassemblés pour venir assister au concert, adéquatement baptisé Nuit d’étoiles, de La Chorale de l’Université de Montréal, dirigé par le chef et professeur invité à la Faculté de musique Matthew Lane, accompagné par Myriam Bernard au piano. Un concert qui était placé sous le thème intemporel de la nuit : une inspiration quasi infinie aux compositeurs et compositrices et est une manne excellente pour n’importe quelle direction musicale d’un ensemble pour sa programmation.

Les oeuvres choisit qui articulaient autour de cette thématique étaient des pièces profanes et religieuses de différentes époques, allant de la Renaissance au romantisme en passant par la musique chorale « contemporaine », soit composée par des compositeurs encore vivants. Le concert s’est ouvert avec la pièce-titre de son évènement : Nuit d’étoiles. Pièce très connue de Claude Debussy, originellement faite pour voix solo, l’ensemble a interprété une version arrangée pour quatre voix efficaces qui traduit assez bien le timbre original de la mélodie. La pièce suivante, O Schöne Nacht de Brahms, poursuit dans le même esprit avec des harmonies tout aussi diaphanes, mais plus conservatrices dans leur traitement. Ces deux pièces nous ont permis de constater d’emblée la qualité et l’homogénéité vocale qui se dégagent de cette chorale. Essentiellement composée d’étudiant·es de la Faculté de musique qui le suivent comme cours dans le cadre de leurs études, la chorale est également ouverte pour les personnes provenant d’autres facultés qui disposent déjà de connaissances musicales de base.

S’ensuivit une portion de chants à portée liturgique, soit deux Ave Mari Stella – où la Vierge symbolise l’étoile de la mer pour les marins – d’Edward Elgar et Tomas Luis da Victoria ainsi que le Stabat Mater du compositeur liechtensteinois Josef Rheinberger. Cette œuvre était la plus contrastante des trois œuvres religieuses et parmi les plus variées au niveau des dynamiques au programme. L’évocation dans ce poème du Moyen-Âge de la douleur de la mère du Christ qui assiste à sa crucifixion a été interprétée avec justesse et témérité, notamment par les voix d’hommes qui ont entonné les premières notes avec une justesse vindicative. Le caractère à la fois tourmenté et lyrique de l’œuvre a porté un nouvel élan dynamique et stylistique au programme qui est demeuré, à l’image de la voûte céleste, pétri de sonorités éthérées et de nuances douces et méditatives. Ainsi, les pièces Anand du compositeur cree Andrew Balfour, Viri Galilæi de Gonzague Monney, Stars de l’Afro-Américain George Walker et The Language of the Stars de Katerina Gimon perpétuaient cet état d’esprit. La pièce de Gimon était une autre pièce qui se démarquait du lot par son esthétique lumineuse accompagnée d’un rythme actif, sautillant et claironnant. La création de la compositrice Caroline Tremblay Empreintes enneigées était intéressante sur le plan du timbre vocal, mais redondante au niveau du développement motivique. L’élément percussif contrastant souhaité, incarné par la podorythmie de Benjamin Tremblay-Carpentier – le « tapeux de pieds » tel qu’écrit dans le programme –, était une idée mal exploitée dont la présence n’était pas totalement impertinente, mais qui, dans son utilisation, n’enrichissait pas le discours. À contrario, la pièce de clôture du concert Stars du compositeur letton Ēriks Ešenvalds faisait intervenir un savant et original mélange d’harmonies vocales combiné aux harmoniques naturelles produites lorsqu’on frotte le buvant de verres à eau. L’effet ainsi produit était tout bonnement céleste.

Les membres de la chorale ne sont peut-être pas tous des chanteurs ou chanteuses d’expérience, mais nous avons pu constater le beau potentiel et la qualité certaine que la chorale de l’UdeM peut produire, notamment par une solide capacité de performance, une écoute et une attention diligente aux nuances et aux dynamiques souhaitées instiguées par le chef.

Au-delà de l’aspect performatif noté dans le cadre d’un cours académique, les éléments sur lesquels Matthew Lane devra se pencher dans le développement de la chorale sont la projection vocale de ses étudiant·es/choristes et l’intelligibilité du texte. Certes, l’acoustique de l’église sert grandement le répertoire choral dans son ensemble, en particulier des œuvres aux harmonies ouvertes et flottantes, mais, malgré les paroles et traductions de celles-ci fournies dans le programme, la compréhension des textes, notamment ceux en français, était hasardeuse. Entendre la chorale dans une plus grande variété de styles et d’esthétiques sera également un beau et plaisant défi autant formateur pour les choristes qu’agréable pour le public.

crédit photo: Tiago Curado

baroque / chant choral / chant lyrique

Ensemble Caprice et Ensemble ArtChoral | Un Messie divinement accessible

par Alexandre Villemaire

L’Ensemble Caprice et l’Ensemble ArtChoral, tous deux sous la direction du chef Matthias Maute, ont sonné la fin de la traditionnelle « saison des messies ». Devant une Maison symphonique fortement remplie pour un dimanche après-midi, les ensembles ont présenté leur version du fameux oratorio de Georg Friedrich Haendel. 

D’emblée, il faut le dire : la version de Caprice n’est pas nécessairement pour les puristes. Déjà en ouverture, Matthias Maute a présenté avec les musiciens « son » Hallelujah, une composition patine moderne classique dans laquelle le public était invité à participer en entonnant une mélodie simple qui formait un contre-chant compétitif avec les chanteurs et chanteuses de l’Ensemble ArtChoral.

Si l’attente du public était d’assister à un Messie de Haendel conventionnel d’environ trois heures avec le ritualisme habituel qu’appellent les salles de concert et l’aura de cette œuvre, alors vous risquez d’être déçu. Parlez-en à ma voisine de siège qui n’a pas passé un bon moment entre les interventions sympathiques de Matthias Maute et les applaudissements répétés du public entre les mouvements – que le chef n’a d’ailleurs jamais corrigés. Nous pouvons vivre avec des applaudissements sincères entre chaque air, dans la mesure où le contexte familier amené par Maute s’y prêtait. Mais des applaudissements pendant que l’orchestre s’affaire à donner la note pour le départ d’un récitatif… Au moins, cela n’est arrivé qu’une fois!

