Parmi les derniers disques que nous a laissés le regretté Sir Andrew Davis, ancien chef du Toronto Symphony Orchestra décédé subitement en avril dernier, le premier oratorio du compositeur britannique Michael Tippett A Child of Our Time est d’une troublante actualité. Compositeur pacifiste, objecteur de conscience, Tippett a écrit lui-même le livret de cet oratorio après avoir été profondément marqué par deux évènements phares de la fin des années 30 : l’assassinat d’un diplomate allemand par un jeune réfugié juif à Paris en réaction aux souffrances subies par les siens et la réponse du gouvernement nazi sous la forme d’un des plus importants et sauvages pogroms d’alors, la Nuit de cristal. Tippett met en relief dans cette œuvre le thème de la persécution sociale et la résistance de l’esprit humain et interroge la part d’ombre et de lumière qu’il y aurait en chacun de nous. Sa structure tripartite pour chœur, orchestre et quatre solistes rappelle le Messie de Händel, alors que la disposition de mouvements qui alternent moments orchestraux, aria, chorals méditatifs et chœurs commentant l’action, évoque les passions de Bach. Difficile de ne pas être interpellé par les mots de chœurs tels que « Now in each nation there were some cast out », « We cannot have them in our Empire », ou d’aria comme « My dreams are all shattered ».
Le langage musical et l’esthétique extrêmement variée font penser par moment à Ralph Vaughan Williams avec ces lignes lyriques qui évoluent vers des harmonies complexes et des accords dissonants. À l’image des chorals de Bach qui s’intercalaient dans ses oratorios, Tippett introduit non pas des chorals luthériens, mais des arrangements de spirituals afro-américains (Steal Away; Nobody knows the trouble I see; Go Down Moses; O! By and By) dont il considérait la portée universelle. Il en sort un récit poignant, introspectif sur notre humanité, nos contradictions et sur l’état de notre propre monde contemporain.