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L’écosystème musical montréalais compte un authentique griot sénégalais, virtuose de la kora issu d’une longue lignée mandingue. Établi au Québec depuis plus de vingt ans, Zal Sissokho multiplie les expériences d’hybridation tout en poursuivant la transmission de sa culture séculaire. Lancé chez Analekta en février dernier, son album Kora Flamenca est l’occasion d’une fusion stylistique avec la guitariste Caroline Planté, le contrebassiste Jean-Félix Mailloux, le percussionniste Miguel Medina, l’oudiste Mohamed Masmoudi et le chanteur Marcos Martin.
Célébrée mercredi (28 octobre) par l’ADISQ dans un de ses galas 2020 où Zal Sissokho a été primé dans la catégorie “Album de l’année – Musiques du monde”, la matière de cet opus est de nouveau mise en valeur dans le contexte d’un concert enregistré et webdiffusé aux Nuits d’Afrique.
Une conversation s’impose !
PAN M 360 : Vous êtes un virtuose de la kora, chanteur et auteur-compositeur, vous avez quitté le Sénégal et vous vous êtes établi à Montréal en 1999, comment cet exil a-t-il changé votre musique ?
ZAL SISSOKHO : Oui, je suis virtuose de la kora, chanteur et auteur-compositeur et interprète. Environ le tiers des joueurs de kora chantent aussi, c’est mon cas. J’ai été formé d’abord par mon défunt père, Diéourou Sissokho, et j’ai continué l’apprentissage avec d’autres joueurs. Pour moi, habiter Montréal m’a permis de continuer ce que j’avais commencé au Sénégal.
PAN M 360 : Sissokho est un nom de griot, quel était votre rôle au Sénégal et comment voyez-vous ce rôle depuis que vous vivez en Occident ?
ZAL SISSOKHO : Le rôle de griot est toujours en moi. Le griot est un conteur, un médiateur familial et un musicien. À travers ses paroles et sa musique, il aide les gens à prendre conscience de différents enjeux. Ce rôle, je continue à l’assumer ici au Québec.
PAN M 360 : Vos enfants marcheront-ils sur vos traces ?
ZAL SISSOKHO : Mes filles sont très intéressées. Traditionnellement, les filles griotes chantaient et ne jouaient pas d’instruments, c’était ainsi convenu dans l’empire mandingue. Or, aujourd’hui, c’est plus ouvert et les filles peuvent apprendre à jouer la kora. Ma plus grande devrait commencer l’an prochain car la taille de l’instrument exige d’avoir 12 ou 13 ans pour s’y initier. Ma tâche consiste à transmettre mes connaissances traditionnelles à mes filles, après quoi elles décideront si elles veulent poursuivre.
PAN M 360 : Au Québec, vous avez travaillé avec les frères Diouf, avec Celso Machado, Constantinople, Fakhass Sico, Lilison di Kinara, Richard Séguin, Takadja, Muna Mingole, Caroline Planté, le Cirque du Soleil (spectacle O), pour ne nommer que ceux-là, y a-t-il des collaborations marquantes parmi vos rencontres, au Québec ou ailleurs ?
ZAL SISSOKHO : Pour moi, toutes ces rencontres m’ont marqué parce qu’elles m’ont permis de donner quelque chose et de recevoir quelque chose aussi. Aller vers une autre culture est une façon pour moi de ne pas me limiter à la mienne.
PAN M 360 : De quelle manière ces rencontres avec des artistes non sénégalais ont-elles transformé votre jeu et votre vision de la musique ?
ZAL SISSOKHO : Selon moi, la musique n’a pas de frontières. Ces rencontres m’ont aidé à repousser les limites de ma kora en jouant des gammes qui ne m’étaient pas familières au départ. Si j’ai décidé de venir m’installer à Montréal, c’était pour trouver une plus grande ouverture, de nouveaux horizons et non pour me limiter strictement à mon apprentissage traditionnel, que je perpétue néanmoins lorsque le contexte s’y prête. Il m’importe donc d’étudier d’autres musiques, d’autres échelles mélodiques, d’autres harmonies et ainsi de voir jusqu’où la kora pourra se rendre dans ces contextes différents.
PAN M 360 : Comment avez-vous vécu cette expérience avec le flamenco ?
ZAL SISSOKHO : À ce que je sache, seuls le grand virtuose Toumani Diabaté et le guitariste Ketama avaient déjà fait cette fusion entre musique mandingue et flamenco. Personnellement, j’ai appris le jeu du flamenco avec Caroline Planté, une guitariste formidable. C’était tout nouveau pour moi. J’ai alors observé que le flamenco était proche de la musique berbère… très différente de la musique mandingue ! Ensemble, nous avons passé beaucoup de temps à faire des recherches pour voir ce qu’il était possible de créer et ce qui ne l’était pas. Nous avons alors composé plusieurs pièces et en avons conservé une dizaine pour l’enregistrement.
PAN M 360 : Comment faites-vous cohabiter votre attachement à la tradition mandingue et vos expériences de métissage ?
ZAL SISSOKHO : Dans mes chansons, je raconte ce qui est autour de moi, ce que je vis et ce que je vois, tout en gardant mes traditions mandingues. En fait, toutes mes rencontres vécues hors de l’Afrique de l’Ouest m’ont toujours donné envie de composer. Ces expériences m’ont d’ailleurs permis de mieux connaître mon instrument. On n’a jamais fini d’apprendre, et c’est ce qui m’inspire !
PAN M 360 : On observe de grandes avancées techniques dans le jeu de la kora, plusieurs virtuoses s’imposent désormais, quels sont-ils selon vous et comment votre propre jeu s’est-il transformé en les observant ?
ZAL SISSOKHO : Je vais vous donner quelques noms de joueurs de kora que j’aime écouter : Toumani Diabaté, Ballaké Sissokho, Toumani Kouyaté. Leurs manières de jouer les accords, de les utiliser, d’adapter la kora à différentes tonalités, tout ça me donne envie de pousser plus loin mes recherches. La kora est donc devenue universelle. Mon père et mon grand-père la jouaient traditionnellement au Sénégal, dans les événements rituels – baptêmes, mariages, etc. Par la suite, des musiciens plus jeunes en ont révolutionné le jeu. Aujourd’hui, les joueurs de kora sont techniquement supérieurs, des limites ont été repoussées.
PAN M 360 : Quel est le plan de match pour le concert de jeudi ?
ZAL SISSOKHO : Je présenterai la musique de l’album Kora Flamenca avec Caroline Planté, Miguel Medina et Jean-Félix Mailloux. Nous avions tourné un peu après la sortie de l’album en février dernier mais la pandémie nous a arrêtés… Même si ce concert sera présenté sans public, nous allons tout donner pour que les gens apprécient en le visionnant.
PAN M 360 : Quels sont vos projets pour l’avenir ?
ZAL SISSOKHO : Une nouvelle idée trotte dans ma tête : la kora et le jazz ! Mais je compte bien tourner aussi avec le projet Kora Flamenca… quand la COVID sera chose du passé.
PAN M 360: En terminant, félicitations pour votre Félix, catégorie « album de l’année- musiques du monde » !
ZAL SISSOKHO: Merci ! C’est pour moi une reconnaissance de mon travail effectué depuis plus de 20 ans au Québec. Je m’estime très chanceux de pouvoir compter sur une aussi belle équipe! Ici c’est mon pays maintenant, je passe plus de temps ici qu’au Sénégal, je suis très heureux de cet accueil, j’ai le sentiment de faire partie de cette société et de cette industrie musicale d’ici. Et puis on continue le travail, on ne lâche pas !