Tout comme le prix Polaris, la courte liste PAN M 360 est composée de 10 albums choisis parmi les 40 qui formaient la longue liste Polaris dévoilée le 15 juin dernier. Les albums de cette longue liste, rappelons-le, ont été sélectionnés parmi les 223 soumis. Pour être admissibles au prix Polaris, les œuvres doivent être parues entre le 1er mai 2019 et le 31 mai 2020. Étant donné l’état actuel des choses, l’album gagnant du prix Polaris 2020 sera révélé le 19 octobre par le biais d’un hommage cinématographique spécial et non lors d’un gala comme il est coutume. 201 journalistes, diffuseurs et blogueurs musicaux de partout au pays ont voté pour sélectionner les albums de la longue et de la courte liste. Onze membres de ce jury élargi seront sélectionnés pour faire partie du Grand Jury. Ce Grand Jury déterminera le gagnant ou la gagnante du prix de musique Polaris.
Le prix de musique Polaris offre 50 000 $ à l’artiste ayant créé l’album canadien de l’année, évalué uniquement selon ses mérites artistiques, sans considération pour le genre musical ou les ventes d’albums. De plus, les neuf autres artistes figurant dans la courte liste 2020 recevront 3 000 $.
La courte liste du prix de musique Polaris 2020 est la suivante :
Backxwash – God Has Nothing To Do With This Leave Him Out Of It
Caribou – Suddenly
Junia-T – Studio Monk
Kaytranada – Bubba
nêhiyawak – nipiy
Pantayo – Pantayo
Lido Pimienta – Miss Colombia
Jessie Reyez – Before Love Came To Kill Us
U.S. Girls – Heavy Light
Witch Prophet – DNA Activation
On remarque avec regret qu’aucun artiste francophone ne fait partie de cette courte liste, Corridor et Zen Bamboo, qu’on retrouvait sur la longue liste, n’ont semble-t-il pas fait suffisamment le poids. Sinon, il y a quelques noms qu’on n’attendait pas – Junia-T, Witch Prophet, nêhiyawak – mais pour le reste, disons que c’est sans grande surprise.
De notre côté, nous avons concocté notre courte liste composée d’artistes proposant selon nous une démarche artistique originale, des artistes prometteurs et qui, pour certains, n’ont pas eu toute la reconnaissance qu’ils méritent. Voici donc cette liste idéale, sous forme de dix critiques. Certains seront pour nos choix, d’autres contre.
Et vous, quelle serait votre courte liste idéale ?
Anachnid – Dreamwaver
Pays : Canada
Label : Musique nomade
Genres et styles : trip-hop / trap / house / soul / rap / électronique / ambient / folk
Année : 2020
Installée à Montréal, Anachnid illustre à la fois sa culture autochtone et son urbanité, elle participe de facto à cette renaissance culturelle des Premières-Nations et des peuples du Grand Nord. Elle est cette « femme du ciel qui tombe sur terre », de surcroît une artiste multidisciplinaire aux origines oji-crie et mi’gmaq. Son nom d’artiste désigne l’araignée, dont les huit pattes portent à la fois l’amour, la passion, la bienveillance, mais aussi l’incertitude, la détresse psychologique, l’angoisse, l’étrangeté, le venin… à l’instar de toutes les personnalités complexes peuplant le monde de la création. Des sons de la nature et des instruments traditionnels émaillent ce mélange probant de trip-hop, trap, house, soul, rap, électro ambient ou même folk. Autrice, compositrice, interprète, instrumentiste (flûte), la principale intéressée doit aussi sa facture à Ashlan Phoenix Gray (saxophone, claviers, composition) et Emmanuel Alias (batterie, guitare, claviers, réalisation). Sauf exception, l’objet d’Anachnid n’est pas tant de faire danser que de faire planer, rêver, réfléchir, tergiverser, s’inquiéter, halluciner et puis… atterrir en douceur. (Alain Brunet)
Backxwash – God Has Nothing to Do With This Leave Him Out of It
Pays : Canada (Québec) / Zambie
Label : Grimalkin
Genres et styles : bruitiste / expérimental / hip-hop
Année : 2020
Difficile de rester apolitique à l’écoute d’un album aussi décapant en connaissant l’ampleur des événements qui se déroulent actuellement aux États-Unis et se répercutent un peu partout à travers le monde. La rappeuse montréalaise d’origine zambienne Backxwash met littéralement ses tripes sur la table avec cette nouvelle parution abrasive qui pourrait très bien servir de trame sonore à cette rébellion historique. Sa danse anarchique démarre en trombe avec une introduction construite autour d’un puissant sample de Black Sabbath que nous n’attendions absolument pas. Dès que les premiers mots retentissent, les frissons s’ensuivent. La production est massive et l’assurance avec laquelle elle nous balance ses paroles est désarmante. Lorsque l’extraordinaire Black Magic se fait entendre, nous réalisons qu’il s’agit de la musique la plus crue et frontale de sa jeune discographie.