Cela étant dit, ces écarts aux usages du décorum n’affectent en rien la qualité globale du rendu de l’œuvre et de l’expérience musicale. La sélection des passages effectuée par Maute ne venait en aucun cas modifier le récit de la Nativité qui est au cœur de l’œuvre. La présentation qu’il a faite de chacune des parties, en déclinant les passages importants et la nature des interventions des personnages, était une médiation fort bien venue qui donnait à ce concert une ambiance ludique. La performance, quant à elle, était vocalement et musicalement engageante, magnifiée par une dynamique de scène qui se rapprochait pratiquement plus de l’opéra que de l’oratorio à la dimension plus austère. Les quatre solistes ont offert des performances senties et incarnées dont les affects ont encore une fois été mis en valeur par la présentation de Maute. Marianne Lambert était un ange Gabriel qui volait effectivement très vite avec des vocalises véloces et aériennes portées par un son cristallin. Sa performance, tout en contraste, de l’air « I know that my redeemer liveth » a été parmi les plus beaux moments du concert. La contralto Rose Naggar-Tremblay, même si elle n’avait pas le plus grand nombre d’interventions, les a livrées avec un sens dramatique où elle était autoritaire et « crachait du feu », notamment dans l’air « But who may abide the day of His coming ». Emmanuel Hasler, qui a aussi fait montre d’une présence scénique incarnée, était juste et royal dans ces interventions portées par un timbre cuivré, alors que Geoffrey Salvas en tant que « prophète qui aura réponse à toutes nos questions » était impérial et inquisiteur dans son air « The trumpet shall sound ». 

Aux performances des solistes, les chanteurs et chanteuses de l’Ensemble ArtChoral ont également fait forte impression dans une performance rigoureuse. Les intonations étaient justes, les nuances et dynamiques exécutées avec soin et intelligence. L’intelligibilité du texte était précise du début à la fin et entonnée avec vigueur. Seul petit accroc technique du concert : une confusion à l’orchestre pour une entrée royale de percussions et de trompettes précédant l’« Hallelujah ». Pour ajouter à la vivacité du concert, l’assistance s’est instinctivement levée alors que l’ensemble a entonné l’emblématique pièce.

Au final, dans la pléthore de concerts du Messie qui peuple le temps de l’Avent, la version de Caprice et d’ArtChora est un excellent compromis entre le traditionnel et l’accessible où la rigueur et la qualité ne sont en aucun cas sacrifiées. Au contraire, ce n’est que pur plaisir.

crédit photo: Tam Lan Truong

chant lyrique / classique occidental

OSL | Un Noël enchanteur

par Alexandre Villemaire

L’ambiance était à la fête pour la représentation du concert de Noël de l’Orchestre symphonique de Laval dont la direction avait été confiée pour l’occasion au jeune chef trentenaire Thomas Le Duc-Moreau.

Même s’il n’y a pas de neige à l’extérieur, le programme de la soirée nous entraînait tout de même sur des sentiers enneigés, avec une première partie, plus classique, dédiée aux deux suites de L’Arlésienne de Georges Bizet et une seconde partie dédiée au monde musical familier des célébrations de décembre.

L’Arlésienne n’est pas une œuvre qu’on associe nécessairement dans son ensemble au temps de Noël. La Suite no 1 a été composée pour servir de musique de scène à une pièce de théâtre d’Alphonse Daudet. La pièce en elle-même fut jugée comme étant un échec, mais la musique de Bizet suffisamment intéressante pour passer à l’histoire. De la première suite, nous connaissons tous la fameuse Marche des rois dont la mélodie enrobe l’essentielle du « Prélude » qui ouvre l’œuvre. Dans une attaque déterminée, les cordes ont entonné la mélodie à l’unisson dans une sonorité métallique. Les multiples variations dans ce mouvement de dynamique ont été amenées avec assurance par Le Duc-Moreau, notamment dans le passage marqué animé, auquel il a insufflé une grande vigueur. Dans le passage suivant, le solo du basson mené par Michel Bettez manquait cependant d’éclat, probablement dû à une prise de tempo un peu trop allante pour l’indication andantino. Le reste de la suite a été marqué par un « Menuet » au rythme sautillant et à l’orchestration lumineuse, un délicat « Adagietto » et une finale en « Carillon ». Malgré le caractère obstiné que commande la nature de mouvement qui imite une série de cloches, la balance entre les vents et les cordes était déséquilibrée. La Suite no 2, moins jouée, a eu son lot de beaux moments, notamment le « Menuet » qui tresse un duo entre la harpe et les vents auquel le grand orchestre vient apporter un élément de contraste ainsi que la « Farandole » qui réintroduit le thème de la Marche des rois pour se conclure dans une fanfare éclatante.

Au retour de l’entracte, nous avons eu droit à la portion que nous pourrions qualifier de populaire du concert avec un défilé d’œuvres orchestrales et vocales de Noël. Après une interprétation par l’OSL de la « Sicilienne » tirée de Pélléas et Mélisande de Fauré, le baryton Olivier Bergeron a chanté le classique Petit papa Noël d’Henri Martinet dans un très bel arrangement idiomatique d’Éric Lagacé. L’orchestre a par la suite enchainé avec A Christmas Festival de Leroy Anderson, un des classiques par excellence du répertoire orchestral du temps des fêtes.  Le défi dans ce pot-pourri de plusieurs airs et cantiques de Noël connus réside dans les différentes transitions et les changements de caractères et de dynamique propres à chaque pièce. Thomas Le Duc-Moreau a dirigé cette pièce avec précision et élégance, passant à travers chacun des airs comme Joy to the WorldDeck the HallsGod Rest Ye Merry GentlemenVive le vent et bien d’autres avec aisance.

Un des moments forts de la soirée a été l’interprétation du Minuit, chrétiens par la soprano Magali Simard-Galdès. Elle possède un timbre clair, perçant, envoûtant et puissant qui sied parfaitement au caractère solennel de ce chant d’Adolphe Adam. Les deux jeunes chanteurs de la soirée se sont alors retrouvés pour interpréter The Twelve Days of Christmas dans un arrangement de Simon Leclerc. Orchestralement diversifié, l’enrobage musical dirigé de manière délicate par le chef, a laissé place aux chanteurs qui racontaient avec plaisir ces paroles saugrenues.

