L’Islande fascine, l’Islande attire, l’Islande séduit. Il y a quelque chose d’indéfinissable dans la beauté aride, dénudée, de ce pays agrippé au sommet d’un volcan actif. Sa musique, savante et populaire, s’est développée récemment, si on la compare aux autres musiques européennes. Essentiellement, le 20e siècle, avec Jon Leifs comme principal catalyseur, puis les éruptions rock que sont Björk et Sigur Ros, pour n’en nommer que les plus célèbres.
Ice Land : The Eternal Music fait un pont entre ces deux univers, et ce de manière très unifiée, presque monochromatique, à l’image d’un décor minéral en noir et blanc de l’intérieur du pays. L’énergie ambiante est résolument contemplative et rarement remuée par des remous dynamiques plus intenses qu’un éther placide.
Le programme oscille entre arrangements de folklores nationaux, œuvres de compositeurs contemporains (Anna Thorvaldsdottir, Hjalmar Ragnarsson, Sigurdur Saevarsson) et quelques pièces de pionniers de la musique savante nationale (Leifs, nommé précédemment, mais également Thorkell Sigurbjörnsson). Le Requiem a capella de Saevarsson est particulièrement thérapeutique, aussi paisible qu’un corps en apesanteur.
En ce qui me concerne, Ad genua, pour chœur et orchestre d’Anna Thorvaldsdottir (la plupart des autres œuvres au programme sont pour chœur seul) est le plus beau cadeau de l’album. Commandé à l’origine par un chœur américain souhaitant rendre hommage à une série de cantates du compositeur baroque Dietrich Buxtehude (1637-1707) qui illustre différentes parties du corps de Jésus sur la croix, il s’agit d’un indéniable chef-d’œuvre. Le titre l’indique (Ad genua : « Aux genoux »), Thorvaldsdottir transpose avec une rare émotion, mais aussi une féroce intelligence de l’orchestration, des couleurs et des harmonies, le concept de la fragilité de cette partie corporelle du crucifié, à mesure que le temps passe. Glissandos, coups d’archets saltando (sautillant), mélodie hymnique des cordes soutenant l’hypnotique voix solo de Carolyn Sampson (magistrale), accompagnement de choeurs parfois plaintifs, parfois angéliques, voici uns symphonie chorale de beauté nimbée de révérence, de mystère, d’émotions et de grande spiritualité. C’est aussi la pièce la plus agitée, je dirais vivante, du disque.
J’ai déjà parlé de cette créatrice extraordinaire ailleurs sur le site. Allez voir et entendre son quatuor à cordes Enigma, c’est renversant. Elle est l’une des voix les plus brillantes de la musique d’aujourd’hui.
L’album se termine sur un arrangement pour cordes de Fljotavik des géniaux post-rockeurs Sigur Ros, un autre trésor national islandais. La chanson, neuvième plage de leur opus Með suð í eyrum við spilum endalaust (« Avec un bourdonnement dans les oreilles, nous jouons inlassablement »), publié en 2008, est bien rendue et son atmosphère se marie parfaitement avec l’ensemble de l’album (comme la plupart des chansons du groupe, me direz-vous).
Superbe album, fortement recommandé, même si un brin monochrome n’eût été de l’exceptionnel Ad genua d’Anna Thorvaldsdottir.