La rage et l’intensité suintent de toutes parts. Nous sommes traînés dans la boue sous de fortes thématiques comme la foi, la quête identitaire et la réalité d’être une personne noire et queer dans la société actuelle. Monstrueuse, l’efficacité atteint son paroxysme sur Into The Void, pièce phare qui ne vous laissera d’autre choix que de vous époumoner en criant « FUCK » en chœur avec Backxwash. C’est toutefois sur Amen que le dernier clou est enfoncé dans le cercueil avec un flow si brutal que celui-ci donne l’impression de frotter du papier sablé sur vos tympans. De nombreuses collaborations viennent pimenter les dix compositions mais surtout leur offrir une imprévisibilité déconcertante pour un album de moins de 25 minutes. Bien peu d’artistes peuvent se vanter d’avoir progressé de façon aussi notable au cours des deux dernières années, à Montréal, ou ailleurs. (William Paulhus)
Badge Époque Ensemble – Badge Époque Ensemble
Pays : Canada
Label : Telephone Explosion
Genres et styles : funk / jazz-funk / progressif / psychédélique
Année : 2019
Se décrivant comme un groupe funk, Badge Époque Ensemble est bien plus que cela. En fait, il serait difficile de cataloguer ainsi une formation aussi polyvalente. Sur son premier album paru en juin 2019, le combo torontois touche à bien des styles. Rare grooves, jazz, rock psychédélique ou progressif, rien ne semble à son épreuve. Armée d’une flûte, de congas, d’un Clavinet, d’un sitar électrique et de la panoplie d’instruments généralement associés à un groupe funk ou rock, la bande, qui a longtemps accompagné US Girls sur scène, nous emmène dans différents univers, comme dans une trame sonore pour film imaginaire des années 70. Si les sons nous font parfois penser à ceux que Michel Colombier a longtemps utilisés pour illustrer les chansons de Gainsbourg ou que Bertrand Burgalat défend sur plusieurs de ses albums, le groupe, dirigé par Max Turnbull (autrefois sévissant sous le nom de Slim Twig), dévoile avec cet album majoritairement instrumental un talent et un savoir-faire assez exceptionnels. (Patrick Baillargeon)
Cindy Lee – What’s Tonight To Eternity
Pays : Canada
Label : W.25TH
Genres et styles : lo-fi / noise-pop / pop / rock
Année : 2020
Ce quatrième effort de Cindy Lee, le projet mené par l’ex-Women Patrick Flegel, est en quelque sorte l’aboutissement d’années d’exploration et d’idées évoquées sur les précédents albums du groupe. Ici Flegel semble plus en contrôle de sa musique. Les dérives bruitistes sont davantage maîtrisées, l’ensemble mieux orchestré et le niveau de production nettement plus élevé. La douce voix de Flegel, nappée de réverbération, appuyée par une musique juxtaposant ambiances éthérées à des assauts de feedback contrôlés, semble encore plus inquiétante. La sombre mélancolie du groupe de Toronto, son penchant pour le romantisme tragique de la pop Motown ou les productions 60’s de Richard Gottehrer, nous ramène un peu à l’univers de Badalamenti, d’Ela Orleans ou de Suicide, pour vous donner une petite idée. Mais Cindy Lee est bien plus que ce simple amalgame de références ou d’influences; What’s Tonight To Eternity est un disque qu’on découvre toujours un peu plus à chaque écoute, une œuvre riche et touffue, où le chaos s’imbrique à merveille dans la lumière. (Patrick Baillargeon)
Corridor – Junior
Pays : Canada / Québec
Label : Bonsound / Sub Pop
Genres et styles : avant-pop / indie rock
Année : 2019
