Une photo en noir et blanc où figure une pièce de bois en équerre, grossièrement varlopée (choix réaliste, la dégauchisseuse mécanique ne fera son apparition que mille neuf cents ans plus tard), sur laquelle repose une corde de chanvre. Ce pourrait être le torse et le bras, ou l’aile, d’une figure angélique sans tête. Ce pourrait aussi être une croix, puisqu’il est ici question de la passion du Christ. L’illustration est saisissante. On peut y lire « PÄRT PASSIO – Helsinki Chamber Choir – Nils Schweckendiek ».
Il était de coutume, il y a fort longtemps, de raconter en plain-chant la passion de Jésus durant la semaine sainte, selon le récit qu’en ont fait les quatre évangélistes. Cette tradition s’est raffinée, des compositeurs ont mis la passion en musique en l’organisant autrement, puis en y intégrant des chœurs et des partitions pour instruments. Téléportons-nous au début des années 1980, à Vienne puis à Berlin, où le compositeur estonien Arvo Pärt a émigré. Il en avait sans doute plein les bottes des autorités soviétiques, dont il s’était notamment attiré les foudres une douzaine d’années plus tôt en déclarant croire en Jésus Christ, dans son Credo. Précisons que Pärt demeure aujourd’hui, nonobstant sa tronche de pasteur luthérien de la seconde moitié du 19e siècle, le compositeur de musique contemporaine le plus adulé, autant de la part des exégètes que des musicophiles de toutes allégeances.
Arvo Pärt avait apporté des ébauches de sa propre mise en musique de la passion du Christ, selon l’évangile de Jean. Le travail de composition allait se terminer en 1982. Il usa largement de sa technique diaphonique du « tintinnabuli », où deux notes ne font qu’une (« Un plus un égale un, pas deux », comme l’avait affirmé le compositeur). L’œuvre allait être enregistrée pour la première fois en 1988 et publiée par l’étiquette ECM, à laquelle Pärt était lié. L’honneur revint au Hilliard Ensemble, sous la direction de Paul Hillier. Il s’agit, pour le musicophile qui s’exprime ici, de la version la plus sèche des quatre qui ont été endisquées. La suivante, plus charnue, provient de l’ensemble britannique Tonus Peregrinus dirigé par Antony Pitts (Naxos, 2003). Le chœur de jeunes Finlandais Candomino, dirigé par Tauno Satomaa, en fit aussi un enregistrement (Elatus, 2006).
Nils Schweckendiek, directeur artistique du Chamber Choir d’Helsinki, tenait la baguette lorsque la version dont il est ici question a été enregistrée à l’église Saint-Paul de la capitale finlandaise. Schweckendiek, formé au Clare College de Cambridge, dirige ce chœur depuis 2007. Sa réputation de promoteur international de la musique contemporaine n’est plus à faire. Le résultat est plus que probant, l’œuvre de Pärt devient plus propice que jamais au recueillement. Les violons, le violoncelle, le hautbois et le basson s’harmonisent de façon quasi surnaturelle avec les voix des solistes et des choristes.
Nul besoin de préciser que cette musique ne doit pas être l’apanage des grenouilles de bénitier. Les musicophiles les plus impies risquent de se péter une crise de mysticisme, à l’écoute de cette passion selon Pärt. De la sacrée bonne musique, comme on dit.