L’origine d’A Murder Most Foul est floue; il pourrait s’agir d’un outtake de Tempest (2012). L’œuvre « inclassable », évoquant la litanie ou la complainte, est pourtant bien un blues. L’harmonie est la tonique, sous-dominante et dominante propre au genre; la signature rythmique en 3/4 et 4/4 évoque aussi la filiation. L’opus – vraisemblablement dirigé par un chef d’orchestre – est toutefois si alangui et fluide que l’arrangement piano, cordes et percussions crée l’illusion de volutes oniriques déstructurées que Debussy (ou Sufjan) aurait pianotées à temps perdu. Le clip est le degré zéro de la sobriété : un portrait de JFK fixe l’auditeur durant les 16:56 de la mélopée, proche de l’incantation liturgique, qui seule, en définitive, retient l’attention. La forme du talking blues a souvent été empruntée par Dylan mais en collant à la tradition selon laquelle le griot improvise la déclamation à connotation sociale ou politique (Talking World War III Blues, par exemple). Ici le texte est plutôt ciselé; un Nobel de littérature ne se permet plus la spontanéité. L’amorce est inhabituellement prosaïque pour Dylan alors qu’il relate avec une précision glauque le 22 novembre. S’ensuit une eschatologie décousue, sur vingt ans (1963-1984), télescopant les références les plus échevelées : British Invasion (60s), Stevie Nicks (70s), Nightmare on Elm Street (80s)… D’aucuns crieront au génie. Or, la métaphore de JFK sauce conspiration (Dylan conjugue au they cryptique) comme « mort de l’Amérique » est usée et interpellera une génération qui a vu jouer Mickey Mantle. À tout prendre, Stephen King (22/11/63) a mieux réussi à l’actualiser. Dylan, comme Cash, Bowie ou Cohen, saura éblouir à l’ultime crépuscule de sa carrière; A Murder n’est pas le requiem attendu.
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