Simard-Galdès était tout à fait pétillante à la fois dans ses interventions et entre celles-ci. Notons cependant que le dosage entre la masse sonore de l’effectif orchestral et les chanteurs que vers la fin de la pièce, rendait compte de l’acoustique sèche et peu amicale de la salle André-Mathieu envers les chanteurs, dont nous perdions le texte dans les fortissimos de l’orchestre. Le concert s’est conclu avec exubérance par l’interprétation de Réjouissances de Gilles Bellemare, une fantaisie orchestrale truffée d’airs de Noël et d’airs québécois familiers.

Dans l’ensemble, l’Orchestre symphonique de Laval a livré une performance solide, chaleureuse, menée par un chef à la gestique ample, précis dans ses indications et calculé en ce qui a trait aux caractères et dynamiques. Immanquablement, le public est sorti du concert avec un excellent aperçu du temps des fêtes, avec des mélodies plein la tête.

crédit photo : Gabriel Fournier

OSM | Pini di Roma et magie à 360 degrés 

par Judith Hamel

Mardi soir, l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) s’est produit à la Maison Symphonique sous le signe des « Festivités en chants et musiques ». Une soirée pensée pour souligner à la fois le temps des fêtes et le 100e anniversaire de Pini di Roma de Respighi. La scène s’est parée d’une ambiance festive avec une couronne de Noël et de quelques chapeaux et décorations que l’on pouvait remarquer sur les volutes des contrebasses et de l’octobasse. 

Avant le début du concert, le public a été invité à une répétition éclair avec Simon Rivard pour préparer la prestation chorale de haute voltige. Une mise en bouche qui a instauré l’ambiance festive et interactive de la soirée.

Les cuivres, postés sur la mezzanine, ouvrent le programme avec Canzone XVI a 12 de Gabrieli. Le public est ensuite invité à se lever pour interpréter Mon beau Sapin et Jingle Bells. Un moment de grande musique ! Sans blague, malgré l’interprétation approximative, l’effet d’un chant collectif nous plonge inévitablement dans la convivialité des fêtes. 

C’est avec beaucoup de légèreté que l’orchestre et le chœur ont joué une suite de La fille de Neige de Rimsky-Korsakov. Ce concert participatif semble avoir eu un effet positif sur les musicien·nes, mais aussi, comme effet collatéral, sur le public qui était très bruyant ce soir. Une symphonie de bébés bavards et de toussotements que l’on connaît bien audible dans l’acoustique de la Maison Symphonique. 

Quelques minutes plus tard, on se relève pour interpréter le sautillant Il est né le divin enfant et un Good King Wenceslas à la prononciation du vieil anglais que l’auditoire a su massacrer avec enthousiasme. L’orchestre nous libère un instant pour interpréter « Le rossignol » dans Les oiseaux de Respighi, une introduction aux chants d’oiseaux qui suivront dans l’œuvre finale du concert.

On n’aura pas beaucoup entendu le chœur de l’OSM lors de cette soirée, mais leur interprétation de Tu descends des étoiles de Alfonso Maria di Liguori nous a montré leur maîtrise vocale et nous a offert un doux moment a capella. Mention spéciale aussi à la contribution des fameuses nouvelles cloches de l’OSM dans La Petite Hirondelle (Carol of the Bells)


À peine ces pièces jouées, qu’on se relève pour la troisième et dernière fois pour chanter Les anges dans nos campagnes et une version bilingue de Douce nuit ponctuée de canons involontaires du chœur en formation. Certes, ce nouveau chœur ad hoc n’a pas livré la prestation du siècle, mais on peut souligner l’effort de petits et grands et surtout le plaisir que tous·tes ont pris à s’époumoner dans la Maison Symphonique. 

La soirée se clôt avec l’œuvre qui tissait le programme du concert : Pini di Roma de Ottorino Respighi. Pour célébrer son centième anniversaire de création, les musicien·nes semblaient s’amuser autant que le public, surtout dans le premier mouvement évoquant des jeux d’enfants. 

Le troisième mouvement nous fait enfin entendre ce fameux rossignol qui a su captiver l’oreille volatile du public. Plutôt que l’enregistrement original qu’utilisait Respighi, nous avons entendu la création de Michel Léonard composée de sons d’oiseaux extraits d’enregistrements des œuvres d’orgues d’Olivier Messiaen. Pour clore en grand ce concert, six cuivres se sont ajoutés à la mezzanine pour entonner le triomphant quatrième mouvement et nous envoyer un puissant son spatialisé entre le parterre et la mezzanine. 

Au final, pour un concert du temps des fêtes qui peut parfois représenter un défi de programmation, entre un choix de répertoire trop populaire ou un énième Messie d’Haendel, ce concert a su être familial tout en intégrant des œuvres intéressantes qui permettent de démontrer les qualités musicales de l’orchestre.

crédit photo : Antoine Saito 

classique occidental / musique contemporaine

Dans le silence de la Nuit, la parole de Molinari

par Alexandre Villemaire

« Sombre, épuré et assuré de nous faire oublier les cantiques traditionnels de Noël. » C’est en ces termes, avec un brin d’ironie et d’humour, que la directrice artistique et premier violon du Quatuor Molinari a dressé l’esthétique du dernier programme de l’ensemble montréalais qui avait lieu à la salle de concert du Conservatoire de musique de Montréal avant les fêtes. Intitulé Nocturnes, ce concert n’était pas « la belle nuit de Noël » dans son sens le plus angélique, mais une évocation du caractère multiforme de la nuit, qui peut être à la fois douce et calme, mais aussi troublée et tourmentée. En introduction, Olga Razenhofer, Antoine Bareil (violons), Frédéric Lambert (alto) et Pierre-Alain Bouvrette (violoncelle) ont interprété deux extraits, soit le troisième et le cinquième mouvement du cycle Aus der Ferne de György Kurtág et Notturno de Luciano Berio. Les quatre comparses musiciens ont livré une interprétation investie avec aplomb et grande musicalité dans un univers musical aux dynamiques contrastantes et introspectives.