Pour une très rare fois (depuis Malajube, Karkwa et Chocolat ?), un groupe indie rock issu du Québec français ne souffre d’aucun décalage par rapport à ses contemporains de renommée internationale. Pour une première fois en 33 ans d’existence, le label américain Sub Pop met sous contrat un groupe francophone. Ce n’est pas l’effet du hasard. Ces chapelets de motifs guitaristiques constellés de synthés, ces voix aériennes, ces beats solidement martelés, cette tension entre rugosité rock et placidité harmonique, tout ça relève d’une culture musicale des plus étoffées. L’allégeance de Corridor au rock se fonde sur de multiples référents, puisés dans plusieurs phases historiques du genre (punk, post-punk, psych rock, post-rock, etc.) et extrapolations avant-pop. (Alain Brunet)
Ice Cream – FED UP
Pays : Canada / Québec
Label : indépendant
Genres et styles : électro-punk / synth-pop / art-pop
Année : 2019
Sur ce deuxième effort, Ice Cream nous revient avec un son moins cru que sur le précédent, Love, Ice Cream, paru en 2016. Ici, Amanda Crist (US Girls) et Carlyn Bezic (Slim Twig), qu’on retrouve toutes les deux au sein des abrasifs Darlene Shrugg, balancent entre le givré de la pièce-titre FED UP, au rythme mécanique et aux guitares hurlantes, et le sucré de l’irrésistible brûlot dance-punk Peanut Butter. Entre les deux, le binôme torontois articule une synth-pop proche des ambiances froides de Soft Cell, Magazine et Taxi Girl, ou encore dans un style semblable à l’art-pop de St. Vincent ou à certains des morceaux les plus calmes des étranges Cobra Killer, le tout quelques fois ponctué de petites touches de saxophone. En huit titres, Ice Cream a créé un album habilement structuré, aux couleurs vaguement rétro mais au ton farouchement moderniste et expérimental. (Patrick Baillargeon)
Lido Pimienta – Miss Colombia
Pays : Canada / Colombie
Label : Anti_
Genres et styles : afro-colombien / art-pop / champeta / cumbia / cumbia électro / électronique / latino / pop de chambre
Année : 2020
Cumbia, électro-cumbia, électro, champeta, afro-colombien, art pop, expérimental, voilà autant de sédiments forés par la chanteuse et performeuse canado-colombienne. Lorsque Lido Pimienta nous a conquis en 2016 avec l’excellent album La Papessa, qui lui a d’ailleurs valu le prestigieux prix Polaris, ces variables étaient pour la plupart présentes dans son art composite. Ce n’était pas un feu de paille! L’artiste a mûri au fil des dernières années, elle propose ici un enregistrement supérieur au précédent… C’est dire le paradoxe : Miss Colombia ne gagnera probablement pas le Polaris 2020 mais fera un long chemin sur cette petite planète, bien au-delà de la Transcanadienne. Avec le concert de plusieurs musiciens et du coréalisateur torontois Prince Nifty, Lido Pimienta nous invite à faire le voyage de sa transculture, de l’avant-pop de chambre (avec arrangements pour claviers, cordes, bois et cuivres) à différentes déclinaisons de musiques électroniques, jusqu’à ses sources musicales afro-colombiennes et autochtones. Réalisé entre jungles urbaines (Canada) et tropicales (Colombie), cet opus brillant dépeint une relation amour-haine entre l’artiste et son pays d’origine où l’on cultive les paradoxes extrêmes. Le titre est d’ailleurs inspiré d’une bourde survenue au concours de Miss Univers en 2015 – l’animateur Steve Harvey avait présenté la couronne à Miss Colombie au lieu de la vraie gagnante, Miss Philippines! C’est dire l’ironie et le cynisme au programme, entrelardés d’épisodes plus tendres et plus intimes. Du début à la fin, on y ressent ce destin tragique d’une contrée écartelée jusqu’à récemment par les cartels mafieux et la guérilla stalinienne, et encore aujourd’hui aux prises avec de profondes inégalités sociales, économiques et raciales, sans compter le machisme ambiant. Parfaitement consciente des contrastes extraordinaires inhérents à son pays natal, Lido Pimienta ne manque pas non plus de nous rappeler que la Colombie est aussi un pays merveilleux, sans conteste l’un des plus riches culturellement parmi les trois Amériques. (Alain Brunet)
