Quand la musique a mal : apprendre et répandre la résilience

par Elsa Fortant

Chez Pan M 360 nous nous interrogeons, par l’entremise de notre dossier « Quand la musique a mal », sur la santé de la musique et de ses praticiens. Dans le présent article, notre collaboratrice Elsa Fortant se penche sur la détresse et la résilience dans le milieu de la musique.


Grâce à un sondage réalisé par la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (GMMQ) en 2020, on apprenait que 57 % des musiciennes et musiciens envisageaient de changer d’emploi[1]. Après une deuxième fermeture complète des salles de spectacle, le rideau tombe… et, pour certains, ne se relève jamais, comme nous l’a rappelé la Semaine de la prévention du suicide, qui s’est tenue du 30 janvier au 5 février. À travers la tempête et le désespoir, peut-on identifier des facteurs de résilience? C’est une des questions que se pose Morgane Bertacco, doctorante en neuropsychologie à l’Université de Montréal. Depuis plus d’un an, au sein du programme de recherche « Musique en temps de pandémie au Québec[2] » elle mène une enquête auprès des musiciens québécois. Un projet inédit qui, on l’espère, permettra au milieu culturel et au gouvernement de mieux comprendre les effets de la pandémie sur la santé mentale des artistes.

Le milieu musical est fragile, ça ne date pas d’hier. Or, la crise de la COVID-19 et sa gestion – autrement dit l’arrêt total des activités musicales à deux reprises – ont exacerbé des conditions de travail déjà précaires : mise en danger du modèle de l’économie à la demande ou à la tâche (pige, auto-entrepreneuriat), incertitude de l’emploi et normalisation du travail non payé. On pense par exemple aux vidéos de musiciens confinés qui ont fleuri au début de la pandémie et pour lesquelles les artistes n’ont pas forcément pas été rémunérés.

À ce jour, aucune donnée n’existe au sujet de la santé mentale des musiciens canadiens. Un manque que Morgane Bertacco est bien décidée à combler. La jeune chercheuse, qui étudiait l’anxiété de performance, a complètement changé son sujet de thèse pour s’intéresser à la santé mentale des musiciens face à la pandémie. « Quand j’ai déposé mon projet de thèse, en décembre 2020, la seule documentation qu’on avait sur la COVID-19 était les premières études qui portaient sur la santé mentale de la population en général. On savait que l’anxiété commençait à sérieusement monter, la dépression aussi », explique-t-elle.

Dès 2021, les sondages réalisés par la GMMQ et le rapport au titre évocateur « Pour que les arts demeurent vivants[3] », préparé par la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC) et publié en mars de la même année, nous ont offert un premier aperçu de la gravité de la situation. S’il s’agissait de prendre le pouls du milieu culturel, on a constaté qu’il est faible : grande présence de symptômes dépressifs, détresse psychologique des artistes, pensées suicidaires chez 11 % chez les artistes contre 7 % dans la population québécoise…

La recherche menée par Morgane Bertacco s’intéresse aux musiciens de plus de 18 ans résidant au Québec pendant la pandémie, autant les étudiants que les professionnels en exercice qui répondent à la définition de la GMMQ. Il s’agit d’un questionnaire en ligne qui couvre les thèmes de la dépression, de l’anxiété, du stress, de la résilience et du bien-être. Les 160 réponses obtenues jusqu’ici seront complétées par des entretiens individuels. L’intérêt étant de pouvoir comparer les résultats de l’étude, l’équipe a retenu ceux d’une étude britannique réalisée en 2016 auprès de musiciens professionnels. On y apprenait alors que 71 % des musiciens ont déjà connu des crises d’anxiété et de panique et que 39 % présentaient des troubles dépressifs.

« Comme c’est un sondage en ligne, on n’a pas le droit d’utiliser les outils qu’on utiliserait en clinique ; donc on a pris des questionnaires de dépistage, accessibles à tous », précise la doctorante. « On a le PHQ-9 (Patient Health Questionnaire) pour dépister la possibilité d’un trouble dépressif et le GAD-7 (Generalized Anxiety Disorder) pour dépister un trouble d’anxiété généralisée ».

L’objectif de cette recherche, c’est aussi d’identifier les facteurs de résilience, autrement dit les éléments qui ont permis aux musiciens de tenir le coup et de rebondir. D’ici à ce que les analyses de données soient terminées, il existe une ressource accessible gratuitement publiée par la Commission de la santé mentale du Canada, le « Guide de prise en charge de sa santé mentale pour bâtir sa résilience[4] ». Un rapport intitulé « Innovation et résilience dans le domaine des arts, de la culture et du patrimoine Canada[5] », financé par le gouvernement du Canada, vient tout juste d’être publié. Il s’appuie sur 29 exemples d’artistes et d’organismes qui ont innové pour trouver la résilience durant la pandémie. Cela nous indique qu’on entre en mode solution. On salue par ailleurs la création d’un Fonds de soutien psychosocial administré par la Fondation des artistes, permettant la prise en charge financière de soins de santé psychologique jusqu’à concurrence de 850 $ par personne.

« Je veux pouvoir tirer un vrai bilan solide, avec des recommandations que j’espère réussir à faire monter au gouvernement pour leur dire que, si jamais ça devait revenir, voilà ce qu’ont vécu les musiciens et voilà ce qu’ils auraient aimé qu’on mette en place », conclut l’étudiante. « J’espère réussir à trouver les facteurs de résilience qui ont aidé le plus les musiciens qui ont bien traversé la pandémie, pour pouvoir proposer un programme aux musiciens eux-mêmes, qu’ils et elles puissent se dire que d’autres ont réussi grâce à ça ». Ne perdons pas espoir.

Morgane Bertacco a décidé de rouvrir le sondage pour avoir une photographie de la situation un an plus tard. Pour y participer, il suffit de cliquer sur ce lien en français et en anglais.

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez avez besoin d’aide, composez le 1 866 APPELLE (277-3553), 24 h sur 24 h, 7 jours sur 7.


[1]https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1745981/musiciens-pandemie-precarite-sondage-difficulte-financiere-covid-19, consulté le 8 février 2022.

[2] Programme mené par l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), en collaboration avec l’Université du Québec à Montréal (UQAM), l’International Laboratory for Brain, Music and Sound Research (BRAMS), le Laboratoire de recherche sur la musique, les émotions et la cognition (MUSEC) et HEC Montréal.

[3]https://fncc.csn.qc.ca/wp-content/uploads/2021/03/Rapport-Plaidoyer-pour-que-les-arts-demeurent-vivants-Mars-2021.pdf, consulté le 8 février 2022.

[4]https://mhfa.ca/sites/default/files/mhfa_self-care_resilience_guide_fre.pdf, consulté le 8 février 2022.

[5]https://hillstrategies.com/wp-content/uploads/2022/02/innovation_resilience_rapport_complet2022-1.pdf?fbclid=IwAR0OGvaegmhhRgITA2YQtUeBLk98OHyWgZsx1PsTje1uXllPV2Z712GA77E, consulté le 9 février 2022.

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