Pays : Etats-Unis Label : Columbia / Sony Music Masterworks Genres et styles : americana / blues / folk / gospel / rock Année :

Rough and Rowdy Ways

· par Luc Marchessault

Dans Desolation Row, en 1965, Bob Dylan nous trimbalait pendant onze minutes dans une ménagerie fellinienne où Einstein était déguisé en Robin des Bois. Deux ans plus tôt, à Dallas, John F. Kennedy avait été « abattu comme un chien, en plein jour », comme le clame Dylan dans Muder Most Foul, une complainte-fleuve de 17 minutes qui figure sur Rough and Rowdy Ways (titre dérivé de My Rough and Rowdy Ways, une chanson publiée en 1929 par Jimmie Rodgers), premier recueil de chansons fraîches du Barde de Duluth depuis Tempest, en 2012. C’est maintenant, donc, presque 57 ans après le défilé fatidique, que Bob Dylan revient sur ce tournant de l’histoire de son pays, le début d’une « longue putréfaction » qui se poursuit encore. Alors, dix nouvelles chansons de Dylan, dont de très touffues comme Murder Most Foul, cela signifie des centaines d’heures d’exégèse pour les dylanologues de tous poils.

I Contain Multitudes n’est pas une variante du verset « Je m’appelle Légion, car nous sommes nombreux », mais plutôt une ballade loungisante – comme My Own Version of You – où Dylan égrène des réminiscences. False Prophet, Goodbye Jimmy Reed et Crossing the Rubicon sont des blues charnels et cérébraux. L’air d’I’ve Made Up My Mind to Give Myself to You est calqué sur celui de la Barcarolle des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach. Black Rider est un réquisitoire, en forme de sérénade, contre un doppelgänger. Mother of Muses est un gospel des vieux pays. Key West (Philosopher Pirate) est un chant de marins où Bob raconte qu’il est né du mauvais côté de la voie ferrée, « comme Ginsberg, Corso et Kerouac ».

Dylan, comme il l’a souvent rappelé à ses intervieweurs jadis, n’est ni un gourou, ni un messie, ni un prophète, ni un philosophe, bien qu’il ait été ou soit encore un peu tout ça, malgré lui. Dylan est avant tout un littérateur. Et un musicien, certes, peut-être bien accessoirement. Mais son art, qu’il a poussé à des sommets que très peu de ses semblables réussiront à atteindre, est celui de la chronique. Son amuse-gueule autobiographique Chronicles: Volume One se lit d’ailleurs comme on écoute ses chansons.

Rough and Rowdy Ways constitue une réussite littéraire. Et musicale, parce que les accompagnateurs du Barde – les über-vétérans Tony Garnier et Charlie Sexton ainsi que toute la troupe – sont diablement rompus au mode opératoire parfois échevelé de leur patron et que leurs nuances magnifient la congruence des mots. La voix de Dylan, si émouvante dans son âpreté, demeure forte, comme le mouvement de l’océan. Robert Zimmerman, mieux connu sous le nom de Bob Dylan, a eu 79 ans le 24 mai dernier.

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