L’entrée en matière de la saison 2024-2025 de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) a été une réussite. Un programme d’une grande cohérence stylistique a permis aux différents interprètes de la SMCQ, additionnés des Petits chanteurs du Mont-Royal, de faire rayonner une musique magnifique, contemporaine dans sa rigueur et son exigence, mais parfois romantique dans ses affects suggérés. L’amusante pièce pour chœur Horloge Tais-toi de Kaija Saariaho lançait la soirée dans une version avec piano seulement, et la terminait aussi, dans une version avec orchestre. Comme le titre le laisse deviner, il y a quelque chose de mécanique et ludique dans cette pièce où les tic-tacs insistants de l’objet semblent s’incarner particulièrement bien dans la bouche d’enfants qu’on imagine redouter l’heure du lever pour aller à l’école. Une version de la Maîtrise de Radio France disponible sur YouTube montre une spatialisation élargie du chœur, qui laisse beaucoup de place entre les chanteurs et chanteuses. Ce n’était pas le cas hier, les Petits chanteurs étant regroupés de façon traditionnelle, en groupe serré. J’aurais aimé entendre le résultat avec la disposition des Français. Je pense que l’effet des tic-tacs doit être plus impressionnant.
Suivait une autre pièce de Saariaho, Lichtbogen, inspirée directement des aurores boréales. Si vous imaginez un tant soit peu le genre de musique qui pourrait émaner de ces ondulations colorées hypnotisantes, il y a de fortes chances que cela sonne comme Lichtbogen. Un orchestre de chambre étoffé fait naître un kaléidoscope sonore d’abstraction luminescente et scintillante d’autant plus agréable qu’il est chaleureux. Les projections d’authentiques aurores boréales ont ajouté une magie visuelle entièrement appropriée.
Je ne savais pas à quoi m’attendre du jeune compositeur Hans Martin, qui m’était inconnu jusqu’à hier. J’avouerai avoir été agréablement séduit par sa proposition musicale pour chœur (encore les Petits chanteurs) et orchestre, intitulée Stance et appuyée sur un texte du poète de la Renaissance Claude de Pontoux. Le poème traite du passage du temps qui détruit tout, sauf, apparemment, le caractère de la personne visée (la bien-aimée?). Ce qui frappe surtout c’est la rondeur sonore dessinée par Martin, qui se gorge d’une tonalité charnue mais fuyante car une fois sa plénitude atteinte, elle est parcourue de frissons dissonants qui l’invitent à s’échapper plus haut dans la gamme. Mais celle-ci est toujours rattrapée, dans une course poursuite lente et soutenue. C’est franchement très beau et j’aurai beaucoup de plaisir à la réécouter, un jour ou l’autre.
Jardin secret de Saariaho, pour support stéréo et appuyé de projections graphiques, amorçait la deuxième partie du concert avec une expression électronique vaguement impressionniste.
Le morceau de choix de la soirée suivait, soit Arras de la Montréalaise Keiko Devaux, une belle et grande plage de musique mouvante, organique, somptueuse, comme le laisse deviner le titre, qui ramène à la ville du Pas-de-Calais qui fut un haut-lieu de la tapisserie flamande au Moyen-Âge. Telle une commande pour les ducs de Bourgogne du 14e siècle, Devaux tisse un riche entrelacs de motifs et de textures, assemblées dans un canevas général montrant un arrière-plan d’harmonies qui cherchent la consonance. Sur ce panorama, des saillances modernistes viennent camper la partition dans notre 21e siècle. Comme un paysage romantique estival sur lequel une brume voilée se dépose, et qui serait parcourue de frémissements et de percées laissant voir la perspective sous-jacente.
Musicalement, on sait par Devaux elle-même que beaucoup de références personnelles et de souvenirs musicaux sont intégrés à la partition. On sent et on entend dans le soutien harmonique un Romantisme fondamental auquel s’ajoutent des velléités exploratoires contemporaines. La fusion est magnifique et Arras mérite d’être joué en Europe, à Arras même, berceau inspirant de cette musique exceptionnelle.
J’ai dit ailleurs que Devaux est à mon avis l’une des plus stimulantes compositrices de la génération actuelle en Amérique. Je le redis sans hésitation et j’ajouterai que l’Europe est tout à fait à sa portée (en souhaitant qu’elle reste ici pour toujours, cela dit!).
La 59e saison de la SMCQ, si le concert d’hier était un indicateur, sera un bon cru.