Dans Aus der Ferne – qui signifie « du lointain » en allemand –, les lignes musicales dépouillées et l’esthétique sobre des deux mouvements nous laissent dans un sentiment de suspension dans le temps alors que les sons nous parviennent comme des échos émanant du silence. Aus der ferne III est soutenu par le violoncelle qui martèle une pédale jouée en pizzicato dolce, autour de laquelle s’articule des traits aux cordes dans l’aigu et le médium de l’instrument, créant ainsi un état de flottement. Aus der ferne V porte le sous-titre Alfred Schlee, in memoriam. Composé par Kurtág quelques semaines après la mort de celui qui était le directeur des éditions Universal à Vienne et qui a notamment protégé des mains des nazis plusieurs grandes œuvres, ce court mouvement reprend le même écrin illustré précédemment avec la pulsation du violoncelle que les violons complètent par des interventions déchirantes et tendues avant qu’un fortissimo dissonant entonné par les quatre instrumentistes émerge de ce ton monotone, comme pour représenter le caractère tragique de la mort de Schlee.

Pièce centrale de la première partie, Notturno de Luciano Berio est une œuvre qui joue sur la dynamique du silence.  Berio disait lui-même : « Notturno […] il est silencieux, parce qu’il est fait de non-dits et de discours incomplets. Il est silencieux même lorsqu’il est bruyant, car la forme elle-même est silencieuse et non argumentative. » Ces discours incomplets, ces phrases fragmentées illustrent un discours qui se déploie constamment en allant de l’avant et qui évolue sans cesse. La dimension éclatée du discours musical est apparente et s’articule entre des moments d’une certaine sérénité et des interventions mordantes et dynamiques. Dans sa forme en apparence très ouverte, chaque instrument, chaque son et texture que ceux-ci créent ont leur importance. Et, dans ce qui peut sembler être une désorganisation, tout est calculé à la milliseconde près et rendu avec justesse et précision par les membres de Molinari.

Dernière œuvre du concert, le Quatuor no 6 de Bartók est un des sommets du répertoire du quatuor à cordes. Œuvre poignante composée vers la fin des années 30, alors que l’occupation nazie de la Hongrie commence, son caractère anxiogène et désespéré est palpable. Elle est traversée par un thème triste (Mesto) qui est réitéré sous différentes formes à travers les quatre mouvements telle une idée fixe. Dans le deuxième mouvement, le caractère martial tranche par son ironie avec le caractère sombre du thème principal. Peu à peu, la marche se transforme, se déforme, perd sa stabilité et son identité et entre dans une section rubato où le violoncelle entonne une mélodie folklorique pendant que les trois instruments poursuivent le thème de la marche, imperturbable. Le mouvement suivant reprend le caractère folklorique du précédent par une danse burlesque aux rythmes irréguliers. La pièce se conclut par le retour de la ritournelle qui envahit l’ensemble de l’instrumentarium du quatrième mouvement dans une des pages les plus intimistes du compositeur, où les nuances des instruments sont poussées dans leurs extrêmes douceurs avant de s’évanouir.

Fait rare pour un concert du Molinari, les musiciens ont offert au public un rappel avec humour: la version de Stille Nacht d’Alfred Schnittke, arrangée pour quatuor à cordes par Antoine Bareil. Le caractère ludique de cette prestation parsemé de dissonances savoureuses tranchait avec l’univers dramatique dans lequel nous évoluions depuis le début de la soirée et a apporté une certaine légèreté qui accompagnait la fin de ce programme nocturne magistral.

Au final, il n’y a qu’une seule chose sur laquelle on nous a menti : nous sommes immanquablement repartis en fredonnant « Ô, nuit de paix » !

Des nouveautés au Bar Le Ritz

par Vanessa Barron

Samedi dernier, je me suis retrouvée au Bar le Ritz pour assister à un concert de cinq groupes locaux, allant du power-pop au jazz-punk en passant par l’emo et le noise. Tout au long de la soirée, j’ai retrouvé des amis, des visages familiers et, surtout, de nouveaux groupes favoris. En voici les grandes lignes.

Photos de Amir Bakarov

Fresh Wax

Le groupe le plus marquant de la soirée était Fresh Wax, un duo basse-guitare-batterie qui a débarqué avec des lunettes de soleil de malade et une énergie détonante qui a fait trembler la peinture des planches de couleur primaire sur les murs du Ritz. Ils ont déchiré les riffs les plus fous dans des signatures temporelles hors du commun et se sont relayés au chant, hurlant des lignes percutantes que je n’ai pas comprises et qui, honnêtement, n’avaient pas besoin de l’être. La technique et la ferveur de ces deux gars étaient dignes d’un musicien de jazz professionnel. J’ai entendu dire que leurs concerts étaient encore plus fous dans les petites salles, alors je les reverrai à coup sûr.

Gondola

Gondola a été un plaisir comme toujours, car je dois avouer que je les ai vus au moins cinq autres fois cette année. Ce groupe indie-pop de quatre membres a offert une gamme complète de dynamiques et de solos complémentaires, en maintenant une cohésion serrée équilibrée par des moments d’improvisation débridée. Lyle, au chant, était vraiment à fond ce soir-là. Sa voix de baryton a porté des paroles mélancoliques avec force, évoquant l’amertume d’un chagrin d’amour avec une pointe de défi. Mon morceau préféré de la soirée était une chanson plus récente inspirée de l’émission de télé-réalité MILF Manor, intitulée « Moment I’d Like to Forget ». Je n’ai pas encore analysé ces paroles d’un point de vue freudien, mais la mélodie est accrocheuse!

Wakelee

J’ai été agréablement surpris de constater que j’ai vraiment vibré avec le set de Wakelee. En général, je suis sceptique à l’égard de la musique emo produite à Brooklyn en l’an 2024 (s’ils venaient d’un foyer culturel comme la Pennsylvanie centrale ou l’Ohio, j’aurais peut-être moins de préjugés…), mais ce set était serré, bien équilibré, et m’a totalement conquis. J’ai particulièrement aimé la façon dont les chœurs du guitariste basse s’intègrent à la mélodie principale. Ces voix en deux parties et l’affectation emo incomparable du chanteur m’ont rappelé la ballade classique de Blink-182 « I Miss You ». J’ai depuis réécouté leur single « mildlyinteresting », qui capture succinctement le pathos des demandes de conseils sur Reddit, confessant dans son refrain accrocheur que « chaque question que j’ai, je la poste sur Internet ».

