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PAN M 360 : D’après ce que je comprends, la philosophie et la pratique de TENGGER consiste à visiter des lieux nouveaux et inconnus, non pas pour les documenter, mais plutôt pour accéder à votre créativité grâce à la conscience accrue et à l’expérience prolongée du temps qu’entraîne l’immersion dans un nouvel environnement, est-ce exact, et si oui, comment cela a-t-il façonné votre nouvel album Nomad ?
itta : La mission de TENGGER, ou son rôle, est de transmettre par la musique les différents moments et lieux qui ont été emmagasinés consciemment et inconsciemment,. Je pense que cela me donne l’impression de visiter « cet espace » parce que dès que celui-ci est exprimé, il existe un espace que partagent tous ceux qui partagent ce moment. Quant au nouvel album, notre identité signifie qu’en présence des deux autres pays du XXIe siècle, nous voudrions accueillir le « nous » qui marche quelque part où il y a une liberté nomade, là où les porteurs de vie de la nature peuvent se rencontrer – peut-être nulle part.
PAN M 360 : On désigne souvent TENGGER comme un duo, celui d’itta et de Marqido, pourtant vous êtes un trio, avec votre fils RAII qui participe activement à votre art.
itta : Son nom signifie « personne aimée de toutes les choses et qui sait donner de l’amour à toutes les choses du monde ». Il a eu huit ans en mai de cette année. Nous nous considérons, en tant que TENGGER, comme étant en symbiose avec la nature et l’environnement que nous voyons à chaque instant, et non limités à un duo ou un trio. La naissance de RAAI est ce qui a fait de nous une famille appelée TENGGER, et le changement dans notre musique a également commencé à ce moment-là. RAAI nous accompagne dans nos enregistrements sur le terrain et nos tournées de concerts chaque fois que c’est possible.
Cet enfant sait aussi qu’il est lui-même membre de TENGGER. Hier, c’était la pleine lune et RAAI, qui avait suggéré que nous fassions un vœu en regardant la lune ensemble durant la soirée, m’a fait part de son souhait. « Je souhaite pouvoir faire longtemps partie de TENGGER avec ma mère et mon père. » Ses gestes et ses mouvements ont une grande influence sur notre musique, surtout lorsqu’on la joue sur scène. Nous réagissons à l’atmosphère et à l’espace dans le public, mais je pense que c’est encore plus organique depuis l’arrivée de RAAI.
PAN M 360 : La musique que vous créez est méditative et prédispose à un état d’esprit plus calme, plus réfléchi et plus sensible. La pratique de la méditation peut servir à chasser des sentiments troublants et malsains, mais elle peut aussi servir à accroître la conscience – de soi-même et de son environnement; je sens qu’il y a là une sorte de paradoxe.
itta : Je crois que la méditation est importante. Elle peut vous apporter une certaine illumination, et elle commence par vous vider l’esprit. Oui, comme vous l’avez dit, c’est une sorte de paradoxe. Je pense que « vider sa conscience » nous aidera, lorsque nous nous trouverons à une nouvelle croisée des chemins, à trouver le vent qui souffle de l’entrée étroite vers la prochaine destination.
PAN M 360 : Vous avez déjà expliqué que vous appliquez à votre art le principe du shanshui. Ce terme, qui s’applique généralement à la poésie et à la peinture chinoises classiques, mais pas à la musique pour autant que je sache, se traduit par « paysage », ou plus précisément « montagne-eau », pouvez-vous expliquer un peu plus cette idée, telle que vous la percevez ?
itta : En ce qui a trait au shanshui, sansu en coréen, je pense qu’il est important de montrer du respect pour la nature, et non pas d’interpréter les montagnes, les rivières et les mers que nous voyons. C’est comme sentir l’énergie majestueuse du yeongsan, qui signifie « montagnes sacrées », où se trouvent des temples ou des sanctuaires, reconnues pour leur énergie spirituelle. Nous faisons de la musique pour nous rappeler sans cesse que nous faisons partie de la nature, voilà la relation qui existe entre le shanshui et la musique de TENGGER.
PAN M 360 : J’ai été frappé par vos réflexions selon lesquelles, lorsque nous parlons de notre environnement, la frontière entre le naturel – ce qui n’a pas été touché par les êtres humains – et l’artificiel – les espaces que nous créons et modifions pour améliorer nos conditions de vie – n’est ni ferme ni absolue. Vous avez également mentionné dans une interview que vous « n’essayez pas d’exprimer le paradis ».
itta : La nature est belle mais dangereuse, et elle ne peut rester seule. On ne peut coexister que lorsqu’on s’appuie sur de nombreux autres êtres et que l’on est soutenu par eux. Quand on réalise qu’on vit grâce à l’aide de tous les êtres qui nous entourent aujourd’hui, il devient assez clair que les frontières doivent être abolies. Pourtant, nous nous nous heurtons encore à ces frontières. Les frontières entre les nations, la discrimination raciale et la distinction entre l’humanité et la nature. Je crois que ces choses n’ont jamais existé, elles devraient d’ailleurs être supprimées de notre conscience.
PAN M 360 : Vos thèmes, vos idées et votre musique thérapeutique sont particulièrement pertinents en cette période d’isolement collectif, d’éloignement et d’anxiété, en ce qui concerne notre relation avec la nature, quelles sont vos réflexions à ce sujet, et à quoi travaillez-vous en ce moment ?
itta : Les frontières ne font que créer de l’anxiété, c’est pourquoi nous essayons de vivre avec gratitude et de continuer à apprendre de la nature. Je pense que c’est comme pour l’exploration de l’âme humaine, ça prend de la compassion. Je vis en me préparant à ce qui va suivre en cherchant à m’identifier à l’objet lui-même. Surveillez les prochaines œuvres de TENGGER.
PAN M 360 remercie Jinsun Taylor Kim pour la traduction de cette correspondance.