Andile Khumalo est un compositeur sud-africain dont l’expression musicale hyper détaillée, d’une précision instrumentale nanométrique en plus d’être texturalement frémissante, est à placer dans la lignée du spectralisme français. Héritier, donc, de Tristan Murail ou Gérard Grisey, il serait superficiel, cela dit, de déduire que cet artiste noir est un ‘’déraciné’’ musical, s’abreuvant à une source colonialiste blanche. On entend d’ici ce genre de commentaires simplistes. Des commentaires auxquels Khumalo lui-même tordrait le cou. En effet, prenez la peine de lire les notes de programme écrites par le compositeur et vous découvrirez des références très riches au contrepoint étroitement imbriqué du mbira dza vadzimu des Shona du Zimbabwe, au tissage hétérophonique des ensembles de cornes des Banda Linda de la République centrafricaine, ou encore aux motifs fantômes produits par les ensembles de cornemuses des Nyungwe du Mozambique. Ajoutons le jeu multiphonique complexe des musiques umrhubhe et uhadi du peuple isiXhosa d’Afrique du Sud, que Khumalo appelle le « spectralisme africain ».
Tracing Hollow Traces s’avère donc une leçon d’humilité et une fantastique occasion d’ouverture et de compréhension de la nature très savante des musiques traditionnelles d’Afrique noire, un fait largement sous-estimé par les Occidentaux.
Les neuf compositions présentées sur cet album bellement capté, pour de très diverses formations (du grand orchestre de chambre au piano solo), constituent une proposition des plus fascinante qui vient bonifier brillamment l’univers parfois rigide de la musique atonale stricte. Certes, il s’agit d’une musique exigeante, réclamant une attention précise et soutenue pour être pleinement appréciée. Ses textures pointraitistes abstraites ne souffrent aucune déférence envers la facilité ‘’néoclassique’’ /pop actuelle, mais le foisonnement de couleurs suggérées et le dynamisme actif de l’écriture en feront certainement une expérience d’écoute stimulante pour les mélomanes qui carburant à la curiosité.
Du très haut niveau d’écriture et de jeu musical, trempé dans une cérébralité vivifiante.