Room

J’aurais aimé voir davantage le groupe d’ouverture, Room, qui avait le chant puissant et l’énergie rayonnante du bubblegum rock de groupes comme Beach Bunny et Remember Sports. J’ai attrapé deux de leurs chansons, probablement la musique la plus joyeuse d’un groupe qui avait par ailleurs un ton doomer.

Enfin, je me dois de féliciter la tête d’affiche Evergreen. Le noise-punk n’est pas ma spécialité, et mes oreilles n’ont pas réussi à trouver des accords, des mélodies ou des paroles à commenter. Par contre, j’ai vu des moshers à l’avant s’amuser comme des fous, et c’est ce qui compte.

classique persan

Au Centre des musiciens du monde : ravissement persan avec Kayhan Kalhor

par Frédéric Cardin

Hier soir au Centre des musiciens du monde de Montréal, ce sont près de 90 minutes ininterrompues de musique sublime que nous avons entendues, interprétées par l’un des plus grands musiciens au monde, Kayhan Kalhor, maître du kamancheh. Je ne parle pas ici uniquement de son statut au sein de la musique classique persane, pour laquelle il est certainement LE musicien de son époque, et peut-être même de toutes les époques, mais bien de son génie comme artiste musical, tous genres confondus. Kalhor est un virtuose et interprète dans une classe à part.

Hier, il était sur scène pour donner le dernier concert d’une vaste tournée internationale pour le programme intitulé Chants d’espoir. Il était entouré des Montréalais Kiya Tabassian au setar et Hamin Honari au tombak ainsi que de son compatriote Hadi Hosseini au chant. 

Concert de Paris (sans Hadi Hosseini) : 

Un tour de force artistique ou l’improvisation instrumentale côtoie naturellement la poésie classique persane (celle de Saadi, qui a vécu au 13e siècle) rendue avec brio par Hosseini, l’une des voix les plus affirmées et accomplies du chant classique persan. De longues mélopées savamment ornementées ont échangé avec les commentaires des instrumentistes, enchaînant épisodes contemplatifs et introspectifs, avec d’autres plus énergiques et mouvementés. Les airs qui se sont imbriqués les uns dans les autres sans aucune pause, provenaient en partie du répertoire savant mais surtout de la spontanéité des musiciens sur scènes, tous remarquables improvisateurs. Un concert qui affichait complet, investi en grande partie par de nombreux membres de la communauté iranienne, mais pas que. Un public très attentif et respectueux duquel je n’ai entendu aucune sonnerie inopinée de téléphone! Le public de l’OSM et de l’OM devrait en tirer quelques leçons…

Concert au centre des musiciens du Monde à Montréal : 

 

Montréal se doit d’être fière de ce genre d’événement car c’est un peu grâce à elle qu’il peut exister. Kiya Tabassian, de l’ensemble Constantinople, est un ancien élève de Kalhor, qui a lui-même vécu un temps tout près de la métropole (il a d’ailleurs un passeport canadien en plus de l’iranien), et Hamin Honari est déménagé de Vancouver pour pouvoir profiter des opportunités artistiques offertes ici. Et au milieu de tout cela, le Centre des musiciens du monde, qui continue d’impressionner par la qualité de ses projets et l’influence grandissante qu’il exerce sur la scène des musiques savantes non-occidentales, participant activement à construire la réputation de Montréal comme l’une des meilleures villes pour les musiques du monde en Occident, peut-être la meilleure en Amérique. 

DÈS JANVIER AU CENTRE DES MUSICIENS DU MONDE : UNE NOUVELLE SÉRIE DE CONCERTS TRÈS INTIMES, UN MERCREDI PAR MOIS. DÉTAILS À VENIR SUR LE SITE DE L’ORGANISME.

musique contemporaine

Émanants (Ensembles ILÉA & Bakarlari) – Composer pour l’espace; spatialiser avec l’auditoire 

par Laurent Bellemare

Vous vous promenez dans les couloirs de la Chapelle Cité-des-Hospitalières, entre les drones graves des synthétiseurs modulaires et les bruits de clés des instruments à vent. Les interprètes habitent totalement l’espace, en mouvement ou juchés au troisième étage. Les sonorités acoustiques des instruments traditionnels s’y confondent parfaitement avec celles des instruments amplifiés et électroniques. Par votre trajectoire, vous complétez la spatialisation de cet espace sonore plein et conçu pour le lieu. De quoi raviver la flamme du happening en musique contemporaine.

Dernière d’une série de quatre représentations, le spectacle Émanants présenté par les ensembles ILÉA et Bakarlari, en partenariat avec Innovations en concert, exemplifiait élégamment le type de proposition qui ne se capture qu’en présentiel. Ces deux ensembles chevronnés en improvisation ont constitué un programme d’environ 1h15 où le jeu collectif spontané et les pièces pour solistes se succédaient, selon une progression cohérente. Pour la plupart, ces transitions se sont faites de façon très fluide, brouillant les débuts et les fins de pièces. 

À son meilleur, cette fluidité créait un réel continuum sonore, particulièrement frappant entre la cinquième improvisation et la pièce Une musique soluble dans l’air, interprétée à l’orgue par Gabrielle Harnois-Blouin. Très envoûtante, cette composition de Kevin Gironnay construisait, variait, puis déconstruisait de belles harmonies statiques rappelant la musique d’une Ellen Arkbro. C’est également dans un tel statisme que se déployaient bon nombre de ces compositions imaginées pour le lieu. Pensons à Corps suspendu / Ballet for Past Skin de Kim Farris-Manning, interprétée par la clarinettiste basse Charlotte Layec. Cette œuvre faisait notamment usage de boucles activées par un looper et par-dessus lesquelles des contre-mélodies produisaient un effet de lamentation. À certains moments, ce qui semblait être d’un regain d’amplification et de distorsion de l’instrument  enrichissait la palette de timbres, tout comme les interventions chantées et déclamatoires. 