OBUXUM – Re-Birth
Pays : Canada
Label : Urbnet
Genres et styles : électronique / hip-hop instrumental / Afrique de l’Est
Année : 2019
OBUXUM est le pseudo de Muxubo Mohamed. D’origine somalienne, la DJ, beatmaker et productrice torontoise est non seulement une artiste profondément inspirée par sa culture d’Afrique de l’Est, par le hip-hop instrumental, le R&B, l’électro (house, breakbeat, expérimental, etc.) ou le jazz, mais encore véhicule-t-elle des propos engagés. Ses évocations sont très clairement féministes et anti-racistes, elle promeut de facto la diversité culturelle dans un contexte où le racisme systémique est dénoncé de partout. Elle a lancé Re-Birth en 2019 après avoir sorti H.E.R. l’année précédente, EP de facture relativement similaire. Active professionnellement depuis 2015, OBUXUM n’a probablement pas encore enregistré son premier album majeur, mais les ingrédients de son esthétique s’avèrent déjà fort bien dosés, à la fois groovy, recherchés, raffinés. On lui devine d’ailleurs une étude approfondie des plus grands beatmakers afro-américains, de J Dilla à Flying Lotus. Elle intègre cette « science » à sa touche personnelle comme le font ses contemporaines (Kelela, Noname, etc.). Si on lui en donne les moyens, cette jeune femme douée pourrait aller très loin. Son bagage culturel est clairement distinct et son beatmaking d’autant plus innovant. (Alain Brunet)
Pantayo – Pantayo
Pays : Canada
Label : Telephone Explosion
Genres et styles : asiatique de sud-est / R&B / électronique
Année : 2020
La base de la musique du quintette issu de la diaspora philippine Pantayo, installé à Toronto, est le kulintang, un instrument métallophonique joué par les populations indigènes Maguindanao et T’boli du pays. Après quelques parutions exploratoires sorties discrètement, le premier véritable album de la formation, produit par Alaska B du groupe Yamantaka // Sonic Titan, présente ses créations hybrides inspirées, originales et bien senties. La pièce Taranta, tantôt vulnérable, tantôt revendicatrice, en est un excellent exemple. Son « lo-fi R&B gong punk lo-fi », comme ses membres le décrivent elles-mêmes, réunit le féminisme pratique, l’ethos punk, la résistance indigène, la visibilité asiatique, la flamboyance queer et la soif universelle de nouveaux sons. (Rupert Bottenberg)
Riit – ataataga
Pays : Canada
Label : Six Shooter
Genres et styles : électro-pop
Année : 2019
Riit est le nom de scène de Rita Claire Mike-Murphy, une musicienne inuite de Pangnirtung (Nunavut), aussi connue pour son rôle d’animatrice de la série pour enfants Anaana’s Tent. Dotée d’une voix pure et douce, Riit s’est tranquillement fait un nom dans la petite (mais de plus en plus prolifique) communauté musicale du Nunavut. Sa musique, une électro-pop souvent froide et limpide comme le blanc infini du Grand Nord, vient appuyer son chant féérique, basculant quelques fois dans un style plus dansant, comme sur la groovy ullagit. Sur certains morceaux toutefois, on a l’impression de se retrouver dans un univers onirique qui rappelle celui d’Enya. Ce rapport aux sonorités celtiques s‘explique par les musiques que son père, Irlandais, lui faisait entendre durant son enfance. Graham Walsh (Holy Fuck), qui a réalisé l’album, ajoute aussi quelques sons glanés sur le terrain, donnant à cette électro-pop mêlée de chants de gorge une touche encore plus dépaysante. Chanté majoritairement en inuktitut, cet album de huit titres auquel collabore aussi Elisapie, Josh Q et Zaki Ibrahim, a été enregistré entre Iqaluit (Nunavut) et Toronto. Ataataga révèle la capacité de Riit de jouer avec divers univers, passant d’ambiances plus mystérieuses et froides à d’autres plus mélancoliques ou exaltantes. (Patrick Baillargeon)