En contraste, une œuvre comme Ruderalia, écrite par Olivier St-Pierre pour la trompettiste Émilie Fortin, était beaucoup plus éparse dans ses articulations et faisait bon usage du silence. La pièce exposait par ailleurs de nombreuses techniques étendues, interprétées avec dynamisme et virtuosité. Mentionnons aussi le grondement massif de basses fréquences qu’était  Insightful, Instructive, Geometrically Satisfying! d’Andrew Noseworthy. 

Interprétée aux synthétiseurs modulaires par Pierre-Luc Lecours, cette pièce a immédiatement mené le public à se déplacer pour recevoir de plein fouet toutes ces vibrations selon divers points d’écoute. Si cette œuvre a fait entrer la chapelle entière en vibration, sa transition avec l’improvisation suivante est toutefois tombée un peu à plat. Plus tard, un “Remix” de cette même œuvre est venu installer un dialogue entre le tromboniste Kalun Leung et les résonances naturelles de la chapelle, dans un langage passant aisément de la rugosité au lyrisme.

Pour leur part, les sept improvisations ont su captiver l’attention d’une manière ou d’une autre. Entre les qualités spectrales du quatrième segment, qu’on aurait pu confondre avec une œuvre de Gérard Grisey ou de Tristan Murail, et les harmonies lumineuses de Bakarlari sur le cinquième, la plupart des textures que l’on aurait pu souhaiter d’une musique si contemplative ont été exploitées. On a également eu droit à une montée progressive en intensité dans la deuxième improvisation, alors que tous passaient d’une certaine quiétude à des sonorités instrumentales plus hurlantes. C’est également sur un moment de création spontanée que le concert s’est terminé, dans une sorte de transfert d’énergie d’un interprète à l’autre, réexposant une dernière fois les qualités de solistes de chacun avant de s’éteindre sur une improvisation vocale qu’on aurait voulu plus longue.

Alors qu’on accepte de facto le décorum classique et les programmes décousus dans le monde des musiques nouvelles, c’est un événement comme Émanants, entièrement sculpté pour un lieu et selon un récit expressif réfléchi, qui justifie réellement de se déplacer pour entendre de la musique contemporaine en direct.

classique occidental

Justin Saulnier remporte le Prix du violon d’or 2024-2025

par Alexandre Villemaire

Au terme d’une compétition relevée, c’est le violoniste ottavien Justin Saulnier qui a remporté le Prix du violon d’or 2024-2025. Le jeune interprète de dix-neuf ans se voit ainsi décerner un prix en argent d’une valeur de 30 000$, ainsi qu’une prestation de concert dans le cadre de la série Schulich@Bon-Pasteur qui se tiendra le 26 février 2025 au Centre canadien d’architecture. Le deuxième prix est revenu à Joey Machin, qui se voit attribuer une bourse de 15 000$. Jueun Lee ferme la marche de cette édition du Prix du violon d’or en repartant avec un prix en argent de 5000$.

Devant une salle Tanna Schulich bien garnie, Justin Saulnier a livré un programme techniquement habile et empreint d’une musicalité sans faille. En ouverture de son programme, il a interprété les Trois romances de Robert Schumann. Dans chacune des pièces, il a insufflé un caractère différent avec doigté, tandis que dans la Sonate pour violon seul d’Ysaÿe, il a illustré sa maîtrise technique dans un élan virtuose où les traits violonistiques étaient d’une grande précision.

Mais la portion centrale de son programme dédiée à la Sonate pour violon n1 d’Alfred Schnittke, une œuvre complexe mettant en valeur une multitude de techniques de jeu, tant au violon qu’au piano, a été le moment fort de sa prestation. Cette œuvre était un choix judicieux et à son avantage. À l’image de son programme de demi-finale, Saulnier a été le seul à proposer une œuvre résolument ancrée dans le langage du XXe siècle – l’autre exception étant la Fantaisie pour violon seul d’Ellen Taafe Zwilich interprétée par Jueun Lee. Ce changement de caractère était plus que bienvenu dans un programme de soirée qui était sinon pétri de l’univers tonal du XIXe siècle. Comparé à ses collègues, Saulnier est celui qui a présenté le programme le plus varié et le plus versatile au niveau du style et de la technique.

Jueun Lee s’est présentée sur scène en interprétant la Fantaisie de Zwilich, la Sonate pour violon no 1 de Fauré et Tzigane de Ravel. Lee a présenté son répertoire avec la même vigueur qui a caractérisé son passage en demi-finale. Elle a fait montre d’un aplomb virtuose à bien des égards, notamment dans les œuvres de Zwilich et Ravel. L’intensité de ses interprétations a cependant, par moment, pris le pas sur sa virtuosité. Le jeu de timbre et de texture, ainsi que l’exposition des traits idiomatiques présents dans la pièce de Ravel, était bien présent, mais inégal, notamment dans les passages extrêmement véloces ou dans les changements de technique de jeu. La grande œuvre instrumentale de son programme, la sonate de Fauré qui oscillait entre mélancolie et intensité, a été exécutée avec zèle, mais manquait d’éclat dans l’expression de ce curieux langage harmonique.

Succédant à Jueun Lee, Joey Machin a interprété les Cinq mélodies de Prokofiev, Souvenir de Moscou d’Henryk Wieiniawsky et les troisième et quatrième de la Sonate pour violon de César Franck. Il est lui aussi demeuré dans une certaine continuation de son programme de demi-finale en offrant une performance raffinée et claire. Les mélodies de Prokofiev ont été exposées avec un son égal et stable de même que la sonate de Franck. Son jeu et sa maitrise des dynamiques ont été démontrés dans la pièce de Wieiniawsky, où il a fait ressortir avec beaucoup de justesse et de style les éléments folkloriques qui parcourent l’œuvre. Une performance qui a tout de même été émaillée de quelques accrocs mineurs à la fin dans les passages aigus marqués più vivo.

Le jury qui a évalué les épreuves de demi-finales et de finales était composé d’Andrée Azar, de Carole Sirois, de Joshua Peters, de David Stewart et de Jonathan Crow. Le professeur André Roy agissait à titre de président non votant. Les finalistes étaient accompagnés au piano respectivement par Gaspard Tanguay-Labrosse, Itamar Prag, Félix Marquis et Veola Sun.

crédit photo : Tam Lan Truong

baroque / chant choral / chant lyrique / classique occidental

Les Violons du Roy et La Chapelle de Québec | Brillant Messie!

par Mona Boulay

QUÉBEC

Pour commémorer leurs quarante années d’existence, les Violons du Roy proposent une série de concerts exceptionnels, dont celui qui suit : Le Messie de Handel avec Bernard Labadie. 

Dans un premier temps, on ne peut que souligner l’impact visuel d’un tel ensemble sur la scène du Palais Montcalm : un orchestre de chambre baroque avec au centre un théorbe qui attire l’œil, en arrière duquel performent et patientent les solistes, le tout surplombé du chœur de La Chapelle de Québec, trente chanteur·euse·s disposé·e·s harmonieusement en demi-cercle autour de la scène. La vue est grandiose, digne du célèbre oratorio que l’on va nous donner à entendre.

Le chef d’orchestre Bernard Labadie, fondateur des Violons du Roy, revient prendre sa place le temps du concert, chaise qu’il a laissée depuis 2014 à Jonathan Cohen. C’est sous son impulsion que débute notre concert, avec une ouverture instrumentale parfaitement exécutée. On poursuit tout de suite avec un premier soliste, le ténor Andrew Haji, qui dès les premières notes de Comfort Ye, nous captive. Le chanteur manie les nuances avec une grande virtuosité et ne cherche pas la surenchère : ses notes tenues sans vibrato sont un véritable régal pour nos oreilles, autant que ses mélismes tout à fait maitrisés. Le chœur intervient ensuite pour sa première apparition avec And the glory of the Lord et sa puissance est frappante : quel impact ! Le groupe semble ne former qu’une seule voix angélique, la pureté des sopranos est mêlée à la profondeur des basses aisément, le mélange des timbres s est total. Et déjà, nous entendons Thus saith the Lord, premier solo de la basse William Thomas, jeune chanteur britannique promis à une grande carrière. En contraste intervient par la suite le contre-ténor Iestyn Davies dans But who made abide, impressionnante performance soutenue par l’orchestre de chambre, notamment avec ses prestissimo, véloces et précis. L’oratorio se poursuit et nous pouvons enfin entendre Liv Redpath, soprano. Son entrée est peut-être moins remarquable dans un premier temps que celle des autres solistes, avec un jeu dans les nuances qui semble d’abord restreint, malgré une précision vocale impressionnante. On dirait que les premières interventions manquent un peu de vie.

Le Messie se déroule tout au long de la soirée, ponctué par des moments forts (comment ne pas frissonner pendant l’Hallelujah clôturant la deuxième partie ?), mais aussi parfois par quelques longueurs. À titre d’exemple, nommons He was despised, long solo du contre-ténor qui n’en finit pas. Est-ce Handel qui a eu la main trop lourde ou bien l’interprétation qui manquait de direction, je ne saurais dire, mais le temps sembla plus long pendant cet air). Il se termine en beauté avec le « Amen », profusion de joie intense, parfaitement exécuté.

Le concert est rendu brillant par l’ensemble instrumental qui aura eu l’occasion tout le long du concert de nous donner à entendre sa grande capacité de contraste, toujours maniée dans l’élégance et la pureté propres à la musique baroque. Pas une seule fois une note est trop appuyée, pas une seule fois on tombe dans le trop. Une fois n’est pas coutume : Les Violons du Roy excellent dans la subtilité. Les solistes sont chacun remarquables, malgré́ les critiques énoncées plus haut, on est conscient d’entendre une certaine élite du chant lyrique. Le chœur de La Chapelle de Québec est excellent dans son rôle, et ne nous déçoit pas une seule fois : ses interventions sont toujours un moment de grand plaisir. Une soirée dans l’ensemble réussie, et même plutôt avec brio.

crédit photo : David Mendoza Hélaine

Le Messie de Handel avec Les Violons du Roy et Bernard Labadie sera présenté à la Maison symphonique de Montréal le samedi 14 décembre à 19h30. Pour vous procurer des billets, c’est ici

classique occidental

Prix du violon d’or 2024-2025 | Les finalistes dévoilés

par Alexandre Villemaire

Alors que la pluie, le vent et le froid s’abattaient dans la soirée du 11 décembre, une petite foule s’était amassée, bravant les intempéries pour venir entendre et voir se déployer le jeu instrumental des six demi-finalistes de cette édition du Prix du violon d’or.

Au terme de la ronde de demi-finale, ce sont les violonistes Jueun Lee, Joey Manchin et Justin Saulnier qui ont été recommandés par le jury pour passer à l’ultime ronde qui se déroulera le vendredi 13 décembre.

Leurs performances ont respectivement mis en relief des qualités de jeu, d’interprétation et de maîtrise technique dans des programmes diversifiés aux dynamiques contrastantes. Originaire de la Corée du Sud, Jueun Lee, accompagnée au piano par Itamar Prag, a entraîné l’auditoire dans l’univers étincelant de Mozart avec la Sonate pour violon et piano n22 et dans le monde folklorique d’Edvard Grieg avec la Sonate pour violon no 2 en sol majeur. En plus d’un son clair et d’une articulation précise, c’est la présence scénique et l’énergie de la jeune interprète de même que la complicité apparente avec son pianiste qui a capté l’attention.

Joey Manchin a offert une interprétation sentie et soignée du deuxième mouvement de la Sonate pour piano n2 en la majeur de Beethoven, de la Sonate pour violon seul n2 de Paul Hindemith et des deux premiers mouvements de la Sonate en la majeur de César Franck. Le dialogue intimiste entre le piano et le violon dans l’œuvre de Beethoven a mis en valeur une pureté de son et une clarté des lignes que s’échangent les deux instrumentistes. Plongeant l’auditoire dans une esthétique complètement différente, la sonate de Hindemith était truffée de lignes chromatiques et de différentes techniques de jeu dont Manchin a su faire la démonstration. Dans la sonate de Franck, accompagnée par Veola Sun, il a exprimé dans les sonorités vaporeuses de l’œuvre un contrôle franc des différentes dynamiques, passant de lignes langoureuses à des passages animés et vifs.

Justin Saulnier a quant à lui brillé en mettant de l’avant des lignes pures et un discours musical limpide dans la Sonatine en ré majeur de Schubert, alors que le court Caprice no 17 en mi bémol majeur de Paganini, avec ses traits violonistiques véloces, a mis en valeur sa maîtrise technique. Il a par ailleurs été le seul des demi-finalistes qui proposait dans son programme deux pièces de compositeur·ices contemporain, soit la pièce Chant d’Ana Sokolovic et le troisième de la Sonate pour violon et piano du compositeur et chef d’orchestre Dinuk Wijeratne. La présentation de ce type de répertoire, aux antipodes de la majorité des œuvres que nous avons entendues durant la soirée, a apporté une dose de variété bienvenue en plus de démontrer les capacités de Saulnier dans ce type de langage et de discours musical où il était appuyé par Gaspard Tanguay-Labrosse.

Les trois compétiteurs qui n’ont pas été retenus n’ont pas à rougir de leur performance. L’altiste Alexander Beggs nous a fait forte impression avec un son chaleureux, boisé et d’une grande stabilité. Son programme, composé du Divertimento en ré majeur de Franz Joseph Haydn – dans un arrangement de Gregor Piatigorsky –, et de la Sonate pour alto et piano de Rebecca Clarke, est celui qui était esthétiquement le plus introspectif. Cela a permis de mettre en valeur sa musicalité, mais lui a peut-être desservi au niveau de la virtuosité et des contrastes. La violoniste américano-japonaise Satoka Abo a misé sur un programme où primait la virtuosité technique. Ses prestations de la Sonatensatz de Brahms et de la Carmen-Fantaisie de Franz Waxman ont été des moments de hautes voltiges, mais qui à quelques endroits manquaient de précision. Le pétillant premier mouvement de la Sonate en si bémol majeur de Mozart et la chaleureuse Romance d’Amy Beach ont apporté contrastes et apaisement à son programme explosif. Finalement, le violoncelliste François Lamontagne a offert une performance contrastante avec un extrait de la Sonate pour violoncelle n3 de Beethoven et de la Suite pour violoncelle seul de Gaspar Cassado, qui était d’une belle intensité, mais qui aurait pu être davantage dansante.

La finale du Prix du violon d’or 2024-2025 aura lieu le vendredi 13 décembre à 19h à la salle Tanna Schulich.

ENTRÉE LIBRE

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Dans le labyrinthe Mothland avec Yoo Doo Right + Victime + We Owe

par Lyle Hendriks

Il n’y a pas de fête comme celle de Mothland. Avec une mer de spectateurs vêtus de noir, de la bière de merde qui coule à flot et un buzz industriel, c’est une scène familière qui s’offre à nous au Théâtre Plaza pour la sortie du double album de Victime et Yoo Doo Right.

Tout d’abord, nous avons assisté au tout premier concert de We Owe, le projet solo de Christopher Pravdica (Swans, Xiu Xiu). Armé de sa basse et soutenu par Brian Chase (Yeah Yeah Yeahs) à la batterie, Pravdica s’est lancé dans un pot-pourri de bruits industriels induisant la transe, comme si un équipement d’excavation lourd était retourné pour la première fois depuis des décennies.

Avec une sorte d’effet qui double sa basse, We Owe sonne comme le travail de bien plus qu’un duo, les deux maniant habilement leur instrument avec une aisance ludique satisfaisante. Chaque virtuose du grincement semble avoir des parties plus composites les unes que les autres, comme une tour de Jenga sonore de plus en plus haute qui, contre toute attente, se tient toujours debout à la fin. Pour les amateurs d’instrumentaux aventureux et hypnotiques, le deuxième concert de We Owe (quand il aura lieu) ne manquera pas de plaire.

Victime, qui a présenté son plus récent album, En conversation avec (2024), était également de la partie. Il y a une urgence dans ce trio power-rock post-tout qui frise parfois la douleur, la chanteuse Laurence Gauthier-Brown se dédoublant souvent en délivrant des proclamations grondantes et des climax catalytiques. Libre, agressif et incroyablement abstrait, le son de Victime vous fait grimper dans la colonne vertébrale avec ses basses inquiétantes, ses guitares stridentes et ses percussions frénétiques et imprévisibles. C’est un son qui nie la commodité du drame, insistant sur sa propre tapisserie compliquée d’influence qui semble impossible à analyser. S’il semble que j’essaie d’expliquer le son de Victime, c’est parce que c’est le cas. Si vous aimez la rugosité, Victime est plus qu’heureux de vous satisfaire.

Enfin, c’était l’heure des chouchous montréalais Yoo Doo Right, dont le son a été devancé par leur installation scénique tout à fait ridicule, composée de piles d’amplis imposantes. En regardant chaque ampli s’allumer, j’ai enfoncé mes bouchons d’oreille et me suis préparé au bruit. Le nouvel album de Yoo Doo Right, From the Heights of Our Pastureland, est tout à fait anxiogène – des respirations rapides et peu profondes qui n’atteignent jamais le fond de vos poumons, laissant vos épaules se soulever et votre cœur s’emballer. Ils traversent changement après changement, ne restant jamais au même endroit assez longtemps pour vous permettre de reprendre pied. La pochette de l’album (une tornade diaboliquement apocalyptique) ne pourrait pas être plus appropriée à la musique. C’est un maelström infernal, des débris et de la poussière qui défilent plus vite que vous ne pouvez les identifier, tandis qu’un grondement grave et effroyable emplit votre corps au-delà de ses limites.

Heureusement pour moi, il y a eu un répit bienvenu vers la fin du concert, lorsque le groupe s’est lancé dans le morceau « Lost in the Overcast », avec une section sombre mais magnifique de deux trompettistes invités (qui ont été complètement noyés par un mur de basse pour le reste de la performance). Ce morceau donne l’impression que les nuages se dissipent, que les rayons du soleil s’approchent prudemment et embrassent les cicatrices que la tempête a laissées derrière elle. C’est magnifique, complexe et contemplatif, et c’est le point culminant de leur set. Après cela, nous avons eu droit à quelques morceaux plus anciens du trio original, qui semblait bien décidé à infliger de graves dommages auditifs à la plus grande partie du monde possible. Malgré mes oreilles qui bourdonnaient, c’était un plaisir de voir Yoo Doo Right faire ce qu’il fallait pour ses